Tu repoussas l'amour égaré dans tes bras: L'honneur, ce vain fantôme, effrayait ta tendresse ; Il est toujours vaincu, mais il veut résister. On le craignait jadis, et les cœurs de nos mères Va, ton honneur est d'être belle, Ton devoir est d'être fidèle, Tes lois sont dans ton cœur, les amours sont tes dieux: Jeune Chloé, qu'ils soient tes guides. Ce prélude voluptueux Va nous conduire à des biens plus solides. A l'honneur d'avoir combattu Hâte-toi d'ajouter le plaisir de te rendre. CHANSON Sans dépit, sans légèreté, Ce matin j'ai cueilli des fleurs, Sans rougir, j'ai vu sous l'ormeau Je ne fais plus dans nos vallons Si quelquefois dans le sommeil Ses faveurs me sont retracées, Elle n'est plus à mon réveil La première de mes pensées. Je ne viendrai plus en ces lieux Lisette a perdu plus que moi : 20 1 ÉPIGRAMME La jeune Églé, quoique très-peu cruelle, Prudes, pédants, vont travailler chez elle Là, tout le jour, le cercle misanthrope MADRIGAL Fuyez, volez, instant fatal à mes désirs... SEDAINE 1719-1797 Il est vrai, ce n'est pas l'idée d'un ciseleur de strophes sonores et d'un chercheur de belles rimes que rappelle à l'esprit le nom de Sedaine. On est tout d'abord disposé à s'étonner de trouver ce nom sur la liste des poëtes. Sans doute, en appliquant à ce mot de poésie la signification plus large qu'aujourd'hui l'on n'hésite pas à lui donner, le créateur du Philosophe sans le savoir, de la Gageure imprévue, et de tant de pièces dramatiques d'invention charmante, a bien droit, dans ce sens, à ce glorieux titre de poëte. Cependant nous n'aurions pu l'introduire dans cette cité des aëdes, de ceux dont la pensée chante, et, par une loi inverse de celle du philosophe antique, nous l'en eussions banni avec une couronne de fleurs, s'il n'avait un instant tenté les difficultés du rhythme, s'il n'avait à son tour interrogé la lyre. Sans doute, nous nous hâtons d'en convenir, sous ses doigts un peu' gauches la lyre est souvent sourde, et le rhythme ne s'assouplit guère jusqu'à la grâce; mais, çà et là, une note imprévue, un accent tout personnel, et qui fait ressouvenir de ses heureux dons, mieux accusés ailleurs, suffisent pour indiquer le vrai Sedaine, et sauver le rimeur de la vulgarité. Ils sont bien oubliés, assurément, ces deux volumes de vers qui résument pourtant tout le travail intellectuel de la jeunesse de Michel Sedaine. Ils ne firent pas grand bruit à leur apparition; mais ils Le passèrent pas non plus tout à fait inaperçus. Sept ans plus tard, lorsqu'avec un succès au théâtre l'auteur voyait déjà poindre le doux premier rayon de la célébrité, Grimm, à l'occasion de la pièce nouvelle, rappelait ce recueil de vers: il note d'un trait qui nous rend l'impression du moment prise sur le vif, et le genre d'accueil que reçut le livre, et les quelques qualités qu'alors on y trouva. «M. Sedaine, qui exerce ici le métier de maître maçon ou d'architecte subalterne, est connu par un recueil de poésies, qu'il a donné il y a plusieurs années, et qui a fait dans le temps une espèce de fortune. Ce poëte a du naturel et des saillies. » Du naturel et des saillies: ne voilà-t-il pas, en germe, l'auteur du Philosophe sans le savoir et de la Gageure imprévue? Le fin coup d'œil du critique avait déjà discerné ce que contenait ce germe sous son enveloppe un peu épaisse. Sedaine avait trente-trois ans lorsqu'il donna au public ce premier témoignage de sa vocation plutôt que de son talent littéraire. Il n'était pas de ceux dont l'aube de la vie se dore facilement des lueurs de la gloire et des faveurs de la fortune. Sa destinée fut âpre à ses commencements. Encore enfant, lorsqu'il perdit son père, sa pauvreté n'eut d'abord d'autre ressource qu'un métier manuel, rude et grossier. Fils d'un humble architecte, il se fit maçon, gagnant de la sorte pour sa mère et pour lui le pain de chaque journée. Mais les détails de cette dure jeunesse de Sedaine ont acquis une telle notoriété, qu'on les rappelle seulement pour amener le poëte à raconter lui-même ses luttes, ses souffrances, et, à travers tant d'obstacles, ses aspirations, à l'heure si sombre de ses vingt ans. Ce n'est pas le pénible labeur dont il se plaindra davantage; sa profonde souffrance, c'est l'impossible loisir de l'étude et du travail de la pensée: La vocation littéraire, étouffée sous mille entraves, c'est là son tourment secret, son mal le plus profond. Et que vaut d'ailleurs une interprétation de biographe à côté du témoignage vivant de l'homme illustre traçant le tableau fidèle de ses mauvais jours? Arraché chaque jour à l'humble matelas, Où souvent le sommeil me fuyait, quoique las, Voilà le vrai; et tout le tableau s'empreint d'un caractère de réalite qui vous pénètre. Mais le dernier trait, si sobre, que ne dit-il pas dans sa délicatesse? N'est-ce pas là un de ces mots saisissants que signalait |