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nous les voyons se rechercher et se rapprocher constamment, malgré les distances, malgré la différence des systèmes politiques et malgré les guerres qui auraient dû en faire des ennemis irréconciliables.

Il est donc plus facile de traduire du russe en français qu'en allemand, mais il faut connaître parfaitement les deux langues et se donner la peine de trouver des locutions correspondantes. La difficulté s'accroît considérablement lorsqu'on s'impose la tâche de soumettre sa traduction aux règles si sévères de la versification française. Cette difficulté n'a cependant pas rebuté les traducteurs de Krylov. Le premier en date, à notre connaissance, est Dupré de Saint-Maur, qui, dans son Anthologie russe, inséra la traduction, médiocrement versifiée, de sept fables. Un autre écrivain, qui ne s'est désigné que par les initiales F. J. R., fit imprimer à Saint-Pétersbourg en 1822 la traduction de 69 fables, distribuées en trois livres. L'auteur annonçait dans sa préface qu'il traduirait tout le recueil de Krylov, s'il était encouragé. Probablement il ne le fut pas, et c'était justice. Ces premières traductions sont pâles, ternes, prosaïques; le sens est conservé sans doute, mais tout le charme du récit disparaît, surtout dans la seconde version. Ces observations s'appliquent également à une troisième traduction, presque complète, tentée par Masclet, et publiée en 1827.

Une autre version qui parut en 1825 à Paris a fait beaucoup plus de bruit et il en a été tiré deux éditions ; la première, imprimée avec luxe, contenait la traduction ou plutôt l'imitation de 89 fables, en vers français

et italiens. Cette traduction avait été provoquée par le comte Grégoire Orlof, connu par divers ouvrages écrits en français; cinquante-sept auteurs connus y prirent part et, dans le nombre, tous les fabulistes alors en renom, Arnault, Lebailly, Stassar!, et avec eux la plupart des poëtes déjà célèbres par d'autres écrits, Casimir Delavigne, Soumet, Émile Deschamps, Delphine Gay (depuis madame de Girardin), etc. Une traduction littérale avait été mise à leur disposition; mais la plupart, au lieu de versifier cette prose, n'y virent qu'un texte sur lequel ils pouvaient broder à leur fantaisie. Quelques-unes de ces imitations sont heureuses, nous en avons reproduit deux tout à l'heure ; cependant on peut dire en général, que jamais on n'avait vu tant de gens d'esprit s'associer pour une œuvre si médiocre.

De 1828 à 1852, nous ne croyons pas qu'il ait été fait de nouvelle tentative pour acclimater Krylov en France. A cette dernière époque, un professeur, qui a laissé d'excellents souvenirs à Saint-Pétersbourg, M. Bougeault, publia une petite brochure Krylow, ou le la Fontaine russe, contenant vingt fables et une notice sur le fabuliste. Cette traduction, bien qu'amèrement critiquée à son apparition, est fort supérieure aux précédentes; mais elle n'échappe pas au défaut commun elle est froide et prosaïque.

:

Il restait donc à faire mieux et à traduire tout le recueil, ce que M. Parfait a exécuté, et exécuté avec bonheur. Sa traduction, imprimée à Paris en 1867, en un élégant volume in-12, contient 152 fables, c'est-à-dire

tout l'ouvrage de Krylov, moins 45 apologues empruntés par lui à la Fontaine ou à d'autres fabulistes français trop connus. C'est à cette traduction que nous avons emprunté tous les morceaux en vers cités plus haut. Ceux qui compareront l'original avec la copie reconnaitront qu'il est impossible d'être à la fois plus exact, plus élégant, plus malicieux et de mieux lancer l'épigramme.

Krylov a trouvé cette fois un traducteur digne de lui, et il faut espérer que les critiques français, accorderont à l'écrivain russe le rang auquel il à droit, puisqu'ils sont en possession de tout ce qui est nécessaire pour le bien juger.

IX

CRITIQUES DE KRYLOV

De 1822 à 1825, plusieurs publications ont signalé aux Français le nom de Krylov; malheureusement, quelques-unes n'ont pas dépassé la frontière russe.

Le Cours de littérature ancienne et moderne de P. Hennequin, gros volumes grand in-8, Moscou, 1822, consacre quelques pages à Krylov, et donne la traduction de deux de ses fables. Cet ouvrage a dû coûter beaucoup de peine à l'auteur, mais il lui manquait trois choses pour faire un bon livre : la science, la critique et le style. L'Anthologie russe, de Dupré de Saint-Maur, contient, avec la traduction de dix fables, une courte notice sur l'auteur.

La traduction en français et en italien des Fables choisies de Krylov est précédée d'une notice.

Les traductions de F. J. R. et de Masclet ne sont accompagnées que de courtes préfaces.

En 1852, on voit paraître presque en même temps:

1 Dans la Revue des Deux Mondes un article de Ch. de SaintJulien (mort en 1869), sur la littérature russe en général et en particulier sur Krylov. Cet article contient une biographie du fabuliste, avec l'analyse ou la traduction en prose d'un certain nombre de ses fables.

2° Krylow, ou le la Fontaine russe, sa Vie et ses Fables, par Alfred Bougeault (avec la traduction de 20 apologues). 1 vol. in-12. Paris, Garnier.

Les Fables de Krilof, traduites en français par Ch. Parfait, 1 vol. in-12. Paris; Plon, 1867, contiennent une notice sur le fabulis'e

et sur ses œuvres.

Cette traduction a provoqué un grand nombre d'articles dans la presse française et étrangère. Ceux qui ont paru en Russie dans le Journal de Saint-Pétersbourg, le Courrier russe et la Revue septentrionale ont été fondus dans le présent ouvrage.

Le nom du poëte qui fait le sujet de cette étude se trouve écrit suivant les auteurs: Krilof, Krylow, Kryloff, Krylof et Krylov. Ces variantes viennent de ce que les Russes se servant d'un alphabet spécial, chacun croit pouvoir en traduire les lettres à sa fantaisie. La dernière transcription est la seule exacte :

dont

1o Il faut écrire Kry et non Kri, parce que l'i employé ici en russe n'est pas notre i aigu, mais un i grave, le son est représenté par y chez tous les peuples slaves qui écrivent avec notre alphabet.

2o Il ne faut pas écrire Krylow, avec un double w, parce que les Russes ne possédant pas cette lettre, équi

voque pour nous, il n'y a aucune raison de l'introduire dans un mot de leur langue.

Les Allemands écrivent Kryloff avec deux ff, parce que s'ils l'écrivaient avec une seule, ils prononceraient Krylófe; les Français ne peuvent pas invoquer la même raison pour changer l'orthographe du mot.

Restent donc les deux transcriptions: Krilof et Krylov. La première représente la prononciation, mais la seconde a l'avantage de transcrire le mot russe lettre pour lettre, sans pourtant indiquer une prononciation fausse, puisqu'en français même nous avons une tendance à donner à un v final non suivi d'un e muet, le son fort de l'f.

Telles sont les raisons qui nous ont fait préférer cette orthographe, bien que ce soit encore la moins usitée.

PARIS

-

IMP. SIMON RAÇON ET COMP., RUE D'ERFURTH 1.

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