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humaines (d). Oui, sans doute: mais Pline, s'apercevant des effets, en méconnoît la cause première; la lumière dont il parle n'étoit pas celle qu'il imagine, et l'univers dut seulement aux Romains d'en avoir facilité la propagation par leurs vastes conquêtes.

(d) Æternum quæso deorum sit mu- lucem, dedisse rebus humanis videntur. nus istud. Adeò Romanos, velut alteram | Lib. XXVII, cap. 1.

DISSERTATION

Sur le goût de l'empereur HADRIEN pour la Philosophie, la Jurisprudence, la Littérature et les Arts;

Par G. E.-J. GUILHEM DE SAINTE-CROIX.

AVANT de monter sur le trône des Césars, Hadrien avoit été à l'école de la philosophie; et, pendant tout son règne, il ne cessa de témoigner plus ou moins de confiance à ceux qui la cultivoient, et parut toujours se plaire dans leur société. Favorin, Héliodore, Denys de Milet, Polémon, Secundus, Arrien et Hérode-Atticus, furent les philosophes qu'il fréquenta davantage. Peut-être connut-il encore Épictète. Il récompensa Plutarque, qu'on assure avoir été précepteur de Trajan, et le fit procurateur Syncell. Chrode la Grèce ; mais on ne voit pas qu'il ait jamais eu de liaisons nic. pag. 349. avec ce grand homme. Entrons dans quelques détails sur ces philosophes ou sophistes, afin que l'on connoisse mieux le goût et le caractère d'Hadrien (a).

Épictète est sans doute un des hommes qui ont le plus illustré la secte des Stoïciens; ses mœurs ne démentirent pas ses écrits, et il ne se déshonora point par l'ambition et l'intrigue, comme plusieurs philosophes de la même secte, sous les règnes précédens (b). Quelques éloges qu'il ait mérités, il faut néanmoins avouer que sa doctrine est empreinte de ce fol orgueil dont les sectateurs de Zénon semblent avoir fait profession; un froid égoïsme, une apathie philosophique, et cette rigueur désespérante qu'on prend (a) Parmi ces philosophes, Arrien | auroit sans doute mérité quelques détails particuliers; mais je les donne dans un autre ouvrage (Exam. critiq. des Hist. d'Alex., pag. 25). Je ne parlerai pas non plus d'Hérode-Atticus, que M. de Burigny et M. Fiorillo ont fait suffisamment connoître. (Acad. des inscr., tom. XXX, p.1&c. De Herod. et ejus scriptis, in edit. hujus auctor.) J'ajouterai seulement aux recherches de ces savans, qu'Hérode

ayant obtenu le trône sophistique, o✈ Spórov
Evopisov (Sopatri Prolegomen, in
Aristidem, p. 2), devint par-là le chef
de l'école d'Athènes.

(b) « Afin de renverser l'État, dit
» Tacite, ils préfèrent la liberté ; et
» s'ils y parviennent, ils attaquent cette
» même liberté. » Ut imperium evertant,
libertatem præferunt; si perverterint, liber-
tatem ipsam aggredientur. Annal. lib. XVI,
cap. 22.

tete, p. 74.

I,

Fabric.

