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CHAPITRE VI.

Du Sublime des Penfees & des
Sentimens.

LE Sublime dont il s'agit ici n'eft au

tre chose que le vrai & le nouveau réuni dans une grande idée & exprimés avec élégance & précision: il fe peut trouver dans une feule penfée, dans une feule Figure, dans un feul tour de parole qui préfente quelque trait vif & frapant; comme dans ce récit de Moyfe, Dieu dit, Que la lumiere fe faffe, & la lumiere fe fit (a): ou lorsque Dieu parle à Job en ces termes: Où étiez-vous lorsque j'établiffois la Terre fur fes fondemens? lorf que les Aftres du matin me louoient d'un commun accord (b): ou dans cette parole d'Ajax: Grand Dieu, rends nous le jour & combats contre nous. En un mot le Sublime dans le genre dont nous parlons, n'est autre chofe que l'expreffion

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courte & vive de tout ce qu'il y a dans une ame de plus grand & de plus fuperbe; il doit marquer la hauteur & l'élévation du caractere de celui qui parle. Il produit en nous une certaine admiration mêlée d'étonnement & de furprise car il faut remarquer que l'étonnement eft un fentiment qui eft d'un grand prix pour nous. Au milieu de notre baffeffe nous nourriffons tous un fentiment de grandeur & de bouffiffure. Tout ce qui excéde nos forces, tout ce qui paffe notre pouvoir, réveille notre admiration : or une maniere de peindre vivement un fentiment en peu de paroles, produit en nous cet effet, & c'eft ce que nous appellons le vrai Sublime; il eft aifé d'en fentir la raison fi on fait attention qu'il n'y a rien de fi rapide que le mouvement avec lequel nos idées fe préfentent; car les expreffions, quelque énergiques qu'elles puiffent être, les affoibliffent & ne les rendent jamais à notre gré; mais quand par bonheur un mot ou deux mots peignent vivement un fentiment, nous fommes ravis, parce qu'alors le fentiment a été peint avec la même viteffe qu'il a été exprimé, qu'il en eft plus vif de ce qu'il eft refferré, &

comme toute fa chaleur eft réunie, il la conferve toute entiere.

Dans l'Opéra d'Acis & de Galatée(a); Poliphême voyant qu'Acis fon rival avoit pris la fuite avec Galatée, & ne fachant ce qu'ils étoient devenus, exhale fa fureur jalouse en ces termes :

Quel chemin ont-ils pris ces amans trop heureux ?

Sans doute Jupiter s'intéreffe pour eux : * Qu'il se montre ce Dieu que l'Univers révére, * C'est un objet digne de ma colere, *Je l'attends, mais il craint de paroître à mes yeux,

* Et croit braver ma rage, enfermé dans les Cieux;

J'y monterai malgré l'effort de fon tonnerre,
J'entafferai ces monts pour aller jusqu'à lui,
Et ferai plus trembler tout l'Olimpe aujourd'hui
Que ne firent jadis les enfans de la Terre.

Ceux qui connoiffent le vrai Sublime, en trouveront une belle image dans ces paroles de Poliphême, par lefquelles il

(a) Paftorale Héroïque dont les paroles font de Mr. de Campiltron & la Mufique de Mr. de Lully.

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brave la puiffance du plus grand des Dieux. On a indiqué ces Vers par une étoile, quoique les autres ne les déparent

pas.

Il s'enfuit de ces réflexions que le Sublime tient plus de la nature que de l'art, parcequ'il vient de l'élévation des fentimens, & qu'il fe concilie fouvent avec l'expreffion la plus fimple: mais comme toutes les forces du fentiment exprimé font ramaffées en peu de paroles; de-là vient que le Sublime va fouvent jufqu'au raviffement, & qu'il nous jette dans des tranfports de joye produits par cette haute idée que nous avons du grand & du beau, ou qu'il nous cause une tristeffe majeftueufe. Ces paroles de Monime (dans la Tragédie de Mithridate de Racine, ) Seigneur, vous changez de vifage, ne font rien par elles-mêmes, mais le moment où ces paroles fi fimples font prononcées, fait frémir; c'eft qu'elles tirent leur force de la feule maniere dont elles font amenées. Il en eft de même de ces trois mots : Zaïre, vous pleurez, dans la Tragédie de ce nom, qui attendriffent fi fubitement le Lecteur ou le Spectateur. Tels font enfin tous les grands fentimens

qui nous frappent dans une Tragédie, c'eft l'appanage du Sublime. Nous allons en donner quelques exemples.

Médée furieuse contre Jason fon époux dont elle fe voyoit abandonnée pour Créũfe, fait éclater fa douleur devant Nérine fa Confidente qui lui parle ainfi :

Que fert ce grand courage où l'on eft fans pouvoir ?

ME' DE' E.

Il trouve toujours Heu de fe faire valoir.

NERINE.

Forcez l'aveuglement dont vous êtes féduite Pour voir en quel état le fort vous a réduite : Votre Pays vous hait, votre époux eft fans foi, Dans un fi grand revers que vous refte-t-il?

ME'DE' E.

Moi, dis-je, & c'est affez. (a)

Mɔi.

Corn. Médée.

Le Sublime de ce mot moi confifte en

(a) Corneille a renchéri fur la penfée de Sénéque qui met dans la bouche de Médée ces paroles: Medea fupereft

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