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De sa propre démence adorateur crédule,
Et, sans avoir rien fait, se classant immortel,
Nous dise impudemment qu'on lui doit un autel,
Et que, s'il n'obtient pas la gloire du poëte,
D'un coup de pistolet il cassera sa tête !

Eh! malheureux, péris ! Plus tard, que ferais-tu ?
Vaniteux, énervé, sans talent, sans vertu,
Jaloux!.. (Tout médiocre est frappé de ce vice!)
Dans ce monde, dis-nous, quel serait ton office?
Quel rang y tiendrais-tu ? Débauché, fainéant,
Repoussant le travail, dans ton lâche néant,
Jusques à tes vieux jours croissant en ignorance,
La mort te surprendrait, grand homme en espérance.
Mais, si nous n'avions pas cette présomption;
Si nous mettions un frein à notre ambition;
Forts d'un savoir certain, tous, dès l'adolescence,
Marchions, d'un pas ferme, vers la toute-puissance.
Nous l'approchions souvent; et ce que vous rêvez,
Ce qui n'arrive pas à vos cœurs énervés,
Ce que n'obtiennent pas vos écrits romantiques,
Vos comiques grands airs, vos héros de boutiques,
Vos gilets de Marat, vos formes de pantins,
Vos journaux complaisants, vos succès clandestins,
Nous sûmes l'acquérir; et, sur le trône même,
Quelques uns, de mon temps, ont ceint le diademe.
Beaucoup ont obtenu les titres, les cordons;
Du prince et de l'Etat nous reçûmes les dons.
Admise au premier rang, notre jeunesse forte,
Des cours d'où l'on vous chasse alors s'ouvrit la porte.
Vous, qui nous outragez de vos cris insultants,
Offrez à nos regards vos héros de vingt ans.
Avez-vous parcouru l'Europe épouvantée
En nobles conquérants, en cohorte vantée ?
Du nord jusques au Nil, et du Tage au Niémen,
La terre fut pour nous un glorieux chemin.
Notre littérature, et nos arts avec elle,

De l'univers soumis est encor le modèle.

De votre ère, Messieurs, montrez-nous les travaux !
Nos héros, nos auteurs sont encor sans rivaux.
Offrez à nos regards, jeunes Frances superbes,
Vos Ducis, vos d'Anglas, vos Kléber, vos Malsherbes.
Où sont vos Kellermann, vos Desaix, vos Marceau,
Vos Verdier, vos Davoust et même vos Moreau?

De votre Massena, l'enfant de la victoire,
Que votre Béranger chaute la grande histoire!

Lannes, Caffarelli, Joubert... et mille encor!

Je n'épuiserais pas ce belliqueux trésor.

Pour de telles moissons vos champs sont infertiles !
Et nous revendiquons ceux qui vous sont utiles.
Nos conscrits sont chez vous de grands guerriers. Enfin,
De notre chrysocale on vous fait de l'or fin.

Vos splendeurs ne sont plus que des plaisanteries :
Qui voit, aux jours présents, autour des Tuileries,
Des embarras de rois, des soldats couronnés?
Vos princes comme alors sont-ils environnés
Du cortége pompeux des princes de la terre?
Et sur quel empereur gronde votre tonnerre ?
Modène vous offense, et son ressentiment,

Sans craindre vos efforts, vous brave hautement.
Ah! ce n'est pas ainsi, qu'en notre ère suprême,
Les plus grands potentats ceignaient le diadême.
Sur le front du plus ferme on le vit chanceler,
Et le cri d'un Français les faisait tous trembler.
Au déclin de ce temps, Alger, encor présente,
Vous dira ce qu'était notre France imposante.