faussement pour de la vertu, sont les stériles et dangereux sentimens qui naissent de la lecture des maximes d'Épiciète : elles étoient peu propres à lui captiver la bienveillance d'Hadrien, et je doute même qu'il ait vécu jusqu'au règne de ce prince. Spartien Spartian. Vit. est le seul écrivain qui nous l'atteste, et le savant Dacier me August. tom. I. paroît très-fondé à rejeter son opinion. Esclave d'Épaphrodite, pag. 159; Da- affranchi de Néron, Épictète aura été du moins fort âgé lorscier, Vie d'Epic qu'Hadrien monta sur le trône (c). Le témoignage de Spartien et la réputation d'Èpictète ont pu suffire pour accréditer l'opinion de la familiarité du philosophe avec ce dernier empereur, et pour faire supposer un écrit contenant des questions sur des objets de morale et de philosophie dans lequel Hadrien interroge Épictète et celuiAltercatio Ha- ci répond. Mais rien n'est digne, dans cet écrit, des interlocuteurs; driani et Epic- la plupart des réponses ne sont que des trivialités, ou des compaBibl. Grac. t. raisons, les unes fausses, les autres ridicules. Par exemple, l'empeXIII, p. 563. reur demande qu'est-ce qu'un ami? Il ressemble, dit le philosophe, au citron; riche au dehors, il cache au dedans un fruit acide. Quelques-unes des réponses sont cependant fort sensées : Qu'est-ce que la paix? une liberté tranquille. Qu'est-ce que la liberté? l'innocence ou la vertu. On s'accorde donc avec raison à regarder cette pièce Hist. crit. phi- comme l'ouvrage d'un faussaire, qui n'a pas craint d'y mêler du losoph., tom. II, platonisme, même du christianisme, et qui a mal saisi la tournure P. 571 et 72. d'esprit d'Hadrien. Ce prince n'aimoit à faire des questions que pour Philost. Vit. disputer et montrer qu'il étoit supérieur aux autres. Celles qu'on Sophist. lib. 1, met encore dans sa bouche, en parlant au philosophe Secundus Olear. d'Athènes, sont également supposées, et les réponses me paroissent Ap. Fabric. moins soutenables que les premières dont j'ai fait mention. PeutXIII, p. 573· être qu'un écrit à-peu-près semblable, en grec, et attribué à ce

teti, ap.

Vid. Bruck.

cap. 26, et not.

(c) Aulu-Gelle, qui écrivoit sous les Antonins, après avoir fait mention de Diogène, de Zénon, d'Épicure, dit que la mémoire d'Epictète est plus récente, recensior est memoria (lib.11, cap. 18); ce qui ne détermine rien sur l'âge de ce dernier philosophe. Le passage rapporté par Brucker (Hist. crit. philosoph. tome II, p. 563), n'est pas plus décisif. Quoi qu'il en soit, on ne peut guère douter qu'Epictete n'ait encore vécu au commencement de ce siècle, puisque Favorin lui adressa un

ouvrage (Galen. de optim, doctrin. c. I, tom. I Op. p. 16. ); et il n'est pas impossible qu'Hadrien, dans sa jeunesse, ait été lié avec Epictète, comme il le fut depuis avec les hommes connus en tout genre, suivant ce passage de Spartien : In summâ familiaritate Epictetum et Heliodorum philosophos, et (ne nominatim de omnibus dicam) grammaticos, rhetores, musicos, geometras, pictores, astrologos habuit; præ cæteris (ut multi asserunt) eminente Favorino. Pag. 159.

philosophe, est de lui; mais Hadrien n'y entre pour rien. Je pense que c'est d'après son goût connu pour la dispute, qu'on aura fabriqué toutes les pièces où cet empereur joue un rôle : malheureusement les premiers faussaires ont eu bien des imitateurs, surtout dans le moyen âge.

Hadrien chérit particulièrement Héliodore, le combla d'honneurs et de richesses, et le prit pour l'un de ses sécretaires. Ce philosophe avoit le talent d'écrire au point d'exciter la jalousie de Denys de Milet, qui fut toujours son ennemi: celui-ci eut toutefois part à la faveur d'Hadrien, qui le fit chevalier Romain. Denys eut à son tour pour adversaire, Caninius Celer, habile rhéteur Grec, et secrétaire de ce prince. L'un et l'autre méritèrent sa faveur par leur complaisance dans la dispute: Hadrien ambitionnoit de remporter l'avantage sur eux; il n'oublioit rien pour Sophist. lib. 1, entretenir leurs animosités personnelles, et leur susciter chaque jour de nouveaux antagonistes. Un amour-propre désordonné, et le desir aveugle de faire paroître en tout sa supériorité, finissoient souvent par lui inspirer de la haine contre les personnes que leurs talens ou leurs lumières distinguoient de ce nombre étoit Favorin.

:

Philost. Vit.

cap 22, §. 3.

Vid. Fabric. Biblioth. Grac.

Noct. Attic.

