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très-propre à peindre la vertu romaine, et très-peu | lait point l'écouter ailleurs qu'à l'hôtel de Bourgogne. propre à faire sa fortune. Il n'aimait point la cour; il Certainement M. de Corneille se négligeait trop, ou, y apportait un visage presque inconnu, un grand pour mieux dire, la nature, qui lui avait été si libénom qui ne s'attirait que des louanges, et un mérite rale en des choses extraordinaires, l'avait comme ouqui n'était point de ce pays-là. Rien n'était égal à son blié dans les plus communes. Quand ses familiers incapacité pour ses affaires que son aversion; les plus amis, qui auraient souhaité de le voir parfait en tout, légères lui causaient de l'effroi et de la terreur. Quoi- lui faisaient remarquer ses légers défauts, il souriait, que son talent lui eût beaucoup rapporté, il n'en et disait Je n'en suis pas moins pour cela Pierre était guère plus riche. Ce n'est pas qu'il eût été fâché Corneille. Il n'a jamais parlé bien correctement la de l'être; mais il eût fallu le devenir par une habi- langue française; peut-être ne se mettait-il pas en leté qu'il n'avait pas, et par des soins qu'il ne pouvait peine de cette exactitude. prendre. Il ne s'était point trop endurci aux louanges à force d'en recevoir : mais, s'il était sensible à la gloire, il était fort éloigné de la vanité. Quelquefois il se confiait trop peu à son rare mérite, et croyait trop facilement qu'il pût avoir des rivaux. A beaucoup de probité naturelle, il a joint, dans tous les temps de sa vie, beaucoup de religion, et plus de piété que le commerce du monde n'en per-rite et de leur gloire. met ordinairement. Il a eu souvent besoin d'être rassuré par des casuistes sur ses pièces de théâtre, et ils lui ont toujours fait grâce en faveur de la pureté qu'il avait établie sur la scène, des nobles sentiments qui règnent dans ses ouvrages, et de la vertu qu'il a mise jusque dans l'amour.

SUPPLÉMENT

A LA VIE DE CORNEILLE.

A voir M. de Corneille, on ne l'aurait pas cru capable de faire si bien parler les Grecs et les Romains,

et de donner un si grand relief aux sentiments et aux

pensées des héros. La première fois que je le vis, je le pris pour un marchand de Rouen. Son extérieur n'avait rien qui parlât pour son esprit ; et sa conversation était si pesante, qu'elle devenait à charge dès qu'elle durait un peu. Une grande princesse qui avait désiré le voir et l'entretenir, disait qu'il ne fal

Quand il avait composé un ouvrage, il le lisait à madame de Fontenelle, sa sœur, qui en pouvait bien juger. Cette dame avait l'esprit fort juste; et si la nature s'était avisée d'en faire un troisième Corneille, ce dernier n'aurait pas moins brillé que les deux autres : mais elle devait être ce qu'elle a été pour donner à ses frères un neveu, digne héritier de leur mé

Les premières pièces de théâtre de M. de Corneille ont été plus heureuses que parfaites; les dernières ont été plus parfaites qu'heureuses; et celles du milieu ont mérité l'approbation et les louanges que le public a données aux premières moins par lumière que par sentiment. (VIGNEUL DE MARVILLE'.)

Simple, timide, d'une ennuyeuse conversation, il (Corneille) prend un mot pour un autre, et il ne juge de la bonté de sa pièce que par l'argent qui lui en revient; il ne sait pas la réciter, ni lire son écriture. Laissez-le s'élever par la composition, il n'est pas au-dessous d'Auguste, de Pompée, de Nicomède, d'Héraclius; il est roi et un grand roi, il est politique, il est philosophe : il entreprend de faire parler des héros, de les faire agir ; il peint les Romains : ils sont plus grands et plus Romains dans ses vers que dans leur histoire. (LA BRUYÈRE, ch. XII, des Jugements.)

