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ET

MATHILDE,

OU

MÉMOIRES DE LA FAMILLE

DU COMTE DE REVEL.

CHAPITRE LXI.

EUGENIE, persuadée que Dieu réprouvait

son amour, résolut de renfermer dans son ame tous ses sentimens, et de ne plus vivre que de ce commerce intérieur avec le ciel qu'elle avait appris à connaître dans le cloître. Elle passait la plus grande partie de ses jours en méditation, parlait à Dieu comme à un père tendre, lui offrait ses larmes, son re

TOME 111.

I

pentir, et priait pour le bonheur de Ladislas.

Dans sa famille, elle suivait avec indifférence la volonté des siens, allait, venait selon leurs désirs, et sans prendre intérêt à ses propres actions. Elle voyait encore Ladislas; elle entendait encore sa voix, comme au moment de leur séparation. Importunée lorsque quelqu'un dérangeait ses rêveries, elle soupirait après la solitude des déserts.

Monsieur de Revel était resté lié avec · l'un des nonces qui avaient résidé en France. Il lui écrivit sans aucun déguisement, lui peignit l'amour de Ladislas, et le penchant de sa fille; il avoua même ses vœux renouvelés, et devenus par-là plus volontaires que les premiers. Mais, comme il souhaitait ardemment le bonheur d'Eugénie, après l'avoir instruit de la ruine totale de sa maison, il lui parla aussi de l'immense fortune de Ladislas, qui avait été pendant long-temps un obstacle à son consentement, quoiqu'elle dût donner à sa fille les moyens de secourir ses compatriotes fugitifs et malheureux. Il sentait peut-être, sans se l'avouer, que, dans leur détresse, cette fortune, qu'il présentait comme un obstacle à son consentement,

serait, aux yeux d'un ami, une raison puissante pour plaider sa cause avec zèle. Monsieur de Revel lut cette lettre à sa famille; Eugénie fut la seule qui ne la connût point.

Madame de Revel s'était promis de ne rien. dire qui pût influer sur la volonté de sa fille; elle se reprochait trop vivement d'avoir une fois décidé de son sort. Pour madame de Couci, elle faisait de Ladislas le sujet de tous ses entretiens; mais c'était avec des calculs si froids, des retours si personnels, qu'Eugénie l'écoutait sans être émue. Les raisons d'intérêt, les prétentions de l'orgueil la frappaient comme des idées nouvelles. Si madame de Couci n'eût pas prononcé le nom de Ladislas, elle aurait pu parler de lui longtemps, et Eugénie l'entendre, comme s'il eût été question d'une personne inconnue.

Mathilde avait bien plus d'empire sur l'ame craintive d'Eugénie. Souvent un mot d'elle, jeté au hasard, venait détruire tous les efforts de son courage. Un regard plus triste, et qui semblait plaindre le malheur des passions, faisait frémir Eugénie. Le son de voix de Mathilde, devenu plus doux par une tendre

pitié, retentissait dans un coeur où tout ce qui rappelait Ladislas répondait. La prière même d'Eugénie, ses promesses de renoncer à lui, étaient plus dangereuses pour elle que tous les calculs de madame de Couci.

Monsieur de Revel, effrayé de voir dininuer chaque jour le peu de fonds qui lui restaient, voulait aller dans une ville neutre, pour parvenir à correspondre avec la France. Il préférait Hambourg; mais madame de Couci l'engagea à se retirer plutôt à Kiel, où il n'était pas probable que les émigrés vinssent s'établir en grand nombre. Elle lui fit sentir qu'il était important, dans leur situation, d'empêcher que des propos dictés par l'esprit de parti n'arrivassent à Eugénie. Monsieur de Revel approuva fort cette prudente réflexion, et il en considéra davantage sa belle-mère. Quand une fois j'ai » décidé qu'une chose doit être, » lui ditelle, « je ne m'occupe qu'à me sauver des >> conseils; car, lorsqu'on veut bien les écou»ter, il est sûr que l'on vous en donnera de >> contraires à vos intentions. » - « Voilà » comme il faut se conduire, » disait monsieur de Revel en la quittant; « c'est ainsi

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