Page images
PDF
EPUB

Tu repoussas l'amour égaré dans tes bras:
Je ravis des faveurs, et je n'en obtins pas.

L'honneur, ce vain fantôme, effrayait ta tendresse ;
Il dissipait des sens l'impétueuse ivresse,
Ennemi de l'amour, qu'il ne peut surmonter,
Sans savoir l'obtenir, disputant la victoire,
A combattre il borne sa gloire;

Il est toujours vaincu, mais il veut résister.
Tu m'aimes; je t'adore: ah! garde-toi de croire
Que ce faible tyran puisse nous arrêter.

On le craignait jadis, et les cœurs de nos mères
Ne goûtaient qu'en tremblant le bonheur de sentir.
De ce siècle poli les lois sont moins sévères;
L'amour à ses côtés n'a plus le repentir.
Nous rions aujourd'hui de ces prudes sublines,
Qu'effarouche un amant qui gêne leurs désirs;
Et ces plaisirs si doux dont tu te fais des crimes,
Dès qu'on les a goûtés ne sont que des plaisirs.

Va, ton honneur est d'être belle,

Ton devoir est d'être fidèle,

Tes lois sont dans ton cœur, les amours sont tes dieux: Jeune Chloé, qu'ils soient tes guides.

Ce prélude voluptueux

Va nous conduire à des biens plus solides.
L'Amour, en se jouant, fatiguait ta vertu;
Tu sens l'ennui de te défendre:

A l'honneur d'avoir combattu

Hâte-toi d'ajouter le plaisir de te rendre.

CHANSON

[ocr errors][ocr errors]

Sans dépit, sans légèreté,
Je quitte une amante volage,
Et je reprends ma liberté
Sans regretter mon esclavage.

Ce matin j'ai cueilli des fleurs,
Sans faire un bouquet à Lisette;
J'ai déjà quitté ses couleurs,
Je vais lui rendre sa houlette.

Sans rougir, j'ai vu sous l'ormeau
Sylvandre aux pieds de l'infidèle;
J'ai joué sur mon chalumeau
L'air que Sylvandre a fait pour elle.

Je ne fais plus dans nos vallons
Retentir le nom de Lisette;
Je veux lui dire les chansons
Que je ferai pour Timarette.

Si quelquefois dans le sommeil

Ses faveurs me sont retracées,

Elle n'est plus à mon réveil

La première de mes pensées.

Je ne viendrai plus en ces lieux
Respirer l'air qu'elle respire;
Je ne cherche plus dans ses yeux
Ce que je dois penser ou dire.

Lisette a perdu plus que moi :
J'étais tendre, elle était coquette;
Lisette m'a manqué de foi:
Non, non, je n'aime plus Lisette.

20

1

ÉPIGRAMME

La jeune Églé, quoique très-peu cruelle,
D'honnêteté veut avoir le renom;

Prudes, pédants, vont travailler chez elle
A réparer sa réputation.

Là, tout le jour, le cercle misanthrope
Avec Églé médit, fronde l'amour;
Hélas! Églé, semblable à Pénélope,
Défait la nuit tout l'ouvrage du jour.

MADRIGAL

Fuyez, volez, instant fatal à mes désirs...
Mais, hélas! espérances vaines :
Le temps, qui fuit sur nos plaisirs,
Semble s'arrêter sur nos peines.

