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Cette digression n'est pas absolument étrangère à mon sujet, puisqu'elle achève de faire connoître la politique d'Auguste. II vouloit bien qu'on rendît des honneurs à Livie; mais il ne poussa jamais la foiblesse à l'égard de cette femme artificieuse et despotique, jusqu'à lui laisser élever des temples dans Rome: cela auroit trop blessé les regards de la multitude, et ne s'accordoit nullement avec les formes républicaines qu'il affectoit de respecter, en réunissant toutefois les pouvoirs attachés aux diverses magistratures. La véritable constitution de l'empire Romain consista désormais dans cette réunion, comme l'ont prouvé deux savans écrivains (b), qui ont bien approfondi la matière. Aussi ne prétends-je donner sur ce sujet important que des éclaircissemens, et faire quelques observations qui m'ont paru leur avoir échappé. Peut-être acheveront-elles de faire connoître le caractère et la politique d'Auguste, prince qui, malgré ses vices et ses crimes, mérita la reconnoissance du genre humain, pour avoir sauvé et même perfectionné sa civilisation, et pour être parvenu enfin à fermer véritablement le temple de Janus, en faisant cesser tant de guerres qui ensanglantoient depuis si long-temps l'univers ; titres de gloire que rien ne sauroit effacer ni affoiblir,

(b) Jean-Fran. Gronovius, Disser- | tation sur la loi royale, traduite par Barbeirac, avec des notes, 1731; La Bletterie, Traité de la nature du gouvernement Romain sous les empereurs;

Acad. des inscr. tom. XXI, pag. 299 ; De la Puissance tribunitienne des empereurs, t. XXV, p. 392; Dissertation sur l'empereur Romain dans le sénat,pag. 438.

OBSERVATIONS

OBSERVATIONS

SUR LA CLÔTURE DU TEMPLE DE JANUS;

Par G.-E.-J. GUILHEM DE SAINTE-CROIX.

23 avril 1793.

Jani templum

Christo

nascente reseratum. Tr.

PLUS un sujet offre de difficultés, plus il est permis d'y revenir, Lues les 19 et sinon pour le traiter de nouveau, du moins pour faire des observations sur les endroits qui n'ont point été assez éclaircis. C'est ce qui me détermine à examiner l'opinion de quelques savans, sur la clôture du temple de Janus à Rome, et principalement celle de Jean Masson, qui, pour fixer l'année précise de la naissance de Jésus-Christ, s'est attaché à discuter les époques de cette céré- chron, histor. monie faite par Auguste; ce que le célèbre Képler et le ministre in-12, 170. Blondel avoient imaginé avant lui. Philippe Venuti, dans une dissertation qui a remporté le prix proposé par l'Académie en 1740, examine combien de fois on a fermé le temple de Janus, en parcourant toute l'histoire Romaine depuis Romulus jusqu'à l'abolition du paganisme à Rome (a). Quoique moins entraîné que Masson par l'esprit de système, Venuti me paroît n'avoir pas aperçu la vérité, ou du moins n'avoir pas présenté son sujet de manière à la rendre sensible; il faut donc la chercher dans le Tit. Liv. I. 1, récit des anciens historiens.

b

cap. 19.
b Vell. Paterc.
lib. 11, cap. 38;
Flor. lib. iv,
cap. 12; Suet.

22; Plut. vit.

Tite-Live a et plusieurs autres écrivains assurent que le temple de Janus ne fut fermé que deux fois depuis la fondation de Rome jusqu'à la fin de la République: la première sous Numa, vit. Aug. cap. instituteur de cette cérémonie; et la seconde à la paix qui termina Ñum. tom. I la première guerre Punique. Si, dès que l'État n'étoit plus en pag. 158; §. guerre, ce temple se fermoit exactement, il auroit dû l'être plus Dei, lib. 111, souvent. Les Romains ne quittèrent-ils donc jamais les armes, cap.9; Serv. et les peuples voisins les forçoient-ils toujours à les garder? On pag. 451, &c.

