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LITTÉRAIRE.

ANNÉE M. DCC. LXXII.

Par M. FRÉR ON, des Académies
d'Angers, de Montauban, de Nancy,
d'Arras, de Caën, de Marfeille, &
des Arcades de Rome.

Parcere perfonis, dicere de vitiis. Mart.

TOME

TROISIÈME.

கரம்

A PARIS,

Chez LE JAY, Libraire rue S. Jacques,
au deffus de la rue des Mathurins,
au Grand Corneille.

M. DCC. LXXII.

Harvard College Library

May 18, 1922

Minot fund

3

L'ANNÉE

LITTERAIRE.

LETTRE I.

Charles & Vilcourt, Idylle nouvelle ; à Paris chez P. Fr. Gueffier Libraire au bas de la rue de la Harpe; brochure in-8° de 29 pages.

LA

A fatyre n'a jamais été, Monfieur, auffi néceffaire que dans ce fiècle philofophique. Je ne parle pas de cette fatyre purement littéraire qui venge la raifon & qui répand le ridicule fur les mauvais écrivains. Elle a fans doute fon utilité; mais le goût, quelque précieux qu'il foit, l'eft moins que la vertu. Le poifon deftructeur d'une fauffe fageffe fermente dans toutes les têtes & menace d'attaquer les parties les plus faines de l'Etat. Enfin, Monfieur, c'est un Juvénal qu'il AN. 1772. Tom. III. A jj

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nous faut aujourd'hui. Un des travers qu'il devroit le plus combattre eft ce délire du fuicide, préfent le plus funefte qu'une nation rivale ait pu faire à la nôtre. Nous nous fommes créé ine infinité de befoins factices auxquels nous avons follement attaché notre bonheur & même notre exiftence. Quel fervice à rendre aux hommes de la génération préfente, s'il étoit poffible de les ramener à la Nature, & de leur perfuader que le vrai, le feul moyen d'être heureux eft de fe renfermer dans le cercle étroit des befoins qu'elle prefcrit & qui font toujours fi faciles à fatisfaire! C'eft l'objet du petit ouvrage que je vous annonce. Je n'ai guères pu deviner pourquoi l'Auteur lui donne le titre d'Idylle; il me femble que celui de Conte ou fimplement de Nouvelle lui conviendroit mieux. Quoi qu'il en foit, Monfieur, cette pièce n'a rien de la fadeur des Idylles ordinaires. Vous allez en juger vous-même.

Un cavalier brillant, jeune, bien fait, pouffe avec impétuofité fon cheval vers les bords d'un fleuve profond; tán

tôtils'arrête & regarde les flots d'un air penfif; tantôt il marche à l'aventure: il finit par ôter froidement fes habits; il les range avec ordre, puis fe fervant de fa jarretière, d'un côté il y attache une groffe pierre, &, paffant l'autre à fon cou, il fe précipite dans le fleuve. Derrière un tertre, en ramassant fon bois, A quatre pas un Villageois

Voyoit, fans être vû. Dans sa chûte, la pierre Avoit quitté le lien qui l'enferre.

Le Villageois foudain pouffe un bateau Au Cavalier qui monte, & le même cordeau Qui devoit le noyer, le retira de l'eau.

Tranquillement, fans fe rien dire,

Tous deux gagnent le haut. L'un fe laiffe conduire ;

L'autre le menant à l'endroit,

Où l'on voit fes habits, lui fait figne du doigt De fe vêtir. La plus verte vieilleffe,

Sur un front fillonné femble ajoûter des droits Au maintien ferme, lefte & mêlé de noblesse Du taciturne Villageois.

Déja, fans faire réfiftance,

Le Cavalier s'eft vêtu. Le filence

Accompagne fes mouvemens.

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