Tu dis vrai, Garibalde; et déjà je le donne A qui voudra des deux partager ma couronne. Non que j'espère encore amollir ce rocher Que ni respects ni vœux n'ont jamais su toucher: Si j'aimai Rodelinde, et si pour n'aimer qu'elle Mon âme à qui m'aimait s'est rendue infidèle; Si d'éternels dédains, si d'éternels ennuis, Les bravades, la haine, et le trouble où je suis, Ont été jusqu'ici toute la récompense
De cet amour parjure où mon cœur se dispense, Il est temps désormais que, par un juste effort, J'affranchisse mon cœur de cet indigne sort.. Prenons l'occasion que nous fait Éduige; Aimons cette imposture où son amour l'oblige. Elle plaint un ingrat de tant de maux soufferts, Et lui prête la main pour le tirer des fers. Aimons, encore un coup, aimons son artifice, Aimons-en le secours, et rendons-lui justice. Soit qu'elle en veuille au trône ou n'en veuille qu'à moi, Qu'elle aime Grimoald ou qu'elle aime le roi, Qu'elle ait beaucoup d'amour ou beaucoup de courage, Je dois tout à la main qui rompt mon esclavage. Toi qui ne la servais qu'afin de m'obéir, Qui tâchais par mon ordre à m'en faire haïr, Duc, ne t'y force plus, et rends-moi ma parole; Que je rende à ses feux tout ce que je leur vole, Et que je puisse ainsi d'une même action Récompenser sa flamme ou son ambition. GARIBALDE.
Je vous la rends, seigneur; mais enfin prenez garde A quels nouveaux périls cet effort vous hasarde, Et si ce n'est point croire un peu trop promptement L'impétueux transport d'un premier mouvement.
L'imposteur impuni passera pour monarque; Tout le peuple en prendra votre bonté pour marque; Et, comme il est ardent après la nouveauté, Il s'imaginera son rang seul respecté. Je sais bien qu'aussitôt votre haute vaillance De ce peuple mutin domptera l'insolence. Mais tenez-vous fort sûr ce que vous prétendez Du côté d'Éduige, à qui vous vous rendez ? J'ai pénétré, seigneur, jusqu'au fond de son âme, Où je n'ai vu pour vous aucun reste de flamme; Sa haine seule agit, et cherche à vous ôter Ce que tous vos désirs s'efforcent d'emporter. Elle veut, il est vrai, vous rappeler vers elle; Mais pour faire à son tour l'ingrate et la cruelle, Pour vous traiter de lâche, et vous rendre soudain Parjure pour parjure, et dédain pour dédain. Elle veut que votre âme esclave de la sienne, Lui demande sa grâce, et jamais ne l'obtienne. Ce sont ses mots exprès; et pour vous punir mieux,
Elle me veut aimer, et m'aimer à vos yeux : Elle me l'a promis.
GRIMOALD, GARIBALDE, ÉDUIGE. ÉDUIGE.
Je te l'ai promis, traître! Oui, je te l'ai promis, et l'aurais fait peut-être, Si ton âme, attachée à mes commandements, Eût pu dans ton amour suivre mes sentiments. J'avais mis mes secrets en bonne confidence!
Vois par là, Grimoald, quelle est ton imprudence; Et juge, par les miens lâchement déclarés, Comme les tiens sur lui peuvent être assurés. Qui trahit sa maîtresse aisément fait connaître Que sans aucun scrupule il trahirait son maître; Et que, des deux côtés laissant flotter sa foi, Son cœur n'aime en effet ni son maître ni moi. Il a son but à part, Grimoald, prends-y garde; Quelque dessein qu'il ait, c'est toi seul qu'il regarde. Examine ce cœur, juge-s-en comme il faut. Qui m'aime et me trahit aspire encor plus haut.
Vous le voyez, seigneur, avec quelle injustice On me fait criminel quand je vous rends service. Mais de quoi n'est capable un malheureux amant Que la peur de vous perdre agite incessamment, Madame? Vous voulez que le roi vous adore, Et pour l'en empêcher je ferais plus encore. Je ne m'en défends point, et mon esprit jaloux Cherche tous les moyens de l'éloigner de vous. Je ne vous saurais voir entre les bras d'un autre ; Mon amour, si c'est crime, a l'exemple du vôtre. Que ne faites-vous point pour obliger le roi A quitter Rodelinde, et vous rendre sa foi ? Est-il rien en ces lieux que n'ait mis en usage L'excès de votre ardeur ou de votre courage? Pour être tout à vous, j'ai fait tous mes efforts; Mais je n'ai point encor fait revivre les morts: J'ai dit des vérités dont votre cœur murmure; Mais je n'ai point été jusques à l'imposture, Et je n'ai point poussé des sentiments si beaux Jusqu'à faire sortir les ombres des tombeaux. Ce n'est point mon amour qui produit Pertharite; Ma flamme ignore encor cet art qui ressuscite; Et je ne vois en elle enfin rien à blâmer, Sinon que je trahis si c'est trahir qu'aimer. ÉDUIGE.
