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Du 19 juin (1758). M. de Marivaux est venu remercier la Compagnie du compliment qu'elle lui a fait faire sur sa maladie.

Le lundi 1er octobre (1759). L'Académie ayant renouvelé ses officiers, le sort a fait M. de Marivaux Directeur et M. Gresset Chancelier. Signé : D'Olivet, Alary, Duclos.

Le lundi 8 mars (1762).

M. de Marivaux est venu remercier la Compa

gnie de l'inquiétude qu'elle lui a marquée sur sa maladie. M. l'abbé Trublet était le député. Signé Batteux, de Bougainville, Duclos.

Le samedi 12 février (1763).

L'Académie vient d'apprendre avec douleur la mort de M. de Marivaux, mort ce matin à Paris, âgé de 75 ans.

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Le jeudi 17 février. L'Académie, assemblée au nombre de vingt-huit académiciens, pour remplir la place de M. de Marivaux, le sort a fait M. le comte de Bissy évangéliste. M. l'abbé de Radonvilliers a eu la pluralité des suffrages, et le scrutin des boules lui a été favorable. Le Roi a agréé la proposition.

Le samedi 26 mars. M. l'abbé de Radonvilliers est venu prendre séance à l'Académie et a fait un discours de remerciement auquel M. le cardinal de Luynes a répondu.

Il était écrit que Marivaux serait maltraité à l'Académie française, non seulement le jour de sa réception, mais encore le jour où son éloge posthume serait prononcé par son successeur. L'abbé de Radonvilliers commença par lui payer, avec une mauvaise grâce évidente, ce maigre tribut d'éloges :

La réputation de l'académicien auquel je succède se soutient par ellemême, fondée sur une manière de penser et d'écrire qui lui est propre. M. de Marivaux, né avec le talent d'observer et d'analyser, avait fait une étude approfondie de l'homme en général, et de l'homme dans toutes les conditions. Il avait pénétré dans les replis les plus secrets du cœur, et il avait vu à découvert le progrès des passions et la nuance des sentiments. Des remarques si fines peuvent échapper au lecteur. M. de Marivaux, pour les exprimer avec succès, avait acquis une grande connaissance de sa langue; et, lorsqu'il en était besoin, il savait joindre aux richesses de la langue les ressources du génie.

Mais, aussitôt après, voici les réserves:

Une nation voisine l'a placé à la suite de La Bruyère. Nous sommes plus difficiles sur les divers genres de compositions. Il me semble, qu'en France, celles de M. de Marivaux ne sont mises qu'au rang des écrits intéressants et agréables. Si c'est lui dérober une partie de son mérite, c'est rendre à celle qu'on lui laisse la justice qui lui est due.

Et celles-ci, qui rappellent celles de Languet de Gergy, sauf l'adresse relative et les qualités du style:

Vous n'attendez pas de moi, Messieurs, que j'approuve le genre des romans et des comédies dans lesquels M. de Marivaux s'est exercé; des lois d'un ordre supérieur me le défendent, mais je puis et je dois louer les principes d'un auteur plein de sagesse, qui, dans ses romans et ses comédies, a respecté les bienséances et les mœurs. M. de Marivaux s'est même efforcé de tirer, autant qu'il était possible, de ces genres d'œuvres si dange

reux en eux-mêmes quelque avantage pour la société. Partout il combat les vices qui la rendent odieuse et les ridicules qui la rendent désagréable.

Suit, enfin, l'éloge des qualités de l'homme privé, emprunté presque textuellement à l'abbé de La Porte.

Le cardinal de Luynes, directeur, crut devoir se montrer plus sévère encore que le récipiendaire. Après avoir déclaré qu'il ne retoucherait pas le portrait « si ressemblant et orné de tant de grâces,› tracé par l'abbé de Radonvilliers, il condamnait à son tour les genres cultivés par Marivaux :

Si les pièces de théâtre et les romans ne servaient qu'à corriger les hommes et qu'à les rendre vertueux, ils deviendraient aussi utiles qu'ils sont dangereux. Mais qu'il est difficile de réussir dans ce projet! Il faut peindre les passions pour en faire sentir tout le désordre; la corruption de la nature saisit avidement la ressemblance du portrait; elle voit toujours la passion en beau, même sous les traits dont on la surcharge.

