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PREMIÈRE PARTIE

L'HOMME

CHAPITRE PREMIER

ORIGINE DE MARIVAUX.
L'INGÉNUE AU MIROIR.
PREMIERS ÉCRITS.

SA JEUNESSE A LIMOGES; SA PREMIÈRE COMÉDIE ;
ARRIVÉE A PARIS; LES SALONS LITTÉRAIRES

La vie de la plupart de nos écrivains est assez exactement connue; pour quelques-uns d'entre eux, les plus grands, la curiosité des biographes n'a cessé de s'exercer sur les plus minutieux détails de leur existence, et il s'est formé peu à peu toute une littérature, qui s'est proposé pour but de ne rien laisser dans l'ombre de ce qui les touche. Pour les écrivains secondaires eux-mêmes, on s'est appliqué, avec un soin excessif quelquefois en raison de leur valeur littéraire, à rechercher les moindres incidents de leur carrière. Pendant longtemps Marivaux fut laissé en dehors des travaux de ce genre. Jusqu'à ces dernières années, on se contentait pour lui de réunir les quelques détails biographiques disséminés à travers l'étude que d'Alembert lui a consacrée. Personne ne songeait à remonter aux sources, à interroger les témoins de son existence. A vrai dire, les recherches de ce genre n'étaient pas faciles. D'abord, on savait par d'Alembert que la vie de Marivaux avait été des plus calmes et des plus unies, sans autres événements que les chutes ou les succès de ses pièces, « presque obscure par le peu d'empressement qu'il avait à se répandre ». En effet, nul plus que lui n'avait suivi le conseil du poète, cachant sa vie, loin de ce tourbillon bruyant où s'agitaient ses contemporains, peu répandu, malgré ses relations avec les salons littéraires, et « borné à la société d'un petit nombre

d'amis 1. » Or, ces amis, Fontenelle, La Motte, Helvétius, Mme de Tencin ne parlaient guère de lui dans leurs œuvres; à plus forte raison ses autres contemporains.

Où donc s'adresser pour retrouver le détail de tous ces menus faits qui servent à reconstituer la physionomie d'un homme et d'un écrivain, et dont la curiosité littéraire est si friande aujourd'hui ? Aux sources peu nombreuses où d'Alembert lui-même avait puisé, aux œuvres de tous ceux qui avaient pu connaître Marivaux et prononcer son nom par hasard, lui consacrer une ligne, un mot, aux volumineux recueils de journaux littéraires du temps, aux correspondances, aux almanachs, aux recueils d'anecdoctes, enfin aux divers dépôts publics ou collections privées de documents

1. D'Alembert, p. 614, n. 16.

2. La première étude biographique et littéraire sur Marivaux fut publiée de son vivant, quatre ans avant sa mort, par l'abbé de La Porte, dans l'Observateur littéraire de 1759, t. I, p. 73 et suiv. Elle est assez détaillée, très impartiale et généralement judicieuse. Après le travail de d'Alembert, c'est la source la plus considérable et la plus sûre de renseignements sur notre auteur. Elle fut reproduite, avec quelques détails nouveaux, sous le titre de Préface de l'éditeur sur la vie et les ouvrages de l'auteur, en tête de l'édition des Œuvres diverses de Marivaux, publiée en 1765 par le libraire Duchesne, et sous le titre d'Essai sur la vie et les ouvrages de l'auteur, en tête de l'édition des Œuvres complètes, publiée en 1781 par la veuve Duchesne. Vint ensuite un Éloge, qui mérite bien peu son titre, dans le Nécrologe des hommes célèbres, de 1764, publié par Palissot : c'est une satire dédaigneuse des œuvres et du caractère de Marivaux ; elle n'apprend guère rien que de La Porte n'eût déjà dit. En 1769, Lesbros de la Versane (voy ci-après, appendice IV, B) fait paraître l'Esprit de Marivaux ou Analectes de ses ouvrages, précédé d'un Eloge historique de cet auteur. Ce travail, assez étendu, est un panégyrique sans réserves de l'homme et de l'écrivain; il est plein d'une sorte d'émotion touchante et comme d'une ferveur de reconnaissance; le panégyriste a dû connaître particulièrement l'écrivain et ressentir ses bienfaits. On y trouve de nouveaux renseignements, nombreux et précis, qui complètent ceux de l'abbé de La Porte, et deux lettres inédites de Marivaux, très intéressantes, adressées sans doute à Lesbros lui-même, bien qu'il ne le dise pas : le ton affectueux de ces lettres, l'appellation de « mon cher enfant, » qui s'y trouve (p. 34) et qui s'accorde bien avec l'affection mutuelle qui unissait sans doute le panégyriste et son auteur, rendent cette hypothèse vraisemblable.

C'est dans ces divers écrits que d'Alembert a puisé les éléments de son Éloge. Il y a joint, pour les relations de Marivaux avec Fontenelle, les renseignements contenus dans les Mémoires pour servir à l'histoire de la vie et des ouvrages de M. de Fontenelle, par l'abbé Trublet (1759, in-12), et ce qu'il pouvait savoir par lui-même. Les biographes postérieurs à d'Alembert n'ont fait que le copier, sauf un, M. Edouard Fournier (voy. ci-après); le dernier éditeur des Euvres complètes de Marivaux, Duviquet, n'est remonté aux sources que très rarement.

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