De quel front et de quoi cet insolent m'accuse? GRIMOALD.
D'un mauvais artifice et d'une faible ruse. Votre dessein, madame, était mal concerté. On ne m'a point surpris quand on s'est présenté.
Tu perds temps; je n'écoute plus rien, Et j'attends ton arrêt pour résoudre le mien. Agis, si tu le veux, en vainqueur magnanime; Agis comme tyran, et prends cette victime : Je suivrai ton exemple, et sur tes actions Je réglerai ma haine ou mes affections. Il suffit à présent que je te désabuse
Pour payer ton amour ou pour punir ta ruse. Adieu.
Vous m'aviez préparé vous-même à m'en défendre, Le ciel m'a plus rendu que je n'osais attendre. Et, me l'ayant promis, j'avais lieu de l'attendre. Consolez-vous pourtant, il a fait son effet : Je suis à vous, madame, et j'y suis tout à fait. Si je vous ai trahie, et si mon cœur volage Vous a volé longtemps un légitime hommage, Si pour un autre objet le vôtre en fut banni, Les maux que j'ai soufferts m'en ont assez puni. Je recouvre la vue, et reconnais mon crime: A mes feux rallumés ce cœur s'offre en victime; Oui, princesse, et, pour être à vous jusqu'au trépas, Il demande un pardon qu'il ne mérite pas. Votre propre bonté qui vous en sollicite Obtient dejà celui de ce faux Pertharite. Un si grand attentat blesse la majesté; Mais s'il est criminel, je l'ai moi-même été. Faites grâce, et j'en fais; oubliez, et j'oublie. Il reste seulement que lui-même il publie Par un aveu sincère, et sans rien déguiser, Que pour me rendre à vous il voulait m'abuser, Qu'il n'empruntait ce nom que par votre ordre même. Madame, assurez-vous par là mon diadème, Et ne permettez pas que cette illusion Aux mutins contre nous prête d'occasion. Faites donc qu'il l'avoue, et que ma grâce offerte, Tout imposteur qu'il est, le dérobe à sa perte; Et délivrez par là de ces troubles soudains Le sceptre qu'avec moi je remets en vos mains. ÉDUIGE.
J'avais eu jusqu'ici ce respect pour ta gloire Qu'en te nommant tyran j'avais peine à me croire; Je me tenais suspecte, et sentais que mon feu Faisait de ce reproche un secret désaveu : Mais tu lèves le masque, et m'ôtes de scrupule; Je ne puis plus garder ce respect ridicule; Et je vois clairement, le masque étant levé, Que jamais on n'a vu tyran plus achevé. Tu fais adroitement le doux et le sévère, Afin que la sœur t'aide à massacrer le frère : Tu fais plus, et tu veux qu'en trahissant son sort Lui-même il se condamne et se livre à la mort : Comme s'il pouvait être amoureux de la vie Jusqu'à la racheter par une ignominie, Ou qu'un frivole espoir de te revoir à moi Me pût rendre perfide et lâche comme toi.
Aime-moi, si tu veux, déloyal; mais n'espère Aucun secours de moi pour t'immoler mon frère. Si je te menaçais tantôt de son retour,
Si j'en donnais l'alarme à ton nouvel amour, C'étaient discours en l'air inventés par ma flamme Pour brouiller ton esprit et celui de sa femme. J'avais peine à te perdre, et parlais au hasard Pour te perdre du moins quelques moments plus tard; Et, quand par ce retour il a su nous surprendre,
GRIMOALD, GARIBALDE, UNULPHE.
GRIMOALD.
Que veut Unulphe?
UNULPHR.
De vous dire, seigneur, que chacun le vient voir. J'ai permis à fort peu de lui rendre visite; Mais tous l'ont reconnu pour le vrai Pertharite : Le peuple même parle, et déjà sourdement On entend des discours şemés confusément...
Voyez en quels périls vous jette l'imposture! Le peuple déjà parle, et sourdement murmure : Le feu va s'allumer si vous ne l'éteignez. [gnez? Pour perdre un imposteur qu'est-ce que vous crai- La haine d'Éduige, elle qui ne prépare A vos submissions qu'une fierté barbare, Elle que vos mépris ayant mise en fureur Rendent opiniâtre à vous mettre en erreur, Elle qui n'a plus soif que de votre ruine, Elle dont la main seule en conduit la machine? De semblables malheurs se doivent dédaigner, Et la vertu timide est mal propre à régner.