Quant à la valeur littéraire de Marivaux, le cardinal croit la caractériser en faisant de Marivaux un disciple de Fontenelle; toutefois, bien que le disciple imitât son maître, en «ne rendant pas assez de justice à la naïveté et à la simplicité avec laquelle la nature rend le sentiment, » en assujettissant « à la méthode un genre d'éloquence qui n'en connaît point, en faisant « briller l'esprit où il n'était question que de laisser parler le cœur, » en mettant souvent trop de délicatesse et de finesse dans ses pensées et dans la manière de les exprimer, il eut cependant son mérite propre d'invention et réussit à intéresser :

Son esprit, pour le dédommager, ce semble, du tort qu'il lui faisait, lui fournit les couleurs et les pinceaux pour peindre la nature ressemblante, pour en saisir les situations les plus vraies et les plus touchantes, et pour développer dans ses écrits ce cœur si honnête, si vrai, si sensible, qui faisait le fonds de son caractère. Porté par son génie à épuiser tous les sujets qu'il traitait, il entra souvent dans trop de détails; mais il en relevait les longueurs par tant de justesse et par tant de grâces, qu'il a mérité que ses ouvrages, après avoir été applaudis par ses concitoyens, aient encore obtenu le suffrage d'une nation savante et éclairée. En faisant traduire les ouvrages de M. de Marivaux, et en en multipliant les éditions, elle a fait sans doute un éloge bien flatteur de son talent; mais elle y a mis le dernier trait en le prenant pour son maître et son modèle dans ce genre d'écrire 1.

Enfin, s'il faut en croire le cardinal, ce qu'il y eut de meilleur chez Marivaux, ce fut sa mort édifiante :

Avoir amusé le monde pendant quelques années eût été pour M. de Marivaux un avantage bien inutile à l'heure de la mort. Dans ce moment où tout ce qui était humain allait cesser pour lui, il chercha dans la foi une consola

1. Le cardinal fait sans doute allusion à Pamela, à Clarisse Harlowe et aux autres romans anglais inspirés par la Vie de Marianne et le Paysan parvenu. Quant aux essais moraux de Marivaux, loin de servir de modèle aux Anglais (qui toutefois les goûtaient fort, voy. ci-dessus p. 448, n. 1), ils procédaient de ceux d'Addison.

tion qu'elle seule pouvait lui donner; il mourut en chrétien, C'était à ce point seul que se réduit ce qu'il y a de solide dans l'éloge des plus grands hommes.

Comme autrefois à la réception de Marivaux, le public goûta médiocrement cette façon singulière de comprendre l'éloge académique; il marqua sa désapprobation en témoignant aux deux orateurs beaucoup de réserve. Bachaumont écrivait au sortir de la séance:

M. de Radonvilliers a été reçu aujourd'hui. Rien de plus plat que son discours et de plus platement débité. Il a voulu le réciter de mémoire : c'était une suite d'éloges lourds et maladroits. Il n'y a que le pauvre Marivaux, dont il a restreint les louanges, attendu le genre pernicieux et condamnable dans lequel il a écrit. C'est quelque chose d'assez plaisant que cet auteur, fameux par ses romans et par ses comédies, se soit trouvé dans le cas d'être panégyrisé par un prètre d'une part, et par un cardinal de l'autre, car c'est le cardinal de Luynes qui avait été directeur. Il faut remarquer que cet auteur avait été reçu par un archevêque, M. Languet, qui, au lieu de lui donner le tribut d'encens usité en pareil cas, l'avait vivement tancé sur l'usage dangereux de ses talents. Le candidat ayant péroré, le Directeur ayant répondu, Messieurs s'étant regardés avec quelque confusion, ils ont levé le siège n'ayant plus rien à dire. C'est peut-être la seule fois que la salle n'a retenti d'aucuns battements de mains. La séance a duré environ une demi-heure 1.

IX

MARIVAUX A LA COMÉDIE-FRANÇAISE

Nous ne donnerons pas ici, pour les représentations de Marivaux à la Comédie-Française, un relevé analogue au précédent. Ce travail tiendrait trop de place et conviendrait mieux à une édition des œuvres qu'à une étude comme celle-ci. Nous nous contenterons, pour montrer la place que Marivaux tient dans l'ancien répertoire, de transcrire un tableau comparatif, récemment publié, des représentations dites classiques à la Comédie, dans ces dix dernières années2.

1. Mémoires secrets, édition de Londres, 1780, t. I, p. 194. put s'empêcher de trouver que Marivaux méritait mieux : Grimm lui-même ne cepteur des Enfants de France, le nouvel académicien a loué tout ce qui en a jamais «En sa qualité de sous-préapproché, et les morts n'ont pas été ménagés plus que les vivants. Celui qui se trouve le moins loué est ce pauvre Marivaux, qui, en sa qualité de prédécesseur, avait cependant le droit le plus incontestable à l'encens du récipiendaire. » (Correspondance littéraire, avril 1763, édit. Tourneux, t. V, p. 275.)

Nous avons fait remarquer (p. 140, n. 1) que toutes ces injustices avaient été réparces par la mise au concours de l'éloge de Marivaux en 1880. Déjà M. Vitet, recevant M. Octave Feuillet (26 mars 1863), avait rendu pleine justice à Marivaux; de même M. Camille Doucet, dans son Rapport sur les concours de 1878, en annonçant celui de 1880. Voy. ces deux appréciations, d'une exacte et fine justesse.

2. D'après le Rapport sur le budget des Beaux-Arts, présenté à la Chambre des députés par M. Lockroy, le 12 avril 1881, p. 99.