Corneille étant venu un jour à la comédie, où il n'avait point paru depuis deux ans, les acteurs s'interrompirent d'eux-mêmes; le grand Condé, le prince de Conti, et généralement tous ceux qui étaient sur le théâtre, se levèrent; les loges suivirent leur exemple; le parterre se signala par des battements de mains et des acclamations qui recommencèrent à tous les entr'actes. Des marques d'une distinction si flatteuse devaient être bien embarrassantes pour un homme dont la modestie allait de

1 Ces casuistes avaient bien raison. L'art du théâtre est comme celui de la peinture. Un peintre peut également faire des ouvrages lascifs et des tableaux de dévotion: tout auteur peut être dans ce cas. Ce n'est donc point le théâtre qui est condamnable, mais l'abus du théâtre. Or les pièces étant approuvées par les magistrats, et ayant la sanction de l'autorité royale, le seal abus est de les condamner. Cette ancienne méprise a subsisté parce que les comédies des mimes étaient obscènes du temps des premiers chrétiens, et que les autres spectacles étaient consacrés, chez les Romains et chez les Grecs, par les céré-pair avec le mérite. Si Corneille eût pu prévoir cette monies de leur religion; elles étaient regardées comme un acte d'idolatrie. Mais c'est une grande inconséquence de vouloir flétrir des pièces très-morales, parce qu'il y en a eu autrefois de scandaleuses. (V.)

C'est sous ce nom que le chartreux dom Bonaventure d'Argonne s'est fait connaître dans la république des lettres.

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OEUVRES DE P. CORNEILLE.

PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.

Publier aujourd'hui les Œuvres de Corneille, ce n'est pas les reproduire telles qu'elles ont été livrées pour la première fois au public par Corneille lui-même, puisque, dans la suite, il leur a fait subir de nombreuses corrections; ce n'est pas non plus les réimprimer telles qu'elles existent dans les éditions de 1660 et 1663, car le texte de ces éditions, d'ailleurs incomplètes, a également éprouvé plusieurs rectifications importantes; ce n'est pas enfin faire reparaître l'édition donnée par Thomas Corneille en 1692 : quoiqu'elle soit revêtue de la formule banale, revu et corrigé par l'auteur, il est constant que, depuis la mort de son frère, Thomas Corneille a introduit, soit dans le texte, soit dans la coupe des scènes, quelques changements et quelques modifications'.

Pour retrouver le texte de Corneille, il faut le chercher dans l'édition de 1682, la dernière qu'il ait revue, et la seule qui contienne tout son théâtre : c'est celle que nous avons suivie. Quelques négligences typographiques, faciles à expliquer par le grand âge de l'auteur et par l'état de faiblesse dans lequel il passa les deux dernières années de sa vie, ne sauraient ôler à cette édition la confiance que sa date lui assure. Du reste, il nous a suffi de consulter les précédentes, pour faire disparaître ces incorrections qui ne peuvent arrêter un instant le lecteur, et qui détruiraient, au besoin, les conjectures de quelques hommes, fort éclairés d'ailleurs, suivant lesquels l'édition de 1682 aurait été surveillée et dirigée par les deux frères.

Le véritable texte de Corneille reparaît donc ici dans toute sa pureté : il est accompagné du commentaire de Voltaire 3, des notes de la Harpe, des remarques de Palissot et de tous les écrivains dont ces ouvrages immortels ont exercé la critique ou excité l'admiration. Notre édition renferme en outre plusieurs lettres et quelques autres pièces inédites. Nous reproduisons, avec Voltaire et un grand nombre des éditeurs qui l'ont précédé ou suivi, la vie de Corneille, écrite par Fontenelle son neveu, telle qu'il la donna à d'Olivet

'Voltaire, qui d'ailleurs a tant fait pour la gloire de Corneille, n'a pas toujours reproduit fidèlement son texte. Adop tant tantôt celui des premières éditions, tantôt celui des derniéres, quelquefois les mêlant tous ensemble, il a relevé des fautes qui n'existaient plus, et son exemple a séduit ou égaré presque tous les éditeurs modernes.

* Il avait alors soixante-seize ans, et mourut deux ans après. 3 Ses préfaces se retrouvent en notes.

CORNEILLE. TOME 1.

pour être insérée dans l'Histoire de l'Académie : mais pour compléter cette vie, nous avons cru devoir y joindre, sous le titre de Supplément, quelques faits relatifs à Corneille, et recueillis pour la plupart dans les écrits de ses contemporains.

