Toi, ma chère alouette au corps si rondelet, Cesse de prendre un vol superbe, De ces prés, de ces champs viens plutôt raser l'herbe, Que tu partageras avec ces orphelins. Je les vois battre de l'aile, Dans les plaines de l'air qu'ils se donnent carrière, Toi, gentille hirondelle, au loin, aux environs Et toi, doux rossignol, l'Amphion du bocage, Que... L'orateur n'acheva pas. Les petits affamés dans leur nid s'agitèrent, Et des trois orphelins il ne fit qu'un repas. Quiconque est vraiment bon, fait le bien en silence. Dont les discours mielleux ne tarissent jamais, Pour leur intérêt seul, non pour celui des autres, Nous pourrions encore citer de Casimir Delavigne une élégante imitation du Ruisseau (II, 9), qui ne figure pas, on ne sait trop pourquoi, dans les OEuvres de l'auteur, mais cette imitation, comme les précédentes, est presque littérale ; c'est plutôt une traduction libre. Et d'ailleurs le style élégant, gracieux, un peu artificiel, de l'auteur des Messéniennes n'est guère propre, il faut en convenir, à reproduire l'âpreté un peu rude de Krylov. Nous aimons donc mieux emprunter aux fables d'un poëte mort récemment (1869), avec une réputation contestée de poëte, mais avec la réputation non contestée d'homme d'esprit, de Viennet, non les deux ou trois fables qu'il a plus ou moins fidèlement traduites de Krylov, mais un apologue où il s'est évidemment inspiré du poëte russe, bien qu'il ne l'ait suivi que de loin. On sait que Viennet a employé les dernières années de sa verte vieillesse à terminer et à polir un poëme épique commencé par lui sous le premier empire, et qu'il l'a fait bravement imprimer à quatre-vingt-quatre ans, quelques années seulement avant de mourir. L'Aigle et l'Outarde est évidemment un écho, un peu infidèle à la vérité, de la fable de Krylov, l'Aigle et les Poules. Sur un pré, qu'un grand bois couvrait de son ombrage, L'aigle vint s'abattre à ses yeux, Se percher au sommet d'un chêne sourcilleux, Il semblait d'un œil fier, d'un œil impérieux, A tout sot animal l'envie est naturelle. Eh! pour quelle raison, dit-elle, Ne monterais-je pas où cet aigle est monté ? Un troisième la porte aux trois quarts du chemin, Sur la cime du chène elle paraît enfin, L'aigle, qui par bonheur avait fait ses repas, Pourquoi donc? interrompt la vaniteuse bête ; A peine a-t-elle dit que la foudre a tonné. N'a point pour s'y tenir, comme son compagnon, L'orage et les autans dans l'air l'ont rejetée, De lutter contre leur furie. La tempête la roule; un dernier coup de vent D'un vol tranquille a percé le nuage, Et s'élevant au-dessus de l'orage, Va retrouver l'éclat et le calme des cieux. Ambitieux mortels, ma fable vous regarde. Mais comment vous guérir d'un travers si commun ? VIENNET. La fable suivante n'a, il faut en convenir, qu'un rapport indirect avec les Fleurs de Krylov. Il est probable cependant que si l'auteur français n'avait eu aucune connaissance de l'apologue russe, l'idée ne lui serait pas venue d'écrire le sien. Il figure dans les Fables de Pierre Lachambaudie, couronnées plusieurs fois par 'Académie française. LA ROSE NATURELLE ET LES ROSES ARTIFICIELLES De la fleuriste, un jour, franchissant l'atelier, Paysanne, oses-tu nous disputer le prix ? Mais quelqu'un répondit pour elle : Folles, il vous sied mal d'affecter ce dédain; Ce trait de Cendrillon nous rappelle l'histoire : VIII TRADUCTEURS DE KRYLOV Nous ignorons si Krylov a été traduit en allemand, mais on a tenté plusieurs fois de le traduire en français. Ce n'est pas une tâche facile cependant. Krylov, comme on l'a vu, est profondément russe, et son style est plein de ces idiotismes qui au premier abord semblent intraduisibles. D'un autre côté, il faut bien reconnaître que le français est de tous les idiomes européens celui qui se rapproche le plus des langues slaves, non pour la forme des mots, mais pour l'expression des idées. L'allemand, qui a fourni beaucoup de mots au français, est beaucoup plus éloigné de cette langue que le russe pour les tournures et les métaphores. Nombre de locutions, qui ne se rendent en allemand que par des équivalents, se traduisent en français mot à mot et par des images identiques. On peut se demander d'où provient cette correspondance intime dans l'expression des idées entre deux langues placées aux deux extrémités de l'Europe, correspondance que l'histoire n'explique pas. Il a dû y avoir probablement entre les Celtes et les Slaves une parenté antique et antéhistorique, dont les deux peuples ont conservé un instinct confus, puisque |