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autour de moi: le silence du lieu, qui n'est troublé que par le bruit des cataractes, et l'isolement où je me trouvais, commencèrent à m'épouvanter. Je m'armai de courage, et souris de mon espèce de peur: à chaque pas qui me rapprochait du gouffre, je croyais me rapprocher de l'Averne. Mon œil mesurait avec timidité l'immense hauteur du roc solide et majestueux, qui sert d'entablement au portail de la sombre retraite. Elle peut avoir de 60 à 80 pieds d'ouverture: à l'égard de sa profondeur, nul homme encore n'a pu la sonder.

Je descendis, non sans hésiter, vers le bassin, par un sentier en entonnoir profond d'environ dix toises; et enfin, enfin, je pus me mirer dans l'eau même de l'abîme.... Oh! je vous avoue, sans détour, qu'en m'inclinant, mes cheveux: se hérissèrent d'horreur (oui, pour me servir d'une belle expression de Bossuet);! ainsi descendu sur les bords d'un gouffre sans fond, entouré de bornes de tous côtés, resserré, et comme pressé de toutes, parts, je ne pouvais respirer que du côté du ciel.......... J'eus beau rappeler mes esprits, beau raisonner mes craintes, mon cœur

palpitait, et dans certains momens, j'éprouvais une sensation pareille à celle d'un homme qui serait prêt à se noyer en nageant. Je ne fus là que six minutes; mais tout m'effrayait, l'obscurité de l'antre, les arceaux surbaissés de plusieurs voûtes de pierres brutes et mal ordonnées, les crevasses des rochers, qui font paraître ces voûtes comme prêtes à s'écrouler, des piles de rochers, inégalement amoncelés et minés par le temps, et surtout la profondeur du gouffre, où je lançai des pierres qui descendaient circulairement, et que j'appercevais encore tournoyer au bout de quelques secondes. J'observai tout en frissonnant, j'admirai tout bien vîte, et je m'enfuis.

Bientôt ayant gagné l'abri du premier figuier, où j'apperçus des fruits et de l'ombre, je vins m'asseoir au bord du canal; et, mon Pétrarque à la main, je lus à haute voix, je déclamai avec transport l'ode charmante que le seul Voltaire pouvait embellir en la traduisant, mais qui respire en italien je ne sais quelle mollesse attendrissante, qui touche, qui pénètre et finit par exciter des larmes.

Chiare, fresche, dolci acque,

pure

Claire fontaine, onde aimable, onde
Où la beauté qui consume mon cœur
Seule beauté qui soit dans la nature,
Des feux du jour évitait la chaleur;
Arbre heureux dont le feuillage i
Agité par les zéphyrs,

La couvrait de son ombrage,
Qui rappelle mes soupirs,

En rappelant son image;

Ornemens de ces bords, et filles du matin,

Vous dont je suis jaloux, vous moins brillantes qu'elle, Fleurs qu'elle embellissait quand vous touchiez son sein; Rossignols, dont la voix est moins douce et moins belle, Air devenu plus pur, adorable séjour,

Immortalisés par ses charmes ;

Lieux dangereux et chers, où de ses tendres armes
L'amour a blessé tous mes sens!

Écoutez mes derniers accens,

Recevez mes dernières larmes !

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Vous me demanderez, peut-être, mon cher ami, d'où peut venir mon admiration pour Pétrarque, et comment on a

le courage de lire un pareil poëte, lorsqu'on connaît Horace et Tibulle? Il me semble que je vous entends vous écrier : » Qu'a » donc d'intéressant ce Pétrarque? Toute

sa poésie est d'un même ton, d'une mê» me couleur. Nul contraste, nulle va»riété : les roses, les perles, les cheveux » d'or, des eaux douces, fraîches et limpides; l'ombrage, les collines, les »rives, les grottes, les fontaines s'offrent » presque à chaque vers. Que d'idées ou » fausses ou puériles, dans la plûpart » de ces fameux sonnets!» Il est vrai que Pétrarque a tous ces défauts; mais malgré tous ces défauts, Pétrarque ne laisse pas de mériter sa célébrité : il créa dés expressions, des images, une poésie nouvelle; il détermina la forme poétique de sa langue, et sut parler quelquefois le pur langage du cœur et de la passion.

Ce qui me frappe dans cet écrivain si attachant pour les âmes sensibles et délicates, c'est, et l'originalité de ses idées, lors même que l'imitation des anciens, qu'il connaissait à merveille, semblait devoir gêner ses formes et ses ornemens, et la retenue de ses pinceaux dans ces momens où la passion l'emporté, où le

délire l'exalte.... Ardent, mais délicat i -passionné, mais chaste; il a beau désirer comme Sapho, sentir comme Tibulle il ne s'exprime que comme Platon': basso desio non è ch' evi si senta.

Aussi l'enthousiasme des Italiens pour Pétrarque, est une espèce de culte et de fanatisme superstitieux; il y a, comme l'amour et la vertu qu'il adore ensemble, des autels dans tous les cœurs de Naples à Venise, et de Rome à Florence. C'est qu'il est vrai, c'est qu'il y a dans son style une perfection dont les Italiens sont les seuls juges; c'est que ces odes allient les grâces les plus sensibles et le plus séduisant abandon, à des traits remplis de force et d'élévation, de poésie et de majesté.

» Pour peu qu'on se familiarise avec Pétrarque, ( dit un de nos plus savans littérateurs, né sur les bords de la même Sorgue, M. l'abbé Arnaud), on ne saurait se défendre de je ne sais quel charme qui flatte d'abord l'oreille, et enfin pénètre insensiblement jusqu'au fond de l'âme. Lisez ses Canzoni (odes) où respire tout -son génie poétique, et vous verrez, pendant cette lecture, que vous n'aurez d'autres idées, d'autres mouvemens , que ceux que vous recevrez de sa passion.

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