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Ainsi Marivaux vient, après Molière, en tête de nos auteurs comiques, avec une avance très considérable. Si la statistique n'est pas toujours un moyen très sûr pour apprécier le mérite littéraire d'un auteur, ici du moins elle prouve la faveur dont Marivaux jouit auprès du public.

Le lecteur curieux d'indications moins sommaires trouvera un relevé complet et détaillé des reprises, débuts, représentations extraordinaires dont les pièces de Marivaux ont été l'objet, de 1851 à 1870, dans le Journal intime de la Comédie-Française, et, pour ces six dernières années, dans les Annales du théâtre et de la musique, de MM. Noël et Stoullig. Voici, du reste, d'après ce dernier ouvrage, le chiffre des représentations pour chaque année de chacune des pièces de Marivaux restées en répertoire :

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Pendant la même période, le théâtre de l'Odéon a joué les pièces suivantes de Marivaux :

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X

ADDITIONS ET CORRECTIONS

P. 6, n. 1. Voltaire écrivait en 1739 : « Le spectacle est désert quand on joue ses comédies de Molière), et il ne va presque plus personne à ce même Tartufe, qui attirait autrefois tout Paris. » (Sommaires des pièces de Molière, le Malude imaginaire.) Voy., dans le Moliériste du 1er août 1879,

un ordre du duc d'Aumont, gentilhomme de la Chambre, en date du 633 11 juillet 1746, interdisant à la Comédie-Française de représenter, jusqu'à nouvel ordre, « aucune des comédies de Molière en cinq actes,» parce que ces représentations << sont entièrement abandonnées par le public. » Cette interdiction, il est vrai, ne dura que deux mois.

P. 88, ligne 16. Ce n'est pas M. Ed. Fournier qui a cité le premier, d'après Jamet, le mot de Marivaux sur Voltaire, mais M. G. Desnoiresterres, dans Voltaire à la cour, p. 97. M. Desnoiresterres ajoute en note: « Je tiens ceci, nous dit Jamet jeune, de l'auteur du Conservateur. »

P. 90, n. 5.- Voltaire dit encore, dans ses Sommaires des pièces de Molière, à propos des. Précieuses ridicules: «L'envie de se distinguer a ramené depuis (Molière) le style des Précieuses: on le retrouve encore dans plusieurs livres modernes (suivant des citations de Tourreil, Fontenelle et La Motte). Ce style a reparu sur le théâtre même, où Molière l'avait si bien tourné en ridicule; mais la nation entière a marqué son bon goût en méprisant cette affectation dans des auteurs que d'ailleurs elle estimait. » En somme, cette fois, Marivaux n'avait point trop à se plaindre.

P. 95-96. Marivaux n'aimait ni Prévost ni Desfontaines, qui le lui rendaient bien, et il ne se trouvait pas volontiers avec eux, témoin ce court passage d'une brochure du temps sur Voltaire : « Le marquis de Loc-Maria se proposa de donner un grand dîner à divers gens de lettres qui ne s'aimaient pas il y avait entre autres l'abbé Desfontaines, l'abbé Prévost, Marivaux, M. de Mairan. Il m'invita à ce repas, en me disant : « Je suis curieux de voir comment mon dîner finira. » (Lettre de M. de Burigny à M. Mercier, Londres, 1780.) Malheureusement, la brochure ne dit rien de plus sur ce singulier dîner.

P. 100, n. 4. Le commissaire Dubuisson, dont M. A. Rouxel vient de publier la correspondance (Lettres au marquis de Caumont, 1735-1741), trouvait, avec raison, Crébillon fils aussi maniéré que Marivaux. Il écrivait, à propos des Egarements du cœur et de l'esprit (janvier 1736, p. 172): « Le style fait demander pourquoi l'auteur s'est moqué de celui de M. de Marivaux. » Et encore: « Quelques gens ont trouvé que toute la différence qu'il y avait entre MM. de Marivaux et de Crébillon dans la manière de traiter leurs sujets, c'est que le premier mettait en réflexions a parte ce que le second met en conversation; d'ailleurs, même métaphysique et même envie de briller par des pointes.» (23 avril 1738, p. 454.)

P. 107. Il se pourrait que Marivaux fût redevable à Addison de cette ingénieuse satire de ceux qui n'aiment pas « les petits écrits.» Voy. un passage du Spectateur anglais, cité par M. Beljame, le Public et les hommes de lettres en Angleterre, p. 279; les mêmes idées s'y retrouvent.

P. 114, n. 1.

Au lieu de « chap. IV,» lisez « chap. v. »

P. 128, n. 5. - Nous nous trompions en contestant la candidature de Marivaux à l'Académie pour le fauteuil de Portail. On lit, en effet, dans la correspondance de Dubuisson (8 juin 1736, p. 221): «MM. de Mirepoix et de La Chaussée sont destinés à remplacer MM. Portail et Mallet, à l'Académie française. A l'égard de M. de Marivaux, qui y prétendait, il en est exclu par une raison que je tiens d'un des membres glorieux de cet illustre corps. La voici mot à mot: « Notre métier à l'Académie est de travailler à la compo

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