(a) Dissertation sur le temple de Janus, | Italienne, dans le Recueil de l'Acadépubliée d'abord séparément en françois, mie Etrusque de Cortone, tome IV, et puis réimprimée avec une traduction | pag. 93.

Tome XLIX.

Ccc

August. Civit.

peut assurer le contraire; car il est certain que malgré la politique du sénat, intéressé à perpétuer les hostilités, il y eut des momens plus ou moins courts de repos. Sous le gouvernement des rois, Numa ne fut pas le seul qui procura la paix à ses sujets : les Romains en jouirent pendant plus de dix ans par la sagesse de Tullius Servius, qui profita de ce repos pour leur donner de nouvelles lois et former de nouveaux établissemens (b). Après la prise de Corioles sur les Volsques, l'an 262 de la fondation de Rome, Titus Geganius et P. Minutius étant consuls, on vit également cesser les guerres étrangères et les discordes civiles (c). Le commencement du décemvirat fut parfaitement calme, et cette tranquillité au - dehors et au - dedans (d) étoit nécessaire pour promulguer les nouvelles lois : cet état dura deux ans entiers; et il n'auroit point été sitôt troublé, sans la mauvaise conduite d'Appius Claudius et de ses collègues. Avant les premières hostilités contre les Samnites, sous le consulat de L. Furius et d'Appius Claudius, l'an 406, la paix et la concorde régnèrent dans Rome (e); et elles continuèrent l'année suivante, sans interruption (f). Pyrrhus ayant évacué la grande Grèce, et Tarente étant tombée au pouvoir de Rome, cette dernière ville et toute l'Italie eurent encore un intervalle remarquable de repos (g). A la vérité, depuis la première guerre Punique, on fut continuellement en armes ; et l'ambition des Romains alluma de toute part des feux qui ne purent plus s'éteindre cependant, après la prise de Numance (h), avant le commencement de la première guerre contre Mithridate, sous le consulat de Marcus Marcellus et de Publius Sulpitius (i), pendant le triumvirat de Crassus, de Pompée et de César, au (b) Pax deinde facta. Majore inde animo | pax, et domi concordiâ ordinatum otium pacis opera inchoata, quàm quantâ mole esset c. Tit. Liv. lib. VII, cap. 27. gesserat bella; ut non quietior domi esset, quàm militiæ fuisset. Tit. Liv. lib. 1, cap. 38.

(c) Eo anno cùm et foris quieta omnia à bello essent et domi sanata discordia &c. Tit. Liv. lib. 11, cap. 34.

(d) Ab externis bellis quietus annus (301 U. C.) fuit; quietior insequens P. Curiatio et Sexto Quintilio consulibus &c. Tit. Liv. lib. 111, cap. 32.

(e) Exercitibus dimissis, quum et foris

(f) Idem otium domi forisque mansit T. Manlio Torquato, C. Plautio consu libus &c. Ibid.

(g) Omnis mox Italia pacem habuit. Flor. lib. 1, cap. 19.

(h) Victa ad occasum Hispania, populus Romanus ad orientem pacem agebat; nec pacem modò, sed inusitatâ et incognitâ quâdam felicitate &c. Flor. lib. 11, cap. 20.

(i) Urbe lustratâ, pax domi forisque &c. Jul. Obseq. de Prod, cap. 71.

