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l'harmonie; des mouvemens plutôt négligés que trop soignés dans le rhythme; enfin beaucoup de délicatesse dans les pensées, et beaucoup de simplicité dans le style: voilà les traits caractéristiques et propres du poëme élégiaque. Mais ces traits, où se montrent-ils d'une manière plus sensible, plus frappante, que dans le trop petit nombre des élégies de Catulle qui sont parvenues jusqu'à nous ?

Passons à ses iambes ou hendécasyllabes, plus généralement connus sous le nom d'épigrammes.

Les épigrammes, ainsi que l'exprime le mot, n'étoient primitivement autre chose que des inscriptions gravées sur le frontispice des temples, au bas des autels, sur les piédestaux des statues, sur la pierre des tombeaux, en un mot sur les divers monumens tant publics que particuliers. Insensiblement elles s'étendirent à d'autres objets, et reçurent la forme du vers: transformées en petits poëmes, elles existèrent par elles-mêmes; enfin, sans changer de nom, elles changèrent tellement de nature, qu'il y a une infinité d'inscriptions qu'on ne sauroit mettre au nombre des épigrammes, et une infinité d'épigrammes qui n'ont absolument rien de commun avec les inscriptions.

L'épigramme ne fut dès-lors considérée que comme une petite pièce de vers qui n'a qu'un seul objet et n'exprime qu'une seule pensée : c'est ainsi que les savans se sont tous accordés à la définir. Ils ont ajouté qu'il y en avoit de deux sortes, la simple et la composée. Ils ont donné le nom d'épigramme simple à celle où la pensée, se développant par degrés, marche avec grâce et d'un pas égal, jusqu'à ce qu'elle soit complétement exprimée ; et telles furent celles des Grecs et de leur fidèle et constant imitateur Catulle. On la nomme composée, lorsque la pensée s'y cache pour ne se montrer qu'à la fin, et toujours d'une manière spirituelle, piquante et inattendue; et tel est le caractère de celles de Martial. Il s'est élevé parmi des savans du premier ordre, des disputes graves, pour savoir lequel de ces deux poëtes méritoit la préférence. Muret prétend que Martial est à Catulle ce qu'un vil bouffon des tréteaux est à l'homme du meilleur ton et de la meilleure compagnie. Navagero, sénateur Vénitien, l'ami de Fracastor et du Bembe et poëte presque digne du siècle d'Auguste, portoit

encore plus loin son mépris pour Martial et son culte pour Catulle; un certain jour de l'année, consacré par lui aux Muses, il sacrifioit aux mânes de ce dernier un volume de Martial, qu'il jetoit solennellement dans les flammes. Juste - Lipse et Jules - César Scaliger, au contraire, élèvent Martial bien au-dessus de Catulle: mais au lieu d'insister sur des comparaisons qui, loin de rien éclaircir, ne servent le plus souvent qu'à faire naître des schismes et à scandaliser la république des lettres, ne valoit-il pas mieux mettre ces deux poëtes à leur véritable place, en nous faisant observer que leurs épigrammes, pour avoir un même nom, n'en diffèrent moins essentiellement les unes des autres ?

pas

Les épigrammes de Martial, et tous les petits ouvrages de poësie qu'on désigne aujourd'hui par ce nom, ne doivent leur prix, leur caractère, je dis plus, leur essence, qu'aux mots heureux ou aux traits piquans qui les assaisonnent, et par lesquels sur- tout elles sont ordinairement terminées. Envisagées sous cet aspect, elles prennent différentes formes.

Souvent l'épigramme est d'autant plus maligne, que son venin ne se montre qu'à la suite des douceurs et des caresses de la louange; ainsi, dans la corbeille de Cléopatre, l'aspic étoit caché sous les fleurs. Quelquefois, semblable à ces animaux que la nature a hérissés de dards et de pointes, elle pique et blesse par tous les bouts; tantôt, après s'être long-temps cachée, elle laisse tomber tout-à-coup son voile, dont elle ne s'étoit couverte que pour exciter plus d'attention et de curiosité; tantôt, sûre de ses coups, elle se montre audacieusement à découvert, et fait briller les traits aigus et perçans dont elle est armée. Mais sous quelque forme qu'elle paroisse, on voit qu'elle n'a rien de commun avec les épigrammes de Catulle, lesquelles en général doivent sur-tout leur effet à la pureté du style, à la délicatesse des tournures, et au charme secret qui en embellit toutes les parties.

Ces dernières ressembleroient plutôt à nos madrigaux et à nos pièces de vers que nous appelons fugitives, si la monotonie des terminaisons, la nécessité des verbes auxiliaires, et le manque de flexibilité dans les mouvemens, permettoient à notre langue d'atteindre à la précision, à l'élégance et à l'harmonie des langues Grecque et Latine. Et qu'on n'imagine pas qu'il en coûte moins

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suffit pour

pour réussir dans celles-ci que dans les premières. Un seul mot heureux, un seul trait piquant, une seule tournure fine et neuve, pour faire le succès d'une de nos épigrammes, lorsque dans celles de Catulle, ainsi que dans nos madrigaux et nos poësies légères, il n'est aucune de leurs parties sur laquelle l'art ne doive agir, sans que l'art doive se faire sentir dans aucune de leurs parties. Préférer les pensées brillantes, les traits ingénieux, épars çà et là dans quelque ouvrage que ce puisse être, à l'élégance, à la justesse et à l'accord répandus sur tout l'ensemble, c'est préférer l'éblouissante et fugitive clarté des éclairs à la douce et constante fumière du jour.

