OBSERVATIONS SUR LES METAMORPHOSES D' OVIDE; Par G. H. GAILLARD. III. ET DERNIER MÉMOIRE. Imitations d'Ovide. CES imitations sont de deux sortes : dans les unes, c'est Ovide qui est l'imitateur; dans les autres, il est le modèle imité. Dans l'un et l'autre genre, nous n'examinerons que les principales. OVIDE IMITATEUR. On sait que le modèle de la fable d'Erisichthon, au VIII. livre des Métamorphoses, se trouve chez Callimaque, dans l'hymne de Cérès; un de nos confrères, M. du Theil, a fait le parallèle de ces deux ouvrages. Ovide s'est aidé aussi de plusieurs morceaux des Bacchantes d'Euripide, dans la relation des succès de Bacchus et de la mort tragique de Penthée son ennemi, au III.e livre. L'éloquente énumération qu'Hercule, consumé par la robe de Nessus, et prêt à se brûler sur le mont Oëta, fait (au IX. livre) de ses travaux si fameux, est presque traduite de la tragédie des Trachiniennes de Sophocle, où ce tableau est plus resserré, comme il convient à une tragédie, tandis qu'il est plus développé, plus complet dans Ovide, qui aimoit souvent à tout dire. Sophocle ne parle ni de Busiris, ni d'Antée, ni de Géryon, ni d'Achéloüs, ni des écuries d'Augias, ni des chevaux de Diomède,nourris de sang humain, ni de quelques autres exploits d'Hercule, tous retracés par Ovide. Racine à imité à-la-fois a et Sophocle et Ovide, dans le tableau des exploits de Thésée, où il se rapproche plus de la rapide désignation de Sophocle que de la riche énumération d'Ovide: Quand tu me dépeignois ce héros intrépide, Et la Crète fumant du sang du Minotaure. Ces mêmes exploits de Thésée se trouvent décrits avec un peu plus d'étendue dans Ovide. Ovide avoit fait une tragédie de Médée, qui ne nous est point parvenue; il est à présumer qu'on y trouveroit des imitations de la Médée d'Euripide, car on en trouve quelques-unes dans la fable de Médée et Jason, au VII. livre des Métamorphoses, nommément le Video meliora proboque, Deteriora sequor, qui est d'Euripide. Comme ce qu'il y a de plus tragique dans l'histoire de Médée, est la vengeance horrible qu'elle tire de l'infidélité de Jason, en immolant ses propres enfans, il y a lieu de penser que c'étoit le sujet de la tragédie d'Ovide; il semble même s'être réservé de traiter ailleurs ce sujet avec plus d'étendue, car il n'en dit qu'un mot assez froid dans les Métamorphoses: Sanguine natorum perfunditur impius ensis, Ces vers ne sont ni descriptifs ni narratifs; ils n'ont l'air que Il est vrai que, comme Ovide traite en détail un sujet tout pareil dans la fable de Térée, Procné et Philomèle, on pourroit ne pas chercher d'autre raison de cette excessive briéveté en cet endroit ; mais Virgile, qui ne fait que désigner Médée sans la nommer, en parlant des crimes dont l'amour a été le principe, s'exprime cependant sur celui de Médée avec plus d'énergie et de sentiment qu'Ovide: Sævus amor docuit natorum sanguine matrem. Ovid. Metam. lib. VII, v. 20. Ibid. v. 396. Virg. Eclog. VIII, v.47. Au reste, la fable entière de Médée et Jason dans les Métamorphoses (cet article seul excepté), et la sensibilité dont Ovide donne tant de preuves dans ce poëme, peuvent faire conjecturer que sa tragédie de Médée mérite tous nos regrets. On retrouve plusieurs des beautés de l'Hécube d'Euripide, au XIII. livre des Métamorphoses, dans la relation de la mort courageuse de Polyxène; et Racine, en racontant celle de son Ériphile, imite à-la-fois Euripide et Ovide, dans