de

retour de celui-ci, l'année même de sa mort, &c...... une cessation générale d'hostilités mérite bien le nom de paix. A l'exception des Parthes, qui n'étoient point disposés alors à la guerre, aucun peuple ne se trouvoit en état, dans ces derniers temps, donner même de l'inquiétude à ses vainqueurs. Quelle raison eurent donc ceux-ci de ne point fermer le temple de Janus? D'abord, je crois que cette cérémonie n'a eu lieu que dans des circonstances éclatantes, et qu'on l'a négligée lorsque la politique ne la rendoit pas nécessaire pour empêcher les effets du découragement et du désespoir. L'intérêt du sénat exigeoit qu'il tînt le peuple en haleine par la crainte des guerres étrangères; et la vue de ce temple, continuellement ouvert, les lui annonçoit comme existantes, quoiqu'elles fussent finies. Je serois encore porté à croire que cette même cérémonie étoit tombée en désuétude, quand Auguste la renouvela. Dans le monument d'Ancyre, il assure lui-même avoir fermé trois fois le temple de Janus (k): Suétone Martial. lib. le dit aussi (1); Martial en parle comme d'une opinion reçue de VIII, epigr. 66. son temps, et Paul Orose l'adopte sans difficulté. Dion Cassius, Pagan. I. VI, qui est entré dans les plus grands détails sur le règne d'Auguste, cap. 22. en fait également mention; mais il s'explique d'une manière que je dois examiner ici avec quelque soin. Il rapporte que, ce prince étant consul pour la cinquième fois, et ayant pour collègue Sext. Appuleius, l'an 725, des lettres du roi des Parthes répandirent une grande joie à Rome. Elles annonçoient que ce monarque, Phraate IV, devoit y envoyer des députés avec ses fils, qui resteroient en otage. Le quatre des nones de septembre de l'an 723, Auguste avoit remporté une victoire complète près d'Actium; et, l'année suivante, Cléopâtre et Antoine étant morts, cet heureux prince, après la soumission de l'Égypte, étoit retourné à Rome. Ainsi la députation des Parthes mettoit le

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Hist. adv.

comble à ses desirs, et ne lui laissoit plus aucune crainte sur la tranquillité de l'Empire. Le sénat lui décerna de nouveaux honneurs, ordonna des fêtes publiques, et lui fit élever une statue aux Rostres, avec cette inscription: A cause de la paix établie Appian. de par mer et par terre après de longs troubles. Appien prétend qu'on bell. civ. l. v, érigea cette statue du vivant d'Antoine, lorsque la guerre de tom. II, pag. 1178, ed. var. Sicile eut cessé : c'est évidemment un anachronisme, et cet historien en commet plus d'un par rapport à Auguste. « Mais le Dio Cass. » décret qui causa le plus d'alégresse, dit Dion, fut celui qui orlib. LI, S. 20., donnoit de fermer les portes de Janus, comme un signe que » toutes les guerres étoient finies, et de faire l'augure du salut, le»quel avoit été interrompu par les raisons que j'ai rapportées. Cependant les Trévires, joints aux Celtes, se trouvoient alors » en armes; les Cantabres, avec les Asturiens, y étoient aussi. » Statilius Taurus vainquit les premiers; et Nonnius Gallus » les seconds. Plusieurs peuples voisins des uns et des autres se disposoient à la révolte: mais la guerre n'ayant pas éclaté, je » n'ai rien de remarquable à écrire sur ce sujet. »

כל

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La

guerre

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des Cantabres et des Asturiens ne fut entièrement terminée qu'au neuvième consulat d'Auguste, l'an 729, dans lequel Marcus Vincius tira vengeance de quelques insultes faites Id. lib. LIII, par les Germains. On crut l'occasion favorable

5.26.

5.36.

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pour fermer le temple de Janus, qui, selon Dion, avoit été ouvert à cause de » la guerre de ces peuples.

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сс

Q. Tuberon et P. Fabius étant consuls, l'an 743, le sénat porta de nouveau un décret, assure encore Dion Cassius, pour Id. l. LIV, » fermer le temple de Janus - Geminus qui avoit été ouvert aupa» ravant, comme si les guerres eussent été terminées. Néanmoins >> cela ne s'exécuta pas les Daces, ayant passé l'Ister sur » la glace, emportèrent beaucoup de butin de la Pannonie; les » Dalmates se révoltèrent également à cause de l'exaction des tributs. Ajoutons que Tibère et Drusus marchèrent la même >> année contre les Germains. »

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Il résulteroit de ces trois passages de Dion, que le temple de Janus n'a été fermé que deux fois, et n'auroit dû l'être qu'une seule: mais l'autorité du monument d'Ancyre, et celle des écrivains que j'ai cités plus haut, ne permettent point de doute sur ce sujet,

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