J'ai dit que nous n'avions pas aujourd'hui tous les ouvrages de Catulle en effet, Pline, dans son Histoire naturelle, parle d'un poëme sur les enchantemens en amour, dont il ne reste pas un mot; et Terentianus Maurus cite quelques vers tirés d'un morceau de poësie qui a également péri. Quelques savans lui ont attribué le Pervigilium Veneris; c'est une méprise, où l'on n'a pu tomber qu'en confondant les ornemens recherchés et superflus avec la sage et vraie richesse, l'afféterie avec la grâce, et le raffinement avec la finesse.

Quant au poëme intitulé Ciris, dont quelques-uns ont voulu que Catulle fût l'auteur, et que plus communément on donne à Virgile, il n'appartient, selon moi, ni à l'un ni à l'autre.

Je terminerai ce Mémoire par une observation qui, sans doute, a été faite plus d'une fois, mais dont il paroît qu'on perd trop aisément le souvenir. On a peine à concevoir comment un poëte aussi aimable, d'un aussi bon ton, et sur-tout aussi pur, aussi élégant dans sa diction que l'étoit Catulle, a pu se permettre tant de mots grossiers, tant d'expressions obscènes. Un coup d'œil jeté sur les mœurs des Romains suffit pour résoudre ce problème, et faire cesser toute surprise. Les Romains n'avoient point avec les femmes ces conversations intimes et familières de tous les jours, de toutes les heures, et sur toutes les sortes d'objets, que nous avons avec elles, et qui, sans nous rendre plus réservés et plus chastes dans nos mœurs, ont dû nécessairement imprimer à notre langue le caractère de la circonspection, de la réserve et de la pudeur.

22.20

Lu le 21 dé

HORACE

CONSIDÉRÉ COMME FABULISTE;

Par G. H. GAILLARD.

QUOIQUE Horace ne soit point un fabuliste de profession, cembre 1787. c'est-à-dire, qu'il n'y ait pas de lui un recueil uniquement composé de fables, il en a semé dans ses satyres et dans ses épîtres un assez grand nombre, où l'on trouve les conditions principales les que gens de l'art exigent dans l'apologue.

Ces conditions principales sont : 1. Une allégorie qui, présentant un objet sous l'emblème d'un autre, couvre une vérité, ou du moins une maxime importante, du voile d'un récit fabuleux; 2.o Une moralité exprimée ou sous-entendue, qui soit le but où tende ce récit.

Soit donc que l'Orient ait été, comme on le croit assez généralement, le berceau de l'apologue, par la nécessité, plus grande là qu'ailleurs, de ménager l'orgueil d'un maître despotique, en lui épargnant des leçons directes qui auroient pu le blesser; soit qu'on n'ait eu en vue que d'exercer l'esprit par l'allégorie, et de lui ménager le plaisir de saisir des rapports entre ce qu'on paroît lui dire et ce qu'on veut lui faire entendre, il est certain que ces deux points, allégorie et moralité, sont de l'essence de l'apologue.

Les fables d'Horace ne sont qu'incidentes à des sujets plus étendus que traite l'auteur, et où elles ne figurent que comme des épisodes; mais en les détachant du sujet principal, et en les considérant en elles-mêmes, on y voit les conditions essentielles de l'apologue si exactement remplies, et ses beautés naturelles si sagement dispensées, qu'Horace soutient avantageusement le parallèle avec nos fabulistes les plus distingués, tant anciens que modernes.

Ésope, ou l'auteur, quel qu'il soit, des fables qui nous restent sous son nom, se contente d'indiquer un fait et une moralité. Nul accessoire, nul ornement; mais c'étoit beaucoup de saisir un point moral, et d'y adapter un fait.

Phèdre couvre cette nudité par le mérite d'une élocution pure, noble, élégante, concise sur-tout. Prodigue de sens, avare d'ornemens, il dit parfaitement tout ce qu'il dit, mais il ne dit que ce qu'il faut; chacune de ses fables est un morceau fini, mais d'une perfection sévère, et un peu dénuée d'agrémens : c'est une beauté qui fonde ses succès sur la régularité de ses traits, et qui ne fait rien pour plaire.

La Fontaine va bien plus au - devant de son lecteur : il ne se refuse rien de ce qui peut amuser et intéresser ; il orne ses récits, il anime sa scène, il met ses personnages en action et leurs passions en jeu; il varie leur langage suivant leurs caractères et les circonstances; tout chez lui prend un corps, une ame, un visage? Cette partie dramatique, qui produit tant d'intérêt, est un avantage propre à la Fontaine. Phèdre l'a négligé, ou rejeté, ou méconnu; ses personnages ont presque toujours le même ton; ils s'expriment avec une égale noblesse, parce que ce ne sont pas eux qui parlent, c'est toujours Phèdre, c'est toujours l'élégant affranchi d'Auguste : aussi ses fables, malgré leur correction irréprochable, ou peut-être même à cause de cette correction, ont-elles besoin de briéveté pour ne pas ennuyer. La Fontaine peut toujours s'étendre impunément; après avoir fait parler ses personnages, il peut parler lui-même; après avoir peint, il peut analyser; après avoir raconté, il peut discourir; on l'écoute toujours volontiers, parce qu'il sait varier son ton et nos plaisirs. Phèdre est à la Fontaine ce que Térence est à Molière. Les deux auteurs Latins sont plus purs, plus châtiés, d'une élégance plus soutenue; les deux Français sont plus vrais, plus gais, plus animés, plus dramatiques, plus variés sur-tout.

C'est cette variété qui caractérise particulièrement la Fontaine. On voit chez lui l'apologue s'élever, descendre, se plier à tous les genres, prendre tous les tons. Cette variété qu'il sait mettre d'une fable à l'autre, il la met aussi dans les détails de chaque fable, et son style est toujours proportionné aux choses: Facta dictis exæquata. Tantôt il a la majesté de l'épopée, comme dans

ces vers:

Auroit-il imprimé sur le front des étoiles

Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles !

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