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C'est une note de M. Léonce Couture qui m'a révélé l'existence à Leyde de deux lettres de Jules-César Scaliger à Gérard-Marie Imbert.

L'excellent rédacteur de la Revue de Gascogne me priait, il y a quelques mois, d'user de mes bons rapports avec M. W.-G. Pluygers, le docte bibliothécaire de l'Université de Leyde, pour en obtenir communication. Avec l'autorisation de M. Pluygers, M. W.-N. du Rieu, conservateur de la même Bibliothèque, voulut bien les faire transcrire par M. Hartmann. Je les publie (') sur cette copie, après avoir fait collationner de nouveau par M. du Rieu certains passages qui me paraissaient suspects.

J'adresse aux trois savants hollandais l'expression de ma vive gratitude pour tous leurs bons offices.

Ces deux lettres ont été écrites par Scaliger en 1557,

(1) Ma traduction, communiquée à M. L. Couture avant l'impression du texte, doit être utilisée par lui dans un appendice à son étude sur Imbert, appendice qui paraîtra dans la Revue de Gascogne,

à l'occasion des vers grecs que le jeune Imbert avait faits à son éloge (1).

L'illustre érudit habitait alors Agen. Imbert, qui était de Condom, et, par suite du voisinage, lié anciennement avec Scaliger, se trouvait à Paris, où il terminait, sous Daurat, ses études littéraires. Sur la recommandation de Scaliger, il était entré dans l'intimité du savant J. de Maumont ('), qui surveillait alors, chez Vascosan, l'impression du livre de Scaliger contre Cardan (Exotericarum exercitationum liber xv de Subtilitate, ad H. Cardanum), ouvrage qui parut en cette même année 1557.

Le 14 et le 15 mars 1557 (3), Maumont, malade, écrivait, de l'imprimerie même, une lettre dans le postscriptum de laquelle il annonçait à Scaliger que Daurat et Imbert venaient de lui faire remettre des vers grecs destinés à être imprimés en tête du volume, et il ajoutait quelques mots sur les sentiments d'estime que les deux hellénistes professaient à l'égard de celui dont ils venaient de chanter les louanges dans l'idiome d'Homère (4).

(1) Ces vers, avec la traduction que j'en ai faite, ont été réimprimés à la page 98 du volume des Sonnets exotériques d'Imbert, publié avec tant de soins par M. Tamizey de Larroque. Je les reproduis ci-après, p. 27.

(2) C'est ce qui me paraît ressortir de cette phrase d'une lettre de Maumont à Scaliger (p. 246 des Epistolæ J.-C. Scaligeri) : « ... Imbertus tuus, nuncque, beneficio tuo, totus noster. » — Sur Jean de Maumont, voyez la note de M. Tamizey de Larroque, ouvrage cité, p. 76.

(3) J'ai cru un moment que cette date du 15 mars impliquait le millésime de 1558; mais le volume contre Cardan, qui était alors sous presse, porte un achevé d'imprimer de juillet 1557. Il résulte de cela que Maumont faisait commencer l'année au 1er janvier, appliquant par anticipation la réforme établie six ans plus tard par l'ordonnance de Roussillon (1563).

(4) « Id autem fecerunt, alter [Daurat], ut benevolentiam erga te suam, tuorumque operum admirationem toti mundo testificaretur; alter porro [Imbert], ut veterem suam tui observantiam atque amorem magis ac magis patefaceret et confirmaret. » (Extrait de la lettre de Maumont imprimée par Dousa parmi celles de Scaliger, p. 243 et suiv. Quant au post-scriptum resté inédit, on en trouvera le texte plus loin, p. 34.)

C'est à cette occasion que Scaliger prit la plume pour remercier Imbert; il est possible qu'il en ait fait autant à l'égard de Daurat; mais la pensée que ce dernier lirait probablement la lettre écrite à son jeune disciple a pu être pour quelque chose dans l'emploi qu'il fit de la langue grecque, emploi qui était d'ailleurs une manière gracieuse de se mettre à l'unisson de ses panégyristes.

