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de quoi s'agit-il? d'un livre, d'un auteur? Car je refpecte conftamment la perfonne; ne voila - t- il pas bien de quoi crier au meurtre?

Ce ne font pas les critiques de cette espèce qu'il faut gêner; mais bien faudroit-il berner quelques uns de ces protecteurs fans titre, de ces petits Grands, de ces Mécènes manqués, & de ces ridicules ardélions montés fur leurs épaules, moitié beaux-efprits, moitié colporteurs, qui vont dans les maisons pour faire répéter que Pfaphon eft un Dieu, & qui trouvent quelquefois les moïens de vous fermer la bouche, fi vous avez refufé de mentir.

CE defordre dans la police littéraire, joint à l'efprit de mode & de fotte imitation, font les deux plus grands obftacles que je connoiffe aux progrès

de

de l'Efprit en France. Mais le Génie de la Nation a bien des reffources: gardez-vous de croire, Monsieur, à la prochaine décadence que de vieux favans vous annoncent lamentablement avec tant de fecret plaifir. Ils peuvent partir quand il leur plaira; il nous refte encore de grands hommes dans prefque tous les genres, & des provifions & de folides efpérances pour plus de trente ans. Intérea fiet aliquid, comme dit Térence. Mr. de Montefquieu, Mr. de Buffon, Mr. Clairaut, Mr. de Maupertuis, Mr. de la Condamine, Mr. d'Alembert, Mr. de Voltaire, Mr. l'Abbé Prevót, &c. &c. &c. En avez-vous autant vous qui parlez ? Et Mr. de Fontenelle eft-il mort? Il s'en faut bien, il n'a que quatre vingt feize ans, & le voilà qui vous envoie deux nouveaux volumes; nouveaux, c'eft-à-di

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re

re nouvellement publiés, & dont il eft vrai qu'une bonne partie auroit du être œuvre pofthume, comme il le dit lui-même dans fa préface; mais ajoute-t-il, il auroit fallu attendre trop longtems. La tragédie manque d'intérêt; les fix comédies, de comique & d'action; les difcours fur la Poëtie, de véritable intelligence de la Poëfie: mais de l'efprit prefque partout; du paradoxe, de l'ingénieux, des penfées délicates, des traits auffi fins que froids: c'est qu'il n'a jamais eu beaucoup d'imagination; c'eft qu'il n'a jamais été capable de paffion vive. De là les paroles mifes à la place de l'action; de là l'eftampe à la place du tableau, l'effort à la place de la force, la galanterie à la place de la tendreffe, le fpirituel à la place du comique, le fin à la place du délicat, le fubtil à la place du fin, & prefque toutes ces méprifes-là mifes en principes à l'usage

d'un

d'un troupeau de moutons. Mr. de Fontenelle a tant de fortes d'efprit qu'il pouvoit bien fe paffer de celui du théatre; & s'il n'a pas eu les grandes parties de l'imagination, il en poffède encore aujourd'hui les plus féduifantes; un enjoûment dans la fociété, une gentilleffe, une faillie, une gaité qui ne s'éteint point, & qui le rend plus aimable à cent ans que tous les agréables de la dernière promotion. Il a l'oreille un peu dure, mais il entend des yeux.

SON vrai contraste par raport à l'enjoûment, le plus férieux des hommes, & de la taciturnité la plus contagieufe, Mr. l'Abbé de Mably, auteur des Obfervations fur les Grecs, vient de nous donner fes Obfervations fur les Romains. C'eft un livre à mettre à coté des Confidérations de Mr. de Montefquieu fur les caufes de la grandeur des

Ro

Romains & de leur décadence: Eft-ce affés le louer, & vous plaindrez-vous de ma prévention contre les gens que je n'aime pas? Je lis lentement & avec réflexion un ouvrage fi profondément penfé, fi bien lié, fi rempli de vues, de conjectures heureufes, de dénoúmens & de fources de folutions: car Mr. de Mably n'eft pas homme à éluder la difficulté, comme tant d'autres; elle chatouille fa mauvaife humeur, il la préfère, il s'y obftine, & il en vient à bout. Mais attendez que j'aie tout lu; une autre fois je vous en dirai peut-être encore plus de bien.

VOILA un homme qui s'eft furpaffé; en voici un qui n'est pas arrivė jufqu'à lui-même. Mr. Duclos, le belesprit de la Ville & de la Cour le plus à la mode, fucceffeur de Mr. de Voltaire dans la place d'Historiographe de

Fran

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