SEDAINE

1719-1797

Il est vrai, ce n'est pas l'idée d'un ciseleur de strophes sonores et d'un chercheur de belles rimes que rappelle à l'esprit le nom de Sedaine. On est tout d'abord disposé à s'étonner de trouver ce nom sur la liste des poëtes. Sans doute, en appliquant à ce mot de poésie la signification plus large qu'aujourd'hui l'on n'hésite pas à lui donner, le créateur du Philosophe sans le savoir, de la Gageure imprévue, et de tant de pièces dramatiques d'invention charmante, a bien droit, dans ce sens, à ce glorieux titre de poëte. Cependant nous n'aurions pu l'introduire dans cette cité des aëdes, de ceux dont la pensée chante, et, par une loi inverse de celle du philosophe antique, nous l'en eussions banni avec une couronne de fleurs, s'il n'avait un instant tenté les difficultés du rhythme, s'il n'avait à son tour interrogé la lyre. Sans doute, nous nous hâtons d'en convenir, sous ses doigts un peu' gauches la lyre est souvent sourde, et le rhythme ne s'assouplit guère jusqu'à la grâce; mais, çà et là, une note imprévue, un accent tout personnel, et qui fait ressouvenir de ses heureux dons, mieux accusés ailleurs, suffisent pour indiquer le vrai Sedaine, et sauver le rimeur de la vulgarité.

Ils sont bien oubliés, assurément, ces deux volumes de vers qui résument pourtant tout le travail intellectuel de la jeunesse de Michel Sedaine. Ils ne firent pas grand bruit à leur apparition; mais ils Le passèrent pas non plus tout à fait inaperçus. Sept ans plus tard, lorsqu'avec un succès au théâtre l'auteur voyait déjà poindre le doux premier rayon de la célébrité, Grimm, à l'occasion de la pièce nouvelle, rappelait ce recueil de vers: il note d'un trait qui nous rend

l'impression du moment prise sur le vif, et le genre d'accueil que reçut le livre, et les quelques qualités qu'alors on y trouva. «M. Sedaine, qui exerce ici le métier de maître maçon ou d'architecte subalterne, est connu par un recueil de poésies, qu'il a donné il y a plusieurs années, et qui a fait dans le temps une espèce de fortune. Ce poëte a du naturel et des saillies. » Du naturel et des saillies: ne voilà-t-il pas, en germe, l'auteur du Philosophe sans le savoir et de la Gageure imprévue? Le fin coup d'œil du critique avait déjà discerné ce que contenait ce germe sous son enveloppe un peu épaisse.

Sedaine avait trente-trois ans lorsqu'il donna au public ce premier témoignage de sa vocation plutôt que de son talent littéraire. Il n'était pas de ceux dont l'aube de la vie se dore facilement des lueurs de la gloire et des faveurs de la fortune. Sa destinée fut âpre à ses commencements. Encore enfant, lorsqu'il perdit son père, sa pauvreté n'eut d'abord d'autre ressource qu'un métier manuel, rude et grossier. Fils d'un humble architecte, il se fit maçon, gagnant de la sorte pour sa mère et pour lui le pain de chaque journée. Mais les détails de cette dure jeunesse de Sedaine ont acquis une telle notoriété, qu'on les rappelle seulement pour amener le poëte à raconter lui-même ses luttes, ses souffrances, et, à travers tant d'obstacles, ses aspirations, à l'heure si sombre de ses vingt ans. Ce n'est pas le pénible labeur dont il se plaindra davantage; sa profonde souffrance, c'est l'impossible loisir de l'étude et du travail de la pensée: La vocation littéraire, étouffée sous mille entraves, c'est là son tourment secret, son mal le plus profond. Et que vaut d'ailleurs une interprétation de biographe à côté du témoignage vivant de l'homme illustre traçant le tableau fidèle de ses mauvais jours?

Arraché chaque jour à l'humble matelas,

Où souvent le sommeil me fuyait, quoique las,
J'allais, les reins ployés, ébaucher une pierre,
La tailler, l'aplanir, la retourner d'équerre.
Souvent le froid m'ôtait l'usage de la voix,
Et mon ciseau glacé s'échappait de mes doigts.
Le soleil, dans l'été, frappant sur des murailles,
Par un double foyer me brûlait les entrailles.
La rigueur des saisons, la peine de mes mains,
N'étaient que mes travaux, et non pas mes chagrins.

Voilà le vrai; et tout le tableau s'empreint d'un caractère de réalite qui vous pénètre. Mais le dernier trait, si sobre, que ne dit-il pas dans sa délicatesse? N'est-ce pas là un de ces mots saisissants que signalait

« PreviousContinue »