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La tendre hypocrifie aux yeux pleins de dou

ceur,

Le Ciel eft dans fes yeux, l'Enfer eft dans fon

cœur ;

Le faux zéle étalant fes barbares maximes,
Et l'intérêt enfin pere de tous les crimes.

Volt. Henriade.

CHAPITRE V.

Du Genre fublime, ou du Sublime en général.

I

L y a deux fortes de Sublime, le Sublime des Images ou des idées grandes & magnifiques, & le Sublime des Penfées ou des Sentimens. Nous allons d'a bord parler de ce premier Genre de Sublime, l'autre fuivra immédiatement.

Du Sublime des Images.

Le Sublime des Images eft ordinairement foutenu par des expreffions nobles & pompeufes, il fe rencontre dans des difcours étendus & dans des endroits amplifiés où la briéveté ne fauroit régner; il peut même dominer dans toute une Piéce de Poëfie, dans une Narration, dans une Description, dans une Scéne brillante & majeftueufe. On en peut voir des exemples dans plufieurs morceaux que nous avons déja mis fous les yeux; mais il ne faut pas croire que le Sublime

confifte dans de grands mots affemblés au hazard, ce ne feroit alors qu'une vaine enflûre de paroles, & ce qu'on appelle un discours empoullé. Un homme de goût eft en garde contre ce défaut ; il évite de. même celui qui lui eft oppofé, felon le précepte d'Horace: Projicit ampullas & fefquipedalia verba (a). Le vrai Sublime confifte dans une maniere de penfer noble, grande & magnifique; il fuppofe dans celui qui écrit ou qui parle un efprit rempli de hautes idées, de fentimens généreux, & de je ne fai quelle noble fierté qui fe fait fentir en tout & qui eft l'image d'une véritable grandeur d'ame. Il donne au difcours une vigueur noble une force invincible qui enléve l'ame de quiconque nous écoute, il la tire de fon affiette, il l'agite, il l'éléve au-deffus d'elle-même, il fait fur les Lecteurs ou fur les Auditeurs une impreffion à laquelle il eft impoffible de réfifter; le fouvenir en reste & ne s'efface qu'avec peine. Telle eft, par exemple, en matiere de Poëfie rode. On peut dire qu'elle eft le triomphe du Sublime des Images; elles ne font nulle part étalées avec tant de magnificence,

(4) Art Poëtique,

& on en comprendra la raison fi on fait attention aux réflexions fuivantes fur la

nature de ce genre de Poëfie.

Sur l'Ode

l'Enthoufiafme Poëtique.

L'Ode (a) a pour objet les louanges des Dieux & celles des Héros; elle chante le renversement des États, le gain ou la perte des Batailles; tout ce qu'il y a enfin de plus grand & de plus refpectable dans la nature fait la matiere de l'Ode. Or c'est un principe inconteftable que quiconque veut traiter dignement un fujet doit néceffairement prendre le ton qui lui convient; ainfi un Poëte qui fait un Ode ne fauroit être trop brillant dans fes Métaphores, trop magnifique dans fes expreffions, trop audacieux dans fes figures: Pourquoi ? Parce que par-là il peint fon fujet & l'impreffion qu'il en a reçue, qu'il nous communique le mouvement dont il a dû être frappé, mouvement qui, avides comme nous fommes d'être remués, a des charmes qu'on ne fauroit exprimer. Élevé & foutenu par la dignité de sa matiere

(a) Une partie de ces réflexions font tirées d'un Livre intitulé Lettres fur la naifance, le progrès ex la décadence du goût, & fur la Poëfie.

il ne doit plus parler comme le refte des hommes, il prend fon vol plus haut : fait pour aller au grand, il doit franchir tout ce qui l'en fépare; tout doit fentir le défordre qui l'agite, tout doit peindre les mouvemens de fon ame. De-là il doit arriver qu'il rejettera toutes ces liaisons timides, toutes ces tranfitions fcrupuleufes qui régnent dans les Ouvrages d'un autre genre; en un mot il s'abandonnera à l'enthousiasme dont il doit être rempli. Toute l'antiquité a demandé de l'enthoufiafme à l'Ode, témoin les Cantiques facrés du Roi Prophéte & des Prophétes, eux-mêmes que l'Efprit faint animoit. Voyez le ton qu'ils prennent lorsqu'ils parlent des merveilles que Dieu avoit opé rées en faveur de fon Peuple, ou lorfqu'ils menacent ce même Peuple de la cofere du Tout-Puiffant. Paffez aux Poëtes, voyez les Odes de Pindare, d'Horace, les Hymnes du Cigne de Saint Victor & celles des autres Poëtes de nos jours qui l'ont quelque fois atteint. Vous y trouverez ce beau défordre qui eft l'effet de l'enthoufiafme; & il ne faut pas que le mot de défordre effraye. La raifon tranquille ne fauroit produire les chofes admi

rables

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