ces vers d'Iphigénie : Déjà, pour la saisir, Calchas lève le bras: Arrête, a-t-elle dit, et ne m'approche pas ; Le sang de ces héros dont tu me fais descendre, On retrouve aussi, au même livre, quelques traits de l'éloquente douleur d'Hécube dans Euripide, et de la terrible vengeance qu'elle exerce sur Polymnestor, roi de Thrace, assassin de Polydore, le dernier des fils de Priam et d'Hécube. Ovide paroît aussi, dans sa fable de Phaéton, avoir imité Prends garde qu'une ardeur trop funeste à ta vie Ne rafraîchit son char dans sa course embrasé.... Ils vont, le char s'éloigne, et plus prompt qu'un éclair, Lui montre encor sa route, et, du plus haut des cieux, Plusieurs des mêmes traits se retrouvent dans Ovide: ... Si potes hic saltem monitis parere paternis.. C'est une imitation bien sublime d'Homère, que ces deux belles harangues d'Ajax et d'Ulysse, au XIII. livre des Métamorphoses, où les caractères de ces héros, tels qu'Homère les a tracés, sont si bien conservés. Mais le poëte qu'Ovide imite le plus, soit dans certaines fictions, soit dans une multitude de détails, c'est un écrivain moderne par rapport à lui, et dont il avoit été contemporain, quoiqu'il l'eût peu connu ; c'est Virgile. Virgilium vidi tantùm, dit-il lui-même. Cet hommage d'une imitation assidue de la part d'un poëte du temps qui pouvoit se regarder comme son rival, cet hommage, joint aux témoignages de respect et d'admiration que donnent à Virgile les meilleurs poëtes du même temps, le plaçoit dès-lors au rang des anciens, et montre quels étoient son Tome XLIX. V v Ovid. Metam. lib. 11, v. 126. Ovid. Trist. 1. IV, epist. 10, v. SI. Virg. En. lib. VI, v. 667. Ibid. lib. I, v. F2. Ovid. Metam. lib. 11, v. 518. Ovid. Metam. lib. XIII, vers. $74. ascendant et sa supériorité reconnue sur tous les autres. On peut Museum ante omnes; medium nam plurima turba Ovide l'imite en plusieurs endroits de ses divers ouvrages, nommément dans les Fastes; mais pour nous borner aux Métamorphoses, Junon (dans le second livre) obtient de l'Océan et de Thétis que sa rivale Calisto [la grande Ourse] ne soit jamais reçue dans leurs ondes, comme dans le premier livre de l'Énéide, elle obtient d'Éole qu'il déchaîne les vents et les soulève contre la flotte d'Énée. Elle tient à-peu-près le même langage chez l'un et chez l'autre, et Ovide suit Virgile jusque dans les détails. Si Virgile dit : ......Et quisquam numen Junonis adoret Ovide dit : Est verò cur quis Junonem lædere nolit, Virg. 1. c. 5o. Il lui prend jusqu'au Regina, Jovisque et soror et conjux, parce qu'il a jugé, avec raison, que le droit de donner à Junon ces titres, qui sont véritablement les siens, appartenoit à tout le monde, et n'appartenoit à personne exclusivement; mais il a eu le bon esprit de ne pas lui prendre le incedo regina, Virg. l. c. Ovid. Metam. lib. 11, v. 525. Ast ego quæ Divûm incedo regina, parce que ce mot fait une belle et noble image, qui retrace le port et la démarche de la reine des Dieux, et où l'on reconnoît trop la main de l'ouvrier. On ne pouvoit donc pas le prendre sans un plagiat trop marqué. Ovide mêle aux plaintes de Junon des traits ingénieux de sarcasme et d'ironie virulente contre Jupiter; et ces traits insultans avec esprit, sont plus dans le génie d'Ovide : « Que ne me répudie-t-il pour épouser son ourse et devenir gendre d'un loup? » כל כל Cur non et pulsa ducat Junone, meoque Collocet in thalamo, socerumque Lycaona sumat? |