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poignards, et ce despotisme d'opinion qui rend cruel l'homme puissant, finirent ainsi par flétrir la gloire d'Hadrien, lui qui, en montant sur le trône, avoit dit cette belle parole, en parlant de son ennemi capital: Evasisti, « Tu es sauvé » (q). Un pareil changement auroit - il donc été l'effet de l'amour-propre? Si le sien eût mieux connu ses véritables intérêts, il l'auroit convaincu qu'un prince doit être le protecteur et non le rival des gens de lettres; qu'au lieu d'embrasser tous les genres, il valoit mieux en choisir un analogue à sa dignité; enfin, que des prétentions ne sont jamais des titres celles d'Hadrien alloient jusqu'au ridicule; il s'efforçoit de passer tout-à-la-fois pour philosophe, géomètre, astrologue, médecin, jurisconsulte, orateur, critique, rhéteur, grammairien, poëte, musicien, peintre, statuaire, architecte, &c. (r). En vérité, on seroit presque tenté de lui appliquer en entier l'épigramme si connue de Rousseau, qui finit en ces termes :

:

Chrysologue est tout, et n'est rien.

Marc-Aurèle, en parlant de lui-même, semble avoir voulu peindre par opposition Hadrien; du moins fait-il des allusions sensibles au caractère de ce prince. Il se représente sans jalousie, avouant la supériorité des autres, soit en éloquence, soit en philosophie, soit dans la connoissance des lois. Il dit avoir appris de Sextus à être savant sans ostentation; de Diognète, à mépriser les études frivoles, et à n'ajouter aucune foi aux magiciens et aux imposteurs de toute espèce; de Rusticus, à ne point imiter les sophistes et à dédaigner l'art de la déclamation oratoire. Il remercie les dieux de n'être passionné ni pour la rhétorique ni pour la poésie, et, avec le goût de la philosophie, de n'avoir pas perdu Mare. Anton. Son temps à lire toute sorte d'auteurs, à étudier la logique ou de Vit. sua, c. 1, la physique. Il loue encore Marc-Antonin de n'avoir point été sophiste, de s'être garanți de la passion des bâtimens (s), et de

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10 &c.

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celle des beaux esclaves. Tous ces traits me paroissent lancés indirectement contre Hadrien, sur lequel Marc-Aurèle affecté d'ailleurs de garder le silence. Quoique Marc-Antonin eût élevé à Putéole ou Pouzzole un temple en l'honneur d'Hadrien son prédécesseur, cependant il n'étoit guère attaché à la mémoire de ce prince; du moins si on en peut juger par l'apologie que S. Justin lui présenta, dans laquelle il parlé sans ménagement d'Antinous et de son culte (t). L'empereur Julien, qui avoit tant de rapport avec ce même Hadrien (v), ne l'épargne pas dans sa satire des Césars, s'exprimant sur son compte de la manière suivante: «< Après Trajan, vint un homme fier, à barbe longue » et vénérable. Il se piquoit, entre autres choses, de musique; il regardoit le ciel à toute heure, et s'agitoit beaucoup pour >> connoître des mystères impénétrables (x). Que pensez-vous » de ce sophiste, dit Silène, en le voyant? Cherche -t-il ici » Antinous? Qu'on lui apprenne que ce jeune favori n'est point Julian. Cæsar. parmi nous, &c. » On s'attend à ce dernier trait: mais Julien in op. ed. Petav. t. II, p. 1ì - 12. auroit dû être plus équitable envers Hadrien, ne fût-ce que pour justifier ses propres goûts. Peut-être étoit-il aussi jaloux de ce prince qu'ennemi de Constantin, objet principal de sa satire, moins ingénieuse qu'indécente, sur-tout dans la bouche d'un empereur. L'amour d'Hadrien pour les lettres et les arts étoit sincère, et temple d'Agrippa, le pont Sublice, le | Antinous servus Hadriani Cæsaris, cui phare de Gaïette, le port de Terracine, et gymnicus Agon exercetur. Script. eccles. les bains d'Ostie, les aqueducs d'An- tom. V, pag. 110. Mais Antonin se respectium, &c. Jul. Capitol. Vit. Anton. pag. toit trop lui-même pour laisser paroître 266. Ce fut par son ordre qu'on éleva ce en public ses véritables sentimens contre magnifique temple périptère et décastyle, son prédécesseur son prédécesseur His quos Adrianus à Héliopolis du Liban, lequel fait encore damnaverat, in senatu indulgentias petiit, l'admiration des voyageurs. Parmi plu- dicens, etiam ipsum Adrianum hoc fuisse sieurs ouvrages qu'il fit exécuter dans les facturum. Jul. Capitolin.pag. 259. Paroles villes d'Asie, on doit aussi remarquer le pleines de noblesse et de générosité. pavé d'Antioche, composé de pierres de granit qu'on y avoit transportées de la Thébaïde. Malal. Chron. pag. 367.

