Page images
PDF
EPUB

intéreffant, quoique nous foyons convaincus de ccs vérités; mais il ne faut pas paffer cet endroit fans remarquer la noble & jufte idée qu'il donne de l'homme après le péché: C'est du haut de fon tróne un Roi precipite. Il en eft de même de la peinture qu'il fait du cœur humain, & de ce compofé inexplicable de grandeur & de baffefle qu'on y apperçoit.

On ne fera pas fâché de voir ici comment le célébre Boileau a traité un partie du même fujet, c'est-à-dire, l'état d'innocence du premier homme, & les fuites de fon péché. Le morceau eft beaucoup plus court, mais il a fes beautés.

Hélas! avant ce jour qui perdit ses neveux, Tous les plaifirs couroient au-devant de fes

vœux;

La faim aux animaux ne faifoit point la guerre. Le bled pour se donner, fans peine ouvrant la

terre,

N'attendoit pas qu'un bœuf preffé de l'aiguillon Traçât à pas tardifs un pénible fillon.

La vigne offroit par-tout des grappes toujours pleines,

Et des ruiffeaux de lait ferpentoient dans les plaines.

Mais dès ce jour Adamn déchu de fon état
"D'un tribut de douleur paya fon attentat.
Il fallut qu'au travail fon corps rendu docile,
Forçât la Terre avare à devenir fertile.

Le chardon importun hériffa les guérêts,
Le ferpent venimeux rampa dans les forêts:
La Canicule en feu défola les campagnes ;·
L'Aquilon en fureur gronda fur les montagnes.
Alors pour fe couvrir durant l'âpre faifon,
Il fallut aux brebis dérober leur toifon.

La pefte en même tems, la guerre & la famine.
Des malheureux humains jurerent la ruine.
Epit. 3.

REMARQUES.

Ce qui doit frapper le plus dans ce morceau, c'est la beauté des tours & des expreffions Poëtiques. Les perfonnes de goût ne manqueront pas de faire attention à celles-ci: Traçat à pas tardifs un pénible fillon, &c. Un tribut de douleur, &c. Heriffa les guérêts, &c. Aux brebis dérober leur toifon. Il ne faut avoir pour du fentiment, & ces reque marques feroient inutiles fi elles n'étoient deftinées pour les jeunes gens à qui elles font néceffaires leur former le goût.

cela

pour

Le

Sur l'immortalité de l'Ame

M. Racine, dans les Vers fuivans, fait comprendre à tous les efprits raifonnables que notre ame doit être immortelle.

Quand je penfe, chargé de cet emploi fublime, Plus noble que mon corps, un autre être m'anime.

Je trouve donc qu'en moi, par d'admirables nœuds,

Deux êtres oppofés font réunis entr'eux. .• •
Mais fur l'ame la mort ne trouve point de prife,
Un être fimple & pur n'a rien qui fe divife,
Comment périroit-il? Le coup fatal ay corps
Ne rompt que fes liens, dérange fes refforts.
Qu'eft ce donc que l'inftant où l'on ceffe de vi➡-
vre?

L'inftant où de fes fers une ame se délivre.
Le corps né de la poudre, à la poudre eft ren--

du,

L'efprit retourne au Ciel dont il eft defcendu...
D'où nous vient du néant cette crainte bizarre,.
Rien n'y rentre; en cela la nature est avare.
Si du fel ou du fable un grain ne peut périr,
L'être qui penfe en moi craindra-t-il de mou

rir?

B.

[ocr errors][ocr errors]

O mort! eft-il donc vrai que nos ames heureuses, N'ont rien à redouter de tes fureurs affreufes ? Et qu'au moment cruel qui nous ravit le jour, Tes victimes ne font que changer de féjour ? Quoi! même après l'inftant où tes ailes funebres

M'auront enfeveli dans de noires ténébres,

Je vivrois? Doux espoir ! Que j'aime à m'y livrer!.

Des fiécles à venir je m'occupe fans ceffe,
Ce qu'ils diront de moi m'agite & m'intéreffe;
Je veux m'éternifer, & dans ma vanité

J'apprens que je fuis fait pour l'immortalité.

Mais des biens d'ici-bas mon ame eft mécon¬

tente:

Grand Dieu, c'est donc à toi de remplir mon

attente..
......

Quand fur la Terre enfin je vois avec douleur
Gémir l'humble vertu qu'accable le malheur、
J'éleve mes regards vers un être fuprême,
Er je le reconnois dans ce défordre même.
S'il le permet, il doit le réparer un jour;
Il veut que l'homme efpere un plus heureux
féjour.

Oui, pour un autre tems l'Etre jufte & severe

Air que fa bonté réserve fa colere.

Racine, Poëme de la Religione

REMARQUE ́S.

On ne peut qu'admirer ici l'efprit de l'Auteur qui a fçu revêtir des couleurs de la Poëfie un fujet qui fembloit n'en pou yoir pas être fufceptible; il faut certai nement du travail pour avoir pu rendre en Vers, & en Vers très-bien frappés, des vérités qui font fi fort au-deffus de l'empire de l'imagination, & qui ont toujours paffé pour abftraites, puifqu'elles font ordinairement démontrées par des raifonnemens Métaphyfiques. Les réfle-xions que l'Auteur amene avec art fur une pareille matiere, font naître dans l'efprit une.noble idée de nous-mêmes, en penfant que nous fommes faits pour l'immortalité; cette pensée infpire natu rellement un fentiment de joye lorfque nous fentons l'excellence de notre nature, que des Efprits noirs voudroient confondre avec celle de la bête brute. C'est donc avec raifon que nous devons nous écrier avec le Poëte: Doux espoir ! que· j'aime à m'y livrer,

Les Vers fuivans font fur le même fu-jet, & quoique d'une main différente, ils ne méritent pas moins de trouver ici leur

« PreviousContinue »