Page images
PDF
EPUB

Et quiconque peut tout, eft aimable en tout

tems.

Sertorius de Corn.

Rhadamiste dont on a parlé ci-deffus, ayant appris que fon frere Arfame aimoit Zénobie, (celui-ci ignoroit que Rhadamifte fut fon époux ;) fait connoître qu'il eft agité par des foupçons injurieux à Zénobie. C'est alors que cette Princeffe lui déclare qu'elle eft prête à partir avec lui & qu'elle ira où il voudra.

Prince (a), après cet aveu je ne vous dis plus rien,

Vous connoiffez affez un cœur comme le mien Pour croire que pour lui l'amour ait quelqu'empire i

Mon époux eft vivant, ainfi ma flamme expire.
Ceffez donc d'écouter un amour odieux,
Et furtout gardez-vous de paroître à mes yeux.
Pour toi (b), dès que la nuit pourra me le per-

mettre,'

Dans tes mains en ces lieux je viendrai me re

mettre;

Je connois la fureur de tes foupçons jaloux, Mais j'ai trop de vertu pour craindre mon époux.

(a) Elle parle à Arfame,

b) Rhadamilte

C'eft dans ce dernier Vers que réfide le fentiment fublime, il eft inutile d'ajoûter ici aucune réflexion pour le faire comprendre. Il y a des chofes qu'il eft plus facile de fentir que d'exprimer. Telle eft cette penfée de Zénobie dont les perfonnes de bon goût connoîtront toute la beauté.

Dans la Tragédie d'Héraclius par Corneille, il eft un tems où un faux billet de l'Empereur Maurice, jette dans l'erreur les principaux Perfonnages de cette Piéce. "C'est à cette occafion que Pulcherie croyant que Martian qu'elle aimoit, étoit le véritable Héraclius & fe trouvoit parlà être fon frere; fait éclater toute la gran deur de fes fentimens en ces termes :

Ce grand coup m'a furprise & ne m'a point troublée,

Mon ame l'a reçu fans en être accablée;
Et comme tous mes feux n'avoient rien que

faint,

de

L'honneur les alluma, le devoir les éteint. Je ne vois plus d'amant ou je rencontre un fre

re,

L'an ne peut me toucher ni l'autre me déplaire,

Et je tiendrai toujours mon bonheur infini
Si les miens font vengés & le tiran (a) puni.
Héraclius.

C'eft à l'occafion de cette même erreur que Martian fils de Phocas croit être le véritable Héraclius, & comme il en prit le nom auffi-tôt, & qu'il fe difoit tel à Phocas, ce tiran le menaçoit de la mort; c'eft dans ces circonftances que Martian parle ainfi à Phocas:

J'entends donc mon arrêt fans qu'on me le pro

nonce,

Héraclius mourra comme a vécu Léonce. (b) Bon fujet, meilleur Prince, & ma vie & ma

mort

Rempliront dignement & l'un & l'autre fort. La mort n'a rien d'affreux pour une ame bien

née,

A mes côtés pour toi je l'ai cent fois traînée,
Et mon dernier exploit contre tes ennemis
Fut d'arrêter fon bras qui tomboit fur ton fils.
Ibid.

(a) Phocas meurtrier de l'Empereur Maurice, pere de Pulcherie.

(b) Le vrai Martian paffoit pour Léonce, & le vrai Héraclius pour Martian.

A

CHAPITRE VII.

Des Scénes célébres.

Vant de rapporter quelques Scénes brillantes de nos Poëtes les plus célébres, on a cru devoir donner une idée du caractere des deux grands hommes qui ont fi fort illuftré le Théâtre François ; nous commencerons par celui de Corneille.

CORNEILLE.

Avant (a) Mr. de Corneille, la France n'avoit rien vû fur la Scéne de fublime ni même, pour ainfi dire, de raisonnable. Ce grand homme guidé par fon feul génie, étudia les grands Maîtres de l'antiquité qui avoient traité cette matiére; & joignant les propres réflexions aux connoiffances qu'il puifa chez eux, il fe fraya des routes qu'on avoit ignoré jufqu'alors.

(a) Ce qui eft marqué par des accens elt pris des réflexions de Mr. de Fontenelle dans la vie de Corneille.

מי

Dédaignant fiérement le faux goût de fon fiécle qui régnoit dans les Piéces de ceux qui l'avoient précédé; » il fe forma une haute idée de la Tragédie, & il comprit de bonne heure que les plus grands » intérêts devoient en être les uniques refforts. Peignant donc fes caracteres d'après l'idée de cette grandeur Romaine, dont il s'étoit fi bien rempli, il la mit en œuvre avec tout le fuccès que fes heureux talens pouvoient lui promettre. Il forma fes figures plus grandes à la vérité que le naturel, mais nobles, hardies, admirables dans toutes leurs proportions; & comme la pompe des Vers lui étoit naturelle, il revétit de leur harmonie les fentimens qu'il donna à fes Héros & répandit fur tous fes grands tableaux des graces fieres & fublimes. On admira la richeffe de fes expreffions, l'élévation de fes pensées & la maniere impérieufe dont il manioit, pour ainfi dire, la raifon humaine.

Le fuccès de fes premieres Piéces Tragiques fut fi prodigieux, que les Lecteurs autant que les Spectateurs fe fentirent transportés pour lui d'une admiration qui alla, pour ainfi parler, jufqu'à l'idolâtrie. Ses Vers étoient dans la bouche de tout

« PreviousContinue »