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(1) S. Justin. Apolog. pag. 43. Hégesippe, qui écrivoit à la fin du règne d'Hadrien, ou au commencement de celui de Marc-Antonin, s'exprimoit en ces termes, suivant la version de SaintJérome: Tumulos mortuis templaque fecerunt, sicut usque hodie videmus : e quibus

:

nommé Græculus; de même on traitoit
(v) On a vu que celui-ci étoit sur-

Julien de Litterio-Græcus. Amm. Marcel.

lib. XVII, cap. 11.

(x) Hadrien, pour connoître l'avenir, immola son favori Antinoüs. Julien est accusé d'avoir fait périr, par un semblable motif, quantité de jeunes gens. Theodoret, Hist. ecclesiast. lib. III, cap. 26 et 27.

111, cap. 2.

il n'épargna rien pour les encourager: c'est une justice qu'on doit lui rendre, malgré tous ses caprices et les excès coupables de son amour propre. On a remarqué avec raison qu'après sa mort, Tiraboschi la décadence de la littérature à Rome fut très-rapide. Peut-être Istor. litter. lib. néanmoins y contribua-t-il lui - même de son vivant, ou la prépara-t-il par une sorte de prédilection pour la langue Grecque, qui régna en Orient et de toute part jusqu'au Iv. siècle (y). Cette langue, regardée comme celle des gens de lettres de quelque nation qu'ils fussent, étoit devenue presque vulgaire dans toute l'Italie; et les empereurs Romains, pour la plupart étrangers, Dio Cass. l'introduisirent au barreau, dans le sénat même. Marc-Aurèle, 1. LVII, 5.15, qui n'avoit les talens de Cicéron, ne put ou ne voulut rendre qu'en grec ses pensées philosophiques. On voit encore, par quantité de noms Latins insérés dans la nomenclature des écrivains Grecs du 11.e siècle, combien la littérature Romaine perdit Muret. Orat. d'hommes capables de la cultiver; et l'on ne doit plus être étonné XVII, tom. I, qu'à cette époque la langue Latine fût déjà très-altérée.

1. LX, §. 8 &c.

pag. 402.

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Hadrien réunit les gens de lettres et les artistes dans une espèce d'académie qu'il avoit appelée Atheneum (z): mais cet établissement n'eut pas tout le succès, qu'il en attendoit. Malgré cela, il seroit peut-être parvenu à faire refleurir les arts, et à créer une nouvelle école, si son goût eût été plus sain et moins bizarre. Il fit un mélange du style Égyptien avec le style Grec, et chercha à conserver l'Étrusque; ou plutôt il ôta à tous leur caractère original et distinctif. Sans doute qu'il existe de beaux monumens de ce siècle;

|

défendit de s'en servir dans les registres publics, et y substitua l'arabe. Theoph. Chronograph. pag. 314.

