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plaisir; et je suis bien aise d'apprendre comme on parle de

moi.

M. Jacques. Monsieur, puisque vous le voulez, je vous dirai franchement qu'on se moque par-tout de vous, qu'on; nous jette de tous côtés cent brocards) à votre sujet, et que l'on n'est point plus ravi que de vous tenir au cul et aux chausses; **) et de faire sans cesse des contes de votre lézine. L'un dit que vous faites imprimer des almanacs particuliers où vous faites doubler les quatre temps, ***) et les vigiles, t) afin de profiter des jeunes où vous obligez votre monde. l'autre, que vous avez toujours une querelle toute prête à faire à vos valets dans le temps des étiennes, ou de leur sortie d'avec vous, pour vous trouver une raison de ne leur donner rien. Celuilà conte qu'une fois vous fites assigner le chat d'un de vosvoisins, pour vous avoir mangé un reste d'un gigot de mouton. Celui-ci, que l'on vous su prit une nuit, en venant dérober vous-même l'avoine de vos chevaux, et que votre cocher, qui étoit celui d'avant moi, vous donna, dans l'obscurité. je ne sais combien de coups de bâton, dont vous ne voulûtes rien dire. Enfin, voulez-vous, que je vous dise? On ne sauroit aller nulle part, où l'on ne Vous entende accommoder de toutes pièces. Vous êtes la fable et la risée de tout le monde; et jamais on ne parle de vous. que sous les noms d'avare, de ladre, de vilain, et de fesse-Matthieu.

Harpagon. (en battant Maitre Jacques) Vous êtes un sot, un maraud, un coquin, et un impudent.

M. Jacques. Hé bien! Ne l'avois-je pas deviné? Vous ne m'avez pas voulu croire. Je vous avois bien dit que je

Vous fâcherois de vous dire la vérité.

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*) Stichelreden. Ein veraltetes Wort. ** Wenn man Sie erwischen, d. h neue Beyspiele von ihrem Geize erfahren kann. *** Die Quatember fallen kurz vor Ostern, um Pfingsten, Michaelis und Weihnachten und sind bey den Katholiken Fasttage. Der Tag vor einem Festtage, welcher bey den Katholiken meistens ein Fasttag ist.

M. Jacques. Morbleu, Monsieur le nouveau venu, qui faites l'homme d'importance, ce n'est pas votre affaire. Riez de vos coups de bâton, quand on vous en donnera, et ne venez point rire des miens.

Valère. Ah! Monsieur Maître Jacques, ne vous fàchez pas, je vous prie.

M. Jacques. (bas à part.) Il file doux. Je veux faire le brave; et s'il est assez sot pour me craindre, le frotter quelque peu. (haut.) Savez-vous bien, Monsieur le Rieur, que je ne ris pas, moi; et que si vous m'échauffez la tête, je vous ferai rire d'une autre sorte? (M. Jacques pousse Valère jusqu'au bout du Théâtre, en le menaçant.)

moi.

Valère. Hé, doucement.

M. Jacques. Comment, doucement? Il ne me plaît pas,

Valère. De grace.

M. Jacques. Vous êtes un impertinent.

Valère. Monsieur Maître Jacques.

M. Jacques. Il n'y a point de Monsieur Maître Jacques pour un double. *) Si je prends un bâton, je vous rosserai d'importance.

Valère. Comment? Un bâton! (Valère fait reculer maître Jacques à son tour.)

M. Jacques. Hé! Je ne parle pas de cela.

Valère. Savez-vous bien, Monsieur le fat, que je suis homme à vous rosser vous-même?

M. Jacques. Je n'en doute pas.

Valère. Que vous n'êtes, pour tout potage, **) qu'un faquin de cuisinier?

M. Jacques. Je le sais bien.

Valère. Et que vous ne me connoissez pas encore?

M. Jacques. Pardonnez-moi.

Valère. Vous me rosserez, dites-vous?

M. Jacques. Je le disois en raillant.

Valère. Et moi, je ne prends point de goût à votre raillerie. (Valère donnant des coups de bâton à Maitre Jacques.) Apprenez que vous êtes un mauvais railleur.

M. Jacques. (seul.) Peste soit la sincérité, c'est un mau: vais métier, désormais j'y renonce, et je ne veux plus dire vrai.

Passe

* Homme double, falscher Mensch. **) Pour tout potage, alles zusammengenommen.

Passe encore pour mon maître, il a quelque droit de me battre, mais, pour ce Monsieur l'Intendant, je m'en vengerai, si je puis.

SCENE VII.

MARIANE, FROSINE, MAITRE JACQUES.

Frosine, Savez-vous, Maître Jacques, si votre Maître est au logis?

M. Jacques. Oui, vraiment, il y est; je ne le sais que trop.

Frosine. Dites-lui, je vous prie, que nous sommes ici.

SCÈNE VIIL

MARIANE, FROSINE.

Mariane. Ah! Que je suis, Frosine, dans un étrange

état, et, s'il faut dire ce que je sens, que j'appréhende cette vue!

Frosine. Mais pourquoi, et quelle est votre inquiétude?, Mariane. Hélas! Me le demandez-vous, et ne vous figurez-vous point les alarmes d'une personne toute prête à voir le supplice où l'on veut l'attacher?

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Frosine. Je vois bien que, pour mourir agréablement, Harpagon n'est pas le supplice que vous voudriez embrasser; et je connois, à votre mine, que le jeune blondin dont vous m'avez parlé vous revient un peu dans l'esprit.