Il est presque inutile d'ajouter que nous n'avons cité aucune des corrections adoptées par des comédiens qui se croient plus délicats que le public; ils seraient plus réservés sans doute, s'ils se rappelaient que Baron ayant osé changer quelques vers de Nicomède, fut interrompu par le parterre, qui répéta sur-le-champ et tout haut la véritable leçon: hommage éclatant qui vengeait Corneille des atteintes de la médiocrité, et faisait le plus bel éloge de ses ouvrages, puisqu'il prouvait que les vers mêmes qu'on croyait susceptibles d'être corrigés étaient dans la mémoire de tous les spectateurs. L'admiration et le respect de la postérité sont éternellement acquis à ce génie puissant qui prépara la plus belle époque de notre histoire; à cet écrivain fécond qui à ce poëte sublime qui sut réunir l'énergique et savante mit en jeu sur la scène toutes les passions du cœur humain; précision de Tacite à la noble et belle simplicité de Malherbe ; à cet homme prodigieux enfin, « véritablement né pour la « gloire de son pays, comparable, non à tout ce que l'an«< cienne Rome a produit d'excellents tragiques, puisqu'elle « confesse elle-même qu'en ce genre elle n'a pas été fort << heureuse, mais aux Eschyle, aux Sophocle, aux Euripide, « dont la fameuse Athènes ne s'honore pas moins que des << Themistocle, des Périclès, des Alcibiade, qui vivaient en « même temps qu'eux 2.

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espèce de triomphe, personne ne doute qu'il ne se fût abstenu de paraître au spectacle. (Tableau historique de l'esprit des littérateurs, t. II, p. 64, 1785, in-8°. 4 vol.)

Je suis au désespoir que vous ayez eu Bajazet par d'autres que par moi.... Je voulais vous envoyer la Champmêlé pour vous réchauffer la pièce. Le personnage de Bajazet est glacé ; les mœurs des Turcs y sont mal observées; le dénoûment n'est point bien préparé; on n'entre point dans les raisons de cette grande tuerie: il y a pourtant des choses agréables, mais rien de parfaitement beau, rien qui enlève, point de ces tirades de Corneille qui font frissonner. Ma fille, gardons-nous bien de lui comparer Racine; sentons-en toujours la différence. Vive notre vieil ami Corneille! Pardonnons-lui de méchants vers en faveur des divines et sublimes beautés qui nous transportent : ce sont des traits de maître inimitables. Despréaux en dit encore plus que moi. En un mot, c'est le bon goût : tenez-vous-y. (Madame DE SÉVIGNÉ.)

Ce n'est pas la coutume de l'Académie de se lever de sa place dans les assemblées pour personne; chacun demeure comme il est. Cependant, lorsque M. Corneille arrivait après moi, j'avais pour lui tant de vénération, que je lui faisais cet honneur. C'est lui qui a formé le théâtre français. Il ne l'a pas seulement enrichi d'un grand nombre de belles pièces

toutes différentes les unes des autres, on lui est encore redevable de toutes les bonnes de tous ceux qui

sont venus après lui. Il n'y a que la comédie où il n'a pas si bien réussi. Il y a toujours quelques scènes trop sérieuses celles de Molière ne sont pas de même; tout y ressent la comédie. M. Corneille sentait bien que Molière avait eu cet avantage sur lui; c'est pour cela qu'il en avait de la jalousie, ne pouvant s'empêcher de le témoigner : mais il avait tort.

(SÉGRAIS.)

Étant une fois près de Corneille sur le théâtre, à une représentation de Bajazet (1672), il me dit: Je me garderais bien de le dire à d'autres que vous, parce qu'on pourrait croire que j'en parle par jalousie; mais, prenez-y garde, il n'y a pas un seul personnage dans ce Bajazet qui ait les sentiments qu'il doit avoir, et que l'on a à Constantinople: ils ont tous, sous un habit turc, le sentiment qu'on a au milieu de la France. Il avait raison, et l'on ne voit pas cela dans Corneille : le Romain y parle comme un Ro

main, le Grec comme un Grec, l'Indien comme un Indien, et l'Espagnol comme un Espagnol. (SÉGRAIS.)