(y) C'est dans ce siècle que les princes de la race des Sassanides cherchèrent à étouffer dans l'Asie la langue d'Homère, en faisant brûler les livres Grecs. (2) Aurel. Vict. de Cæsar. cap. XIV; Mos, Choren. Hist. Armen, lib. III, Dio, Exc. lib. LXX111, §. 17. Les poëtes cap. 54. Les Perses ne se servoient plus et les rhéteurs s'assembloient encore dans alors que de l'alphabet Syriaque. S. Epi- ce lieu au temps des Gordiens, qui se phan. de Haresib. lib. 11, cap. 12. Cette plaisoient à les écouter. Capitol. Vit. dernière langue avoit commencé à se ré- Gord. tom. II, pag. 77. Cependant on pandre dans le siècle d'Hadrien par les n'abandonna pas entièrement les porécrits de Bardesane, qui l'avoit perfec-tiques du temple de la Paix, où Vespationnée. Euseb, Hist. ecclesiast. lib. IV, cap. 30. Enfin la langue Grecque cessa entièrement d'être dominante en Asie sous Justinien, lorsque le khalife Valid

sien avoit formé un pareil établissement, qui étoit encore fréquenté sous le règne de Dioclétien. Trebel. Pollion, Vit. trig. Tyran, pag. 340.

lib. VI, cap.7.

mais on s'aperçoit qu'on y a moins imité la nature, que copié les anciens artistes. Au reste, la durée de cette espèce d'école fut très-courte; à peine arriva-t-elle jusqu'à la troisième génération, et elle disparut sous Commode et ses successeurs. Un pareil établis- Winkelmann, sement ne pouvoit subsister long-temps avec ce défaut de talens Hist. de l'Art, et cette pénurie d'idées qui naissent de l'épuisement, de la lassitude et de la satiété. Vainement les princes puissans ont cherché à y remédier, et à ressusciter pour ainsi dire l'esprit humain; il Agricol.c. III. fut toujours plus aisé d'étouffer le génie, d'éteindre l'amour des lettres et des arts, que de les ranimer. Sic ingenia studiaque oppresseris faciliùs quàm revocaveris.

Tacit. Vit.

111.

M mm

Tome XLIX.

L'an 854 de

TABLE

Des HOMMES CÉLÈBRES dans les Lettres et les Arts au siècle d'HADRIEN, le second de l'ère Chrétienne.

CETTE Table a été rédigée pour présenter un tableau exact de tous ceux qui se sont distingués dans la carrière des sciences et des lettres, et pour suppléer en quelque sorte aux détails que j'ai été forcé de supprimer dans la dissertation précédente. Chaque homme y est placé au temps où il florissoit, seule règle qu'on puisse suivre faute de témoignage suffisant sur les naissances et les morts. Jamais l'ordre chronologique n'est interverti dans ma Table; et rien n'y a été avancé sans preuves, ou du moins sans de grandes probabilités, sur-tout lorsque j'ai cru devoir m'écarter de l'opinion commune. Les Romains, nés, pour la plupart, en différentes villes d'Italie, sont seulement désignés par leur prénom, et les autres par leur patrie, quand elle nous est connue. Deux astérisques marquent les écrivains qui nous ont laissé des ouvrages considérables ou entiers; une astérisque désigne ceux dont il ne nous reste que d'assez longs fragmens ou quelques pièces de vers; enfin une croix indique le petit nombre d'auteurs dont les bibliothèques recèlent encore des écrits inédits.

la fondation de✶✶

Rome, 101 ans

depuis J. C. la ✶✶

iv. de Trajan.

Ulpius Trajan, historien.

Théodore de Tripolis en Syrie, mathématicien.

Menelauis d'Alexandrie, mathématicien et astronome.
Nicète de Smyrne, rhéteur.

** Épictète d'Hiérapole en Phrygie, philosophe Stoïcien.
** Dion-Chrysostome de Pruse, rhéteur.

* Rufus d'Ephèse, médecin et poëte.

Passienus-Paulus, grammairien Latin et poëte élégiaque.
Juste de Tibériade, historien.

** Sextus-Jul. Frontin, strategmatique et architecte.
C. Fannius, historien Latin.

Calpurnius-Pison, écrivain érotique Latin.
Annianus, poëte Latin.

Isée d'Apamée, rhéteur.

* Aristide-Quintilien,

** Bacchius,

** Alipius,

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...

musiciens techniques.

Pollion d'Alexandrie, grammairien biographe.
Velius-Longus, grammairien Latin.

* Héliodore, médecin anatomiste.

Pompeius-Saturninus, rhéteur et poëte Latin.
Suras, philosophe Stoïcien.

** C. Plinius-Secundus, grammairien et rhéteur Latin.

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