Mariane. Oui. C'est une chose, Frosine, dont je ne veux pas me défendre; et les visites respectueuses qu'il a rendues chez nous, ont fait, je vous l'avoue, quelque effet dans

mon ame,

Frosine. Mais avez vous sû quel il est?

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Mariane. Non, je ne sais point quel il est. Mais je sais qu'il est fait d'un air à se faire aimer; que, si l'on pouvoit mettre les choses à mon choix, je le prendrois plutôt qu'un autre, et qu'il ne contribue pas peu à me faire trouver un tour. ment effroyable dans l'époux qu'on veut me donner.

Frosine. Mon Dieu! Tous ces blondins sont agréables et débitent fort bien leur fait; mais la plupart sont gueux comme des rats; et il vaut mieux pour vous de prendre un vieux mari qui vous donne beaucoup de bien. Je vous avoue que les sens ne trouvent pas si bien leur compte du côté que je

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dis, et qu'il y a quelques petits degoûts à essuyer avec un tel époux; mais cela n'est pas pour durer; et sa mort, croyezmoi, vous mettra bientôt en état d'en prendre un plus aimable, qui réparera toutes choses.

Mariane. Mon Dieu! Frosine, c'est une étrange affaire, lorsque, pour être heureuse, il faut souhaiter ou attendre le trépas de quelqu'un; et la mort ne suit pas tous les projets que nous faisons.

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Frosine. Vous moquez-vous? Vous ne l'épousez qu'aux conditions de vous laisser veuve bientôt, et ce doit être là un des articles du contrat. Il seroit bien impertinent de ne pas mourir dans trois mois. Le voici en propre personne. Mariane. Ah! Frosine, quelle figure!

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SCENE IX.

HARPAGON, MARIANE, FROSINE.

Harpagon (à Mariane). Ne Vous offensez pa?, ma

belle, sí je viens à vous avec des lunettes. Je sais que vos appas frappent assez les yeux, sont assez visibles d'eux-mêmes, et qu'il n'est pas besoin de lunettes pour les appercevoir; mais, enfin, c'est avec des lunettes qu'on observe les astres; et je maintiens et garantis que vous êtes un astre; mais un astre, le plus bel astre qui soit dans le pays des astres.... Frosine, elle ne répond mot, et ne témoigne, ce me semble, aucune joie de me voir.

Frosine.

C'est qu'elle est encore toute surprise; et puis, les filles ont toujours hontè à témoigner d'abord ce qu'elles ont dans l'ame.

Harpagon. (à Frosine.) Tu as raison. (à Mariane.) Voilà, belle mignonne, ma fille qui vient vous saluer.

SCENE X.

HARPAGON, ÉLISE, MARIANE, FROSINE.

Mariane. Je m'acquitte bien tard, Madame, d'une telle

visite,

Elise. Vous avez fait, Madame, ce que je devois faire; et c'étoit à moi de vous prévenir.

Harpagon. (à Mariane.) Vous voyez qu'elle est grande; mais mauvaise herbe croît toujours.

Mariane. (bas à Frosine.) O l'homme déplaisant!
Harpagon (à Frosine.) Que dit la belle?
Frosine. Qu'elle vous trouve admirable.
Harpagon. C'est trop d'honneur,que vous

adorable mignonue.

Mariane. (à part.) Quel animal!

me faites,

Harpagon. Je vous suis trop obligé de ces sentimens.
Mariane. (a part.) Je n'y puis plus tenir.

SCÈNE XI.

IIARPAGON, MARIANE, ÉLISE, CLÉANTE, VALÈRE,

Harpagon.

la révérence.

FROSINE, BRINDAVOINE.

Voici

oici mon fils aussi, qui vous vient faire

Mariane (bas à Frosine.) Ah! Frosine, quelle rencontre ! C'est justement celui dont je t'ai parlé.

Frosine. (à Mariane). L'aventure est merveilleuse. Harpagon. Je vois que vous vous étonnez de me voir de si grands enfans! mais je serai bientôt défait et de l'un et de l'autre.

Cléante, (à Mariane.) Madame, à vous dire le vrai, c'est ici une aventure où, sans doute, je ne m'attendois pas; et mon père ne m'a pas peu surpris, lorsqu'il m'a dit tantôt le dessein qu'il avoit formé.

Mariane. Je puis dire la même chose. C'est une rencontre imprévûe, qui m'a surprise autant que vous; et je n'étois point préparée à une telle aventure.

Cléante. Il est vrai que mon père, Madame, ne peut pas faire un plus beau choix, et que ce m'est une sensible joie que l'honneur de vous voir; mais, avec tout cela, je ne vous assurerai point que je me réjouis du dessein où vous pourriez être de devenir ma belle-mère. Le compliment, je vous l'avoue, est trop difficile pour moi, et c'est un titre, s'il vous plait, que je ne vous souhaite point. Ce discours paroîtra brutal aux yeux de quelques-uns; mais je suis assuré que vous serez personne) à le prendre comme il faudra; que c'est un mariage, Madame, où vous vous imaginez bien que je dois avoir de la répugnance; que vous n'ignorez pas, sachant ce que je suis, comme il choque mes intérêts, et que vous voulez bien enfin

*) Dafs Sie im Stande seyn, dass Sie wissen werden.

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