Abordons les beaux-arts: nous eûmes Girodet;
Gérard, que l'Italie en pleurant nous cédait ;
Guérin, peintre charmant, au bon goût si fidèle;
Prudhon, trouvant toujours un gracieux modèle;
Gros, que l'ingratitude et la stupidité

Au gibet des journaux tout vivant ont jeté ;
Grand peintre, assassiné par ces plates gazettes,
Des demi-dieux du jour légitimes mazettes;
Raynaud, Meynier, Le Thière, et toi, jeune Vermay,
Lis brillant disparu comme la fleur de mai!
Valencienne, Richard, Greuze, peintre de l'âme,
Et le trio Vernet, que notre ère réclame;

David, qui rendit l'art; Ingre, au pinceau divin !...
Maintenant, présentons notre groupe écrivain;
De l'Empire insulté rappelons la magie.
Là, vivaient Lemercier et sa mâle énergie;
Le tragique Renouard, cet autre templier,
Qui, comme son héros, ne sut jamais plier;
Delille, aux vers brillants, et qui seul a su rendre
Et le païen Virgile, harmonieux et tendre,
Et le chrétien Milton, démocrate pieux,
Qui haïssait les rois etqui chantait les cieux.
De quel moderne auteur l'héroïque victoire
A chassé Bernardin de son trône de gloire ?
Combien encor de noms je dérobe aux regards,

Dont la splendeur viendrait blesser vos yeux hagards.
Mais, de Châteaubriand, quand je voile l'image,
Vous, à ce nom puissant, rendez le même hommage.
La science à son tour sur son trône appelait
La Grange, Hauy, Cuvier, Corvisard, Berthollet,
Chaptal, Darcet, Portal, La Place, Desgenette,
Larrey, que l'Empereur nomma le plus honnête;
Parmentier, Cassini..., tous savants renommés,
Faisceau prodigieux des noms les mieux famés.
Et toi, Napoléon ! toi, sublime colosse,
A la voix de tonnerre, à la marche véloce;
Dans tes immenses bras étreignant, sans efforts,
Les rois et les cités, les peuples et les forts.
Pourquoi de son génie une étincelle ardente
N'embrâse-t-elle pas une âme indépendante?
Pourquoi, dans le cercueil enfermée avec lui,
Sur un front jeune et fier n'a-t-elle pas relui ?
Non, tout a disparu, tout.... hors sa renommée,
De ce volcan éteint lumineuse fumée;

Et les peuples souffrants cherchent partout en vain
Un reflet échappé de ce rayon divin.

Généreux, économe, habile, adroit et sage,
Par mille monuments il marqua son passage
Il vit dans tous les cœurs. Tombez à ses genoux,
Insensés qui voulez vous placer avant nous !
Et l'on ose honnir l'époque où le grand homme
Étendait ses deux mains sur Hambourg et sur Rome!
Et vous dont, en son nom, je marque au front l'orgueil,
Vous n'osez même pas conquérir son cercueil !

Pour comprimer l'élan de notre beau courage,
Il fallut dans le Nord souffrir un grand naufrage,
Et que l'Europe entière, armant ses bataillons,
Du sang de tous ses fils engraissât nos sillons!
Et vous! qui veut dompter votre ardeur expirante
N'a qu'à faire jouer une pompe aspirante;
Trop faibles pour porter ce nautique fardeau,
Votre valeur se noie en quelques tonnes d'eau.

Çà, mes maîtres, venez et comptons, je vous prie.
Qu'avez-vous inventé? la camaraderie,

L'art d'être ridicule et le pouvoir vénal.

En Europe inconnus, rois chacun d'un journal,

A défaut de prôneurs vous devenez le vôtre,

Et chacun est de soi le messie et l'apôtre.

