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coucou, coucoucou. » Et, après avoir combiné cela de toutes les manières possibles, il se tut.

« Le rossignol, sans préambule, déploie sa voix, s'élance dans les modulations les plus hardies, suit les chants les plus neufs et les plus recherchés : ce sont des cadences ou des tenues à perte d'haleine; tantôt on entendait les sons descendre et murmurer au fond de sa gorge comme l'onde du ruisseau qui se perd sourdement entre des cailloux, tantôt on l'entendait s'élever, se renfler peu à peu, remplir l'étendue des airs, et y demeurer comme suspendu. Il était successivement doux, léger, brillant, pathétique, et quelque caractère qu'il prît, il peignait; mais son chant n'était pas fait pour tout le monde.

<< Emporté par son enthousiasme, il chanterait encore; mais l'âne, qui avait déjà bâillé plusieurs fois, l'arrêta, et lui dit : « Je me doute que tout ce que vous avez chanté là « est fort beau, mais je n'y entends rien; cela me paraît bi<«<zarre, brouillé, décousu. Vous êtes peut-être plus savant que « votre rival, mais il est plus méthodique que vous; et je suis, « moi, pour la méthode. >>

Et l'abbé, s'adressant à M. Le Roy, et montrant Grimm du doigt: « Voilà, dit-il, le rossignol, et vous êtes le coucou, et « moi je suis l'âne qui vous donne gain de cause. Bonsoir, »

La morale de la fable est autre, mais les détails sont les mêmes; il n'y a guère de différence que celle qui doit se trouver entre une libre conversation et un ouvrage poétique travaillé à loisir. Cette fable, du reste est un des chefs-d'œuvre de Krylov pour la verve et le piquant de la plaisanterie autant que pour la finesse et la perfection du style.

Passons aux compositions complétement originales. La Fontaine a dit de ses fables :

Je tâche d'y tourner le vice en ridicule

Ne pouvant l'attaquer avec des bras d'Hercule.

Ces bras d'Hercule, Krylov les possède, on a déjà pu s'en apercevoir. Il attaque le vice corps à corps, il le terrasse, il l'assomme impitoyablement, et cela sans violence, sans déclamation, avec un sourire amer, mais en conservant le calme de la force; il n'a pas la délicatesse, l'élégante nonchalance de la Fontaine, mais il a une vigueur, sûre de son fait, que l'on ne rencontre chez presque aucun des poëtes français, Molière excepté.

Prenons pour exemple un des vices que la Fontaine a le mieux caractérisés, la flatterie. Tout le monde se rappelle le discours du renard dans les Animaux malades de la peste :

Eh bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? Non, non, vous leur fites, seigneur,
En les croquant, beaucoup d'honneur, etc.

Voilà, il faut en convenir, un flatteur qui joue assez bien son rôle; mais, enfin, il ne s'agit que

de se maintenir en faveur. Krylov a de ces flatteurs aussi : le houblon, par exemple :

Un houblon, dans un potager,

Dédaignant de ramper à terre,

Au sommet d'une perche avait su se loger,
Tandis qu'un jeune chêne, à tous soins étranger,
Languissait près de là dans un champ solitaire.

Le houblon ne tarissait pas en éloges sur la perche, et ne trouvait pas de mots assez méprisants pour cet avorton de chêne. A quelques jours de là, le propriétaire arrache l'échalas,

Et dans le potager met le chêne à son tour.
L'arbuste, que sa main dirige,

Pousse, grandit et voit, dans ce nouveau séjour
De nombreux rejetons s'allonger sur sa tige.
Que fait notre houblon? Vite, il court s'enlacer
Dans les rameaux du chêne, où, sans honte, il se loge,
Et depuis lors, sans se lasser,

Tous les jours il s'enroue à chanter son éloge. (V, 18).

Le houblon n'est qu'un fonctionnaire inférieur qui éprouve le même dévouement empressé pour tous ses chefs, quels qu'ils soient. Mais voici le chefd'œuvre du genre; voici le flatteur élevé au rang épique. Le renard de la Fontaine n'est que comique, celui de la fable suivante est effrayant.

Un lion poursuivait un chamois, il allait l'attein

dre lorsqu'ils arrivent sur le bord d'un précipice :

Le chamois, comme un trait qui glisse,

Fend les airs, vole au gouffre et le franchit d'un bond... Puis sur le roc d'en face il se poste sans crainte.

Le lion, interdit d'abord,

S'arrête. Un sien ami l'a vu dans sa détresse,

C'est messire renard. -- Quoi ! dit-il, toi si fort,
Et si fameux par ton adresse,

C'est devant un chamois, un animal chétif,
Que tu retiens ainsi ton courage inactif!

Tu n'as qu'à le vouloir, tu vas faire un miracle...

Bref, le renard parle si bien, et si longtemps, que le lion se décide :

Il saute à corps perdu vers l'abîme profond.
Vains efforts! il y tombe et va mourir au fond.
Que fait l'ami de cœur pour lui prouver son zèle ?
Il descend prudemment les pentes du ravin...

Et

Pour lui rendre un dernier office, pour mieux assurer son éternel repos, Il passe, au fond du précipice,

Un mois à lui ronger les os. (VIII, 2.)

Les flatteurs du poëte français ne vont pas à la cheville de celui-là.

La Fontaine nous a souvent peint les juges iniques. On se souvient du pauvre âne condamné à mort pour avoir mangé l'herbe d'autrui, tandis qu'on laissait impunis ceux qui avaient dévoré les

moutons et les bergers. On connaît dans un autre

genre l'Huître et les Plaideurs, et à propos des frais de justice, le fameux juge Grippeminaud :

C'était un chat vivant comme un dévot ermite,
Un chat faisant la chattemite,

Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.

La belette conduit le lapin

Devant Sa Majesté fourrée.

Grippeminaud leur dit : - Mes enfants, approchez,
Approchez, je suis sourd : les ans en sont la cause.
L'un et l'autre approcha, ne craignant nulle chose.
Aussitôt qu'à portée il vit les contestants,

Grippeminaud, le bon apôtre,

Jetant des deux côtés la griffe en même temps, Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre. (VII, 16.) Cependant, dans les Animaux malades de la peste, il s'agit pour les juges de détourner sur un autre le coup dont ils sont menacés ; dans les autres fables, ce sont les frais de justice qui absorbent le capital en litige; ce qui caractérise les juges de Krylov, c'est de se vendre aux plaideurs, c'est de se laisser corrompre pour de l'argent. Dans les Villageois et le Fleuve (IV, 18), paysans lésés n'osent intenter un procès parce que leur adversaire est d'accord avec leur juge. Dans

les

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