Cette circonstance, cette singularité si l'on veut, a peut-être été la cause de la non-insertion de ces deux pièces dans le recueil des lettres de J.-C. Scaliger, qui fut publié par François Dousa, en 1600 (1).

Sans doute, il serait difficile d'admettre que quelques pages de grec eussent pu paraître un épouvantail aux lecteurs hollandais de cette époque. Daniel Heinsius, précisément alors, saisissait volontiers les occasions de faire des dédicaces en dorien (2); le fils de Scaliger s'exerçait avec amour à mettre en vers grecs des vers latins, et Dousa même, bien que plus spécialement latiniste, ne reculait pas non plus devant le grec; mais la publication du recueil de ces lettres a été faite avec une négligence si manifeste, le désordre règne tellement d'un bout à l'autre du volume, qu'il faut bien admettre que ni Joseph Scaliger, ni Dousa n'ont surveillé de près l'impression. Ils se seront probablement contentés de livrer des copies à l'imprimerie Plantinienne, et, pour éviter de plus grandes causes d'erreurs, ils en auront

(1) Dousa, dans sa préface, constate qu'il a recueilli la plupart de cés lettres pendant un voyage en France. Il dit en avoir tiré aussi quelques unes des papiers de J.-C. Scaliger, conservés par son fils Joseph. Je pense que celles que je publie ici proviennent de cette dernière source. Elles ont toute l'apparence de copies autographes, et les passages dont j'ai eu le fac-simile présentent les z et les y très caractéristiques fournis par le spécimen de l'écriture de Scaliger, dans l'atlas du Théocrite de Gail.

(2) Il dédiait ainsi son Théocrite, en 1604, à Paul Choart de Buzanval, auquel Dousa avait dédié, en 1600, le recueil des lettres de J.-C. Scaliger.

distrait les épîtres grecques, qui devaient d'ailleurs intéresser un nombre de lecteurs beaucoup plus restreint.

Quoi qu'il en soit, ces deux épîtres paraissent être restées inédites (2), et cette circonstance fortuite me permet aujourd'hui de fournir un utile complément à l'excellente édition des Sonnets d'Imbert, publiée par M. Ph. Tamizey de Larroque, et à la curieuse notice consacrée à cet auteur par M. Léonce Couture.

J'ajoute que ces pages, fort remarquables comme manifeste d'indépendance intellectuelle, offrent un intérêt particulier pour l'histoire des études grecques. Si l'on examine, d'une part, l'aisance du langage et la précision des termes, si l'on songe qu'en 1557 les dictionnaires grecs complets faisaient défaut (3), on reste profondément surpris de la force de volonté de ces hommes de la Renaissance, qui, sans autre secours que la lecture, l'application et la sagacité, parvenaient à une possession aussi intime de langues anciennes. Il suffit de lire la seconde de ces lettres pour constater, à ses répétitions, qu'elle n'a point été le produit d'une préparation prolongée; or, depuis Budé, je ne vois guère que le bon Coray qui eût su improviser ainsi d'utiles conseils à la jeunesse de son temps. Il l'aurait fait en un style moins imagé et

(1) J'apprends par M. du Rieu que Schelhorn, dans les vol. VI et VIII de ses Amænitates Litterariæ, a publié quelques parties du recueil des papiers de Scaliger conservé à Leyde. Je ne suppose pas toutefois que les épîtres à Imbert aient trouvé place dans cette publication, que je n'ai • pu consulter. J'apprends aussi, au dernier moment, que, dans ces mêmes papiers, se trouvent encore deux lettres grecques de Scaliger le père, écrites l'une à son fils Sylve, l'autre à Muret. Je me propose de les faire imprimer plus tard, si le public accueille avec intérêt celles que je lui offre aujourd'hui.

(2) Le lexique, fort estimable, de Robert Constantin ne parut qu'en 1562. L'auteur était l'ami et peut-être le disciple de Scaliger. Je ferai remarquer que c'est une longue épître grecque qui sert de préface a son livre.

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