Nul de vous n'est entier au théâtre, partout, Plusieurs offrent leur part, et qu'ensemble l'on coud;

De vingt demi-auteurs le grotesque assemblage,
Sous un nom convenu place l'omnis-ouvrage.
Oui, tout écrit du jour, à la gloire promis,
N'est que le résidu de quatre ou cinq amis.
Désignerais-je ici ces tomes si célèbres,
Qu'enveloppent pourtant les plus noires ténèbres ?
On a l'auteur caché comme l'auteur actif;
Le chef-d'œuvre qu'on prône est toujours collectif.
Deux rimeurs composaient ces némésiques pages
Que l'on sut faire taire avec deux équipages,
Et de la Tour de Nesle on a construit le mur
Avec deux noms unis: l'un brillant, l'autre obscur.
Il en est un surtout que Paris idolâtre,

Vraiment inévitable aux journaux, au théâtre:
Deux ou trois cents auteurs s'entassent tous les jours
Dans ce nom convenu qui s'agrandit toujours;
Enfin, on a reçu dans notre académie
Ce nom, représentant toute une compagnie.
Quoi! tant de vanité pour un tel résultat !
Il vous faudrait cent rois pour régir votre État.
Hommes tous incomplets, votre maigre génie,
S'il n'est doublé, triplé, vainement s'ingénie.
Quoi! tant d'esprits fameux ne savent qu'emprunter;
Et recevoir d'autrui vous paraît inventer !

Et c'est quand tout Paris connaît votre faiblesse,
Impuissante au travail, que tout mérite blesse
Et quand, pour mendier un succès incomplet,
Vous vous mettez à dix pour rimer un couplet ;
Quand, chasseur à l'affût de la moindre pensée,
Votre muse expirante et de feu dispensée,
De çà, de là, s'en vient honteusement glaner
Ce qu'un impérial veut vous abandonner;
Quand, au roman d'autrui, vous trouvez toute faite
L'œuvre qu'un sot public proclamera parfaite;
Quand aucun d'entre vous encor n'a mérité
De prétendre aux honneurs de la postérité,
Que l'on ose insulter cette époque éclatante,

Où, du moins, chaque auteur restait seul dans sa tente,
Et tout seul obtenait ce triomphe flatteur

Que vous n'escamotez qu'en trompant l'auditeur.
Soi-même se vanter, imprimer ses éloges,

Pour feindre un grand succès louer toutes les loges,
N'en céder qu'aux prôneurs, aux amis, aux parents,
Parler de liberté sans moins être tyrans,

Feindre l'égalité, visant au despotisme,

Français pas plus qu'Anglais, mais jouant le civisme,
Payer dans les journaux des articles menteurs,
Ainsi font aujourd'hui vos petits grands-auteurs.
Leur charlatanerie à nulle autre est pareille :
Le plus sot rimailleur, qui nous brise l'oreille,
Se pose en Jupiter, et, plein de vanité,
Lui-même érige un culte à sa divinité.

Chers enfants, croyez-moi, laissant là l'hyperbole,
Vos grands hommes obscurs, Q...., D... et B..,
Livrez-vous par l'étude à d'utiles travaux ;
Fuyez les faux amis, recherchez vos rivaux;
Que tout succès soit franc, et non plus en idée;
Que par le vrai public votre palme accordée,
Vous soit titre d'honneur et non titre d'affront,
Que sans aucun partage elle orne votre front;
Que chacun puisse dire, en lisant vos volumes :
Ils sont de tel tout seul, et non de trente plumes.
Laissez le commerçant écrire en son cartel:
Maison de commandite et sous raison de TEL.
Isolez-vous..... Alors, votre gloire augmentée
Vous sera personnelle et non pas empruntée;
Et vous parviendrez seul à l'honneur du renom
Sans que dix noms obscurs éteignent votre nom.

Alors si, contre nous, votre haine conspire, Vous aurez quelque droit de combattre l'Empire, D'en nier les héros, d'en siffler les auteurs. Mais, pour arriver là, devenez créateurs. Car, qui bien vous connaît hors votre coterie? Quel roi vous rend le but de sa coquetterie ? Quel Voltaire imbarbu, sous son sceptre d'airain, Range-t-il de nos jours le moindre souverain? Du Ferney d'à présent me direz-vous la route? Quel auditoire entier vous suit et vous écoute? Quels nobles étrangers ornent votre salon? Qui de vous monte au ciel, si ce n'est en ballon? Nul ne vous voit à l'aigle emprunter son tonnerre, Et qui veut vous trouver ne vous cherche qu'à terre.

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