Faut-il mourir, madame; et, si proche du terme,
Votre illustre inconstance est-elle encor si ferme
Que les restes d'un feu que j'avais cru si fort
Puissent dans quatre jours se promettre ma mort?
Tite et Bérénice, acte I, sc. II.

L'acteur Baron, qui, lors de la première représentation de cette tragédie, faisait le personnage de Domitian, et qui, en étudiant son rôle, trouvait quelque obscurité dans ces quatre vers, crut son intelligence en défaut, et alla en demander l'explication à Molière, chez qui il demeurait. Molière, après les avoir lus, avoua qu'il ne les entendait pas non plus : Mais attendez, dit-il à Baron, M. Corneille doit venir souper avec nous aujourd'hui, et vous lui direz qu'il vous les explique. » Dès que Corneille arriva, le jeune Baron alla lui sauter au cou, comme il faisait ordinairement, parce qu'il l'aimait, et ensuite il le pria de lui expliquer les vers qui l'embarrassaient : « Je ne les entends pas trop bien non plus, dit Corneille après les avoir examinés quelque temps; mais récitez-les toujours tel qui ne les entendra pas les admirera.» (Bolæana.)

M. Corneille, encore fort jeune, se présenta un jour plus triste et plus rêveur qu'à l'ordinaire devant le cardinal de Richelieu, qui lui demanda s'il traquillité nécessaire pour la composition, et qu'il avait vaillait. Il répondit qu'il était bien éloigné de la tran

la tête renversée par l'amour. Il en fallut venir à un plus grand éclaircissement; et il dit au cardinal qu'il aimait passionnément une fille du lieutenant général des Andelys, en Normandie, et qu'il ne pouvait l'obtenir de son père (M. de Lampérière). Le cardinal voulut que ce père si difficile vînt lui parler à Paris. Il y arriva tout tremblant d'un ordre si imprévu, et s'en retourna bien content d'en être quitte pour avoir donné sa fille à un homme qui avait tant de crédit. (FONTENELLE, Additions à la Vie de son oncle.)

La première nuit de ses noces, qui se firent à Rouen, Corneille fut si malade, que l'on répandit à Paris le bruit de sa mort. Un pareil sujet était bien digne d'exercer la plume des poëtes, et Ménage lui fit aussitôt cette épitaphe :

CORNELII TUMULUS.

Hic jacet ille sui lumen Cornelius ævi, Quem vatem agnoscit Gallica scena suum. Marie de Lampérière.

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qu'on sait avoir porté l'indifférence pour l'argent jusqu'à une insensibilité blâmable; qui n'a jamais tiré de ses pièces que ce que les comédiens lui donnaient, sans compter avec eux; qui fut un an sans remercier Colbert du rétablissement de sa pension; qui, après avoir vécu sans faire aucune dépense, est mort sans biens; Corneille enfin qui a eu le cœur aussi grand que l'esprit, les sentiments aussi nobles que les idées!

Peu de jours avant sa mort l'argent manquait à cet illustre malade, fort éloigné de thésauriser; et le roi ayant appris du père de la Chaise la situation critique du grand Corneille, lui envoya deux cents louis. (Le père TOURNEMINE. )

A la fin de cette même année Corneille mourut; et mon père, qui le lendemain de cette mort entrait dans les fonctions de directeur, prétendait que c'était à lui à faire faire, pour l'académicien qui venait de mourir, un service suivant la coutume. Mais Corneille était mort pendant la nuit; et l'académicien qui était encore directeur la veille prétendait que, comme il n'était sorti de place que le lendemain matin, il était encore dans ses fonctions au moment de la mort de Corneille, et que par conséquent c'était à lui à faire faire le service. Cette dispute n'avait pour laient avoir l'honneur de rendre les devoirs funèbres motif qu'une généreuse émulation: tous deux vou-. à un mort si illustre. Cette contestation, glorieuse pour les deux parties, fut décidée par l'Académie en faveur de l'ancien directeur; ce qui donna lieu à ce mot fameux que Benserade dit à mon père : « Nul << autre que vous ne pouvait prétendre à enterrer Corneille; cependant vous n'avez pu y parvenir. » (L. RACINE.)

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I 1684.

FIN DE LA VIE DE CORNEILLE.

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