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fait tomber. La dépravation des mœurs amena la révolution qui vient de finir; une ère nouvelle commence. La jeune magistrature souveraine, ne possédant le prestige ni de l'antiquité, ni de la noblesse, ni de ses alliances avec les autres familles royales, doit y suppléer par un retour franc aux bonnes mœurs, à la vertu, et, chez les femmes, à la pudeur de leurs aïeules. Ma compagnie n'est pas une cour, c'est une société où des vices élégants ne sont pas des titres. J'ai besoin qué ma femme soit respectée; et, pour y parvenir, je dois l'environner de personnes de son sexe investies de l'estime, de la considération publiques. Vous ne pouvez, par malheur, me présenter ces conditions absolues; vous vous dites calomniée, je ne vous crois que frappée par la médisance dans cet état vous ne pouvez être admise chez la femme du premier consul; cependant, si vous êtes la victime du mensonge, prouvez-le par faits et articles, mais surle-champ... Je crois qu'il vaut mieux vous donner le temps de vous remettre : ajournons-donc une explication à laquelle vous n'êtes pas préparée; si jamais vous pouvez la reprendre, je serai prêt à vous ouïr.

Un salut digne commanda le départ; madame T.... furieuse, désoléc, sortit et, traversant rapidement les salles, au lieu d'aller retrouver Joséphine qui l'attendait, courut cacher dans son hôtel son dépit et sa rage, et jurer à Napoléon une haine éternelle.

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Installation solennelle du premier consul aux Tuileries. Vision sin

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Première soirée aux Tuileries.

gulière. Acteurs de la causerie. - Le caveau de saint Charles Borromée à Milan, L'homme rouge de la grande pyramide d'Égypte. — Autre récit fantastique.

Le 7 février 1800, et dès le matin, une double haie de soldats de toutes armes bordait la ligne de rues et de quais qui s'étend du Luxembourg aux Tuileries. Une foule nombreuse, paisible, charmée, se pressait derrière ces murailles vivantes qui étincelaient, soit par les casques, soit par le reflet parti des baïonnettes, lorsque le soleil les frappait de ses rayons. Des chœurs de musique, de distance en distance, exécutaient des airs nationaux. Cependant, la porte principale du Palais du Luxembourg s'étant ouverte, d'abord

on en vit sortir la garde municipale parisienne, puis plusieurs régiments de cavalerie: des lanciers, des cuirassiers, des dragons, des guides. A leur suite, et dans des voitures, dont la plupart n'étaient que des fiacres déguisés, apparurent tour à tour les corps principaux de l'État, soit entiers soit par députations:

Le Corps municipal de Paris;
Le Tribunal de première instance;
Le Tribunal civil de la Seine;

Le Tribunal de cassation;

La Comptabilité nationale;

Les Classes de l'Institut de France;

Le Conseil d'État ;

Le Tribunat;

Le Corps-Législatif;

Le Sénat conservateur.

Ici la file des carrosses était interrompue; de nouvelles troupes à cheval, une multitude d'officiers généraux et supérieurs précédaient un dernier équipage où étaient réunis les trois consuls de la République française dans leur grand costume d'apparat. Les aides-de-camp de Napoléon Bonaparte caracolaient aux portières; un corps brillant de mamelucks, dans leur riche costume étincelant d'or, d'argent, de diamants et de pierreries, accompagnait ou plutôt veillait sur le chef de l'État. Des musiques militaires exécutant des fanfares triomphales fermaient le cortége,

tandis que, dans le lointain, on entendait gronder les canons du Pont-Neuf et ceux des Invalides.

Quelle était donc cette cérémonie nouvelle, imposante, et qui semblait tant réjouir les Parisiens? C'était le premier consul de la République, Napoléon Bonaparte, qui, pour rendre le pouvoir plus vénérable, allait installer dans sa personne, au palais des Tuileries, le gouvernement dont il était la réalité. Le Directoire, en se reléguant au Luxembourg, avait, par cette faute, laissé croire que, se sentant usurpateur et sans mandat national, il n'osait pas se loger dans l'ancienne demeure de l'autorité légitime. Bonaparte avait vu cette faute et n'avait eu garde de l'imiter. Aussi, dès que ce séjour pollué par les comités de salut public, de sûreté générale, etc.; profané par les attaques des 20 juin et 10 août 1792, eut été restauré et mis en état d'habitation convenable, il ne manqua pas de venir l'occuper.

Déjà Joséphine, partie la première, était entrée dans la maison royale, et, le cœur gros d'émotions et les yeux remplis de larmes, avait été, ce matin même, introduite dans l'ancienne chambre à coucher de la Reine. L'agitation de ses sens était telle, que, dans un moment où madame Bonaparte se trouva seule, elle crut voir l'ombre de la feue Reine sortir d'un angle obscur de la salle, traverser celle-ci et disparaître dans l'embrasure d'une fenêtre. Cette fascination revêtit tellement

tous les caractères de la réalité, que Joséphine, poussant un cri horrible, tomba à demi évanouie sur une ottomane, relique de l'ancien ameublement.

Ses belles-sœurs, qui parcouraient les autres pièces, ses femmes de service, qui prenaient possession de leurs chambres, accoururent à ce terrible appel... Elle, déjà remise de sa frayeur involontaire, se releva, et, à la vue de cette foule étonnée, comprit la nécessité de lui donner le change. Prévenant toute question :

-Oh! dit-elle, les vilains, les énormes rats qui se promènent ici; je viens d'en voir deux d'une grosseur...

Elle s'arrêta, car elle reconnut que sa ruse n'avait pas de succès. La vue d'un faible animal n'eût pu renverser à ce point sa physionomie. Déjà on la pressait de questions, car certainement, disaiton, elle devait avoir vu quelque chose. Elle-même cédait au besoin de conter ce qui s'était passé, lorsque des cris poussés vers le ciel, la détonation de l'artillerie, le roulement des tambours, le bruit harmonieux des instruments à vent, annoncèrent que le premier consul approchait. On avait préparé pour madame Bonaparte la dernière fenêtre de la galerie du Musée; elle y courut, et, dans la pompe de la cérémonie, oublia complétement, pour cette journée, l'illusion mystérieuse qui lui avait causé tant d'effroi.

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