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qu'il a prêté, la Reine y gagnera & le Roi aufi. 2. Que chacun ait une femme pour être celle d'un autre, & tout rentrera dans l'ordre: telle est la volonté de l'Amour. Sur le champ le Roi affemble le Confeil des Maris & leur fait lire ces oracles par fon Chancelier. Le premier n'étoit pas abfolument clair; mais le fecond, qui pouvoit fervir de commentaire, étoit lumineux. Fidèle en fit une loi de l'Etat, abolit celle qui puniffoit de mort l'infidélité des femmes, & promit de se foumettre lui-même.

Au fortir du Confeil il paffa chés la Reine, qu'il trouva endormie fur ce même lit de repos, où la jeune Eglé avoit fait femblant de l'être. Borné au refpect il fe mit à contempler fes charmes à la lueur des bougies qui éclairoient l'appartement. Il vit des F 5

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larmes couler de fes yeux; mais des larmes de volupté plûtôt que de douleur. Modefte rêvoit dans cet instant; un fonge heureux lui peignoit Mirza à fes genoux. Fidèle la trouva fi touchante, qu'oubliant la réserve qui lui convenoit auprès d'elle, il ne put s'empêcher de l'embraffer tendrement. La Reine, fans s'éveiller, lui rendit careffe pour carefle, & le tenant étroitement ferré, Cher objet de ma flamme, s'écria-t-elle, venge moi d'un époux inutile; oui, oui, cher Mirza, tu remplis mes defirs; venge moi, Ah charmant infovenge moi .... lent!.... Que la Que la vengeance eft délicieuse! Imaginez la furprise de Fidète: il fe démêla des bras de fa femme & fortit brufquement fans favoir où il alloit. Mirza avoit tout entendu : Silphe du premier ordre il avoit le don de la Métamorphofe, & s'étoit

introduit dans l'appartement de la Reine fous la figure de fon chat. Dèsqu'il vit le Roi dehors il fauta leftement fur le lit de repos, & s'étendit doucement fur le fein de Modefte. Elle s'éveilla, & toute pleine encore de l'image de Mirza, elle lui fit mille careffes. Hélas! difoit-elle en le baifant, que n'ès-tu dans ce moment le beau Mirza! A peine eut-elle dit, que le chat difparut, & que Mirza s'offrit à fes yeux fous fa propre figure. L'Amour applaudit à fon audace, & Modefte n'eut pas le tems de s'en fâcher. Il achevoit de mériter fon pardon en redoublant l'injure, lorfque le Roi, qui s'étoit fait deux boffes au front contre une porte, rentra pour y mettre de l'eau de boule. Quel fpectacle pour un mari qui adore fa femme! Il leva le bras pour les immoler à fa rage: mais l'Oracle lui revint dans l'ef

prit, il comprit en foi qu'il s'accompliffoit, que Mirza ne faifoit que lui rendre ce qu'il lui avoit prêté; & changeant auffi-tôt de projet de vengeance, il les laiffa dans les bras l'un de l'autre, & s'en fut perfectionner avec Eglé celle qu'il avoit ébauchée le jour précédent par pure méprise.

COMME il fe retiroit de chés elle, il rencontra fon mari fur l'efcalier. Je t'ai vu, lui dit-il, & tu me vois; nous voilà quitte à quitte. Adieu, bon jour, je dors debout, & tu bâilles tout bas; va te coucher, j'en vais faire autant.

LE Roi dormit jusqu'à deux heures après midi, & à son réveil il fit publier l'Oracle, & l'Edit qui permettoit aux femmes de s'arranger en conféquence, avec ordre aux maris de s'y prêter de bonne grace, & de resti

tuer

tuer fcrupuleufement à leurs voisins ce qu'ils en auroient reçu ; le tout en obfervant les bienféances, de peur de fcandale. Une loi fi fage remit le calme dans l'Empire: le célibat perdit fa vogue, le mariage reprit faveur, le Commerce fleurit de toutes parts, l'Amour fut fatisfait, le fortilége fut détruit, & la jubilation fut univerfelle.

MODESTE ne s'en tint pas à Mirza; elle étendit fes vues & fes bontés fur tous les officiers de fa Cour. Fidèle piqué d'émulation voltigea de fujette en fujette, parcourut le cercle des Beautés de fon Empire, & quand il fut au bout il revint fur fes pas. Eglé l'engagea de nouveau, le fixa même, & l'enflamma au point de le rendre jaloux jufqu'à la fureur. Il lui

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