Ce philosophe, très-célèbre dans le second siècle, naquit à Arelate ou Arles; il fut disciple de Dion-Chrysostôme, et suivit les opinions des Académiciens (d). Il composa beaucoup d'ouvrages, dont aucun n'est parvenu en entier jusqu'à nous; et les lib. 11, p. 5. morceaux qu'en rapporte Aulu-Gelle, doivent nous les faire vivement regretter. Favorin en avoit dédié quelques-uns à Hadrien, qui s'entretenoit familièrement avec lui; il fut préféré d'abord à lib. xII, cap. 1, tous les autres, sans doute parce qu'il savoit céder dans la dispute, 2, lib. XVII, même lorsque la raison étoit de son côté. Ses amis lui reprochant cap. 26. cette complaisance, il répondit : « Pourquoi ne voulez-vous pas Spart. vit. que je regarde le maître de trente légions comme le plus savant Adrian. p. 159. homme du monde? Mais la jalousie d'Hadrien étoit trop Ibid. p. 150.

כן

כג

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(d) Lucian. Eunuch. §. VII, tom. II Op. pag. 356. C'est-à-dire, de la nouvelle académie fondée par Carnéade: ce philosophe paroît avoir été disciple de Philon, et il soutenoit, comme lui, qu'on ne pouvoit rien comprendre, ou plutôt qu'on ne

saisissoit rien. Galien l'a combattu avec
beaucoup de force, et lui a reproché sur-
tout d'avoir changé la signification des
mots pour faire valoir son système, quoi-
qu'il affectât l'atticisme. De optim, doctrin.
tom. I, c. 1, p. 16 &c.

lib. XIV,

cap. 1

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ennemie du vrai mérite, pour que Favorin ne tombât pas dans la disgrace. Les Athéniens eurent alors la bassesse d'abattre les statues Philost. Vit. qu'ils avoient élevées, non au philosophe, mais au favori du prince. Sophist. lib. 1, Favorin, sans s'émouvoir, dit : « Socrate auroit préféré cet affront à cap. 8, 5.3. la ciguë.» Cependant il reparut à la cour, et eut la hardiesse de Ibid. cap. 11. dire à l'empereur qu'il s'applaudissoit de trois choses: la première, que, né Gaulois, il parlât grec; la seconde, qu'étant eunuque il eût été appelé en justice pour cause d'adultère; et la troisième, que, malgré sa mésintelligence avec lui, il étoit encore en vie. Je ne sais si Hadrien sentit toute la force de ce dernier trait le premier manquoit de justesse; et l'autre n'est pas si extraordinaire Favorin se l'imaginoit : celui-ci pouvoit faire beaucoup de tort à sa réputation; du reste je m'abstiens de rapporter les réflexions Var. lection. que Muret s'est permises à ce sujet. Les Stoïciens, et sur-tout les lib. x, cap. 11. Cyniques, ne cessoient de poursuivre Favorin: ils lui reprochoient

que

:

ses manières efféminées, et le ton lâche de ses discours. Favorin ayant demandé un jour à Démonax quels étoient ses titres à la Lucian. Vit. philosophie? ma virilité, lui répartit ce dernier. C'étoit toujours tom. II, p. 381. sur un pareil sujet que rouloient les plaisanteries et les sarcasmes des ennemis de Favorin.

Demon., S. 22,

Philostr. vit.

L'empereur ne voulant point faire éclater sa haine contre lui, ni user de violence à son égard, employa ses moyens ordinaires, en lui suscitant des rivaux malveillans et dangereux. Polémon, de Laodicée sur le Lycus, fut le principal. Il avoit à Smyrne son Sophist. lib. 1, école, sur laquelle Hadrien répandit ses largesses; il fut exempté c. XXV, §. 2. de toute charge ou imposition par terre et par mer. Ce philosophe Ibid. §. 3. réconcilia Antonin-Pie avec Hadrien, qui déclara dans son testament avoir disposé de l'empire d'après ses conseils. Polémon fut donc le seul qui conserva tout son crédit auprès de ce dernier prince mais il ternit sa gloire par l'envie qu'il laissa paroître contre Favorin. I le comparoit à une vieille, lui faisant les reproches ordinaires sur son état de nullité physique, et il applaudissoit aux mauvais propos que le sophiste Timocrate tenoit sur son compte. Polémon étoit aussi fort lié avec Euphrate de Tyr (e), Stoïcien, auquel Hadrien permit de se donner la mort en buvant de la ciguë. Il falloit le sénat approuvât une pareille résolution, que

Ibid.

Ibid. §. 9.

Dio Cass. Exc.

1. LXIX, §. 8.

:

(e) Voyez son éloge dans Pline, l. 1, ep. 10,

sans

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