Épousez Rodelinde, et, malgré son fantôme, Assurez-vous l'État, et calmez le royaume; Et, livrant l'imposteur à ses mauvais destins, Otez dès aujourd'hui tout prétexte aux mutins.
Oui, je te croirai, duc; et dès demain sa tête Abattue à mes pieds calmera la tempête. Qu'on le fasse venir, et qu'on mande avec lui Celle qui de sa fourbe est le second appui, La reine qui me brave, et qui par grandeur d'âme Semble avoir quelque gêne à se nommer sa femme.
Ses pleurs vous toucheront.
Je n'en crains point les feux; Ils ont peu de pouvoir quand l'âme est résolue.
Agissez donc, seigneur, de puissance absolue; Soutenez votre sceptre avec l'autorité Qu'imprime au front des rois leur propre majesté. Un roi doit pouvoir tout, et ne sait pas bien l'être Quand au fond de son cœur il souffre un autre maître.
GRIMOALD, PERTHARITE, RODELINDE,
GARIBALDE, UNULPHE.
Viens, fourbe, viens, méchant, éprouver ma bonté, Et ne la réduis pas à la sévérité.
Je veux te faire grâce: avoue et me confesse D'un si hardi dessein qui t'a fourni l'adresse, Qui des deux l'a formé, qui t'a le mieux instruit; Tu m'entends: et surtout fais cesser ce faux bruit; Détrompe mes sujets, ta prison est ouverte; Sinon, prépare-toi dès demain à ta perte: N'y force pas ton prince; et, sans plus t'obstiner, Mérite le pardon qu'il cherche à te donner.
Que tu perds lâchement de ruse et d'artifice Pour trouver à me perdre une ombre de justice, Et sauver les dehors d'une adroite vertu Dont aux yeux éblouis tu parais revêtu! Le ciel te livre exprès une grande victime, Pour voir si tu peux être et juste et magnanime; Mais il ne t'abandonne après tout que son sang; Tu ne lui peux ôter ni son nom ni son rang. Je mourrai comme roi né pour le diadème; Et bientôt mes sujets, détrompés par toi-même, Connaîtront par ma mort qu'ils n'adorent en toi Que de fausses couleurs qui te peignent en roi. Hâte donc cette mort, elle t'est nécessaire; Car puisque enfin tu veux la vérité sincère, Tout ce qu'entre tes mains je forme de souhaits, C'est d'affranchir bientôt ces malheureux sujets. Crains-moi si je t'échappe; et sois sûr de la perte Si par ton mauvais sort la prison m'est ouverte. Mon peuple aura des yeux pour connaître son roi, Et mettra différence entre un tyran et moi : Il n'a point de fureur que soudain je n'excite. Voilà dedans tes fers l'espoir de Pertharite; Voilà des vérités qu'il ne peut déguiser, Et l'aveu qu'il te faut pour te désabuser.
Madame, vous voyez où l'amour m'a conduit. J'ai su que de ma mort il courait un faux bruit, Des désirs du tyran j'ai su la violence; J'en ai craint sur ce bruit la dernière insolence, Et n'ai pu faire moins que de tout exposer Pour vous revoir encore et vous désabuser. J'ai laissé hasarder à cette digne envie Les restes languissants d'une importune vie, A qui l'ennui mortel d'être éloigné de vous Semblait à tous moments porter les derniers coups. Car, je vous l'avoûrai, dans l'état déplorable Où m'abîme du sort la haine impitoyable, Où tous mes alliés me refusent leurs bras, Mon plus cuisant chagrin est de ne vous voir pas. Je bénis mon destin, quelques maux qu'il m'envoie, Puisqu'il peut consentir à ce moment de joie; Et, bien qu'il ose encor de nouveau me trahir, En un moment si doux je ne le puis haïr.
C'était donc peu, seigneur, pour mon âme affligée, De toute la misère où je me vois plongée; C'était peu des rigueurs de ma captivité, Sans celle où votre amour vous a précipité : Et pour dernier outrage où son excès m'expose, Il faut vous voir mourir et m'en savoir la cause! Je ne vous dirai point que ce moment m'est doux, Il met à trop haut prix ce qu'il me rend de vous; Et votre souvenir m'aurait bien su défendre De tout ce qu'un tyran aurait osé prétendre. N'attendez point de moi de soupirs ni de pleurs; Ce sont amusements de légères douleurs. L'amour que j'ai pour vous hait ces molles bassesses Où d'un sexe craintif descendent les faiblesses; Et contre vos malheurs j'ai trop su m'affermir, Pour ne dédaigner pas l'usage de gémir.
D'un déplaisir si grand la noble violence Se résout tout entière en ardeur de vengeance, Et, méprisant l'éclat, porte tout son effort A sauver votre vie, ou venger votre mort. Je ferai l'un ou l'autre, ou périrai moi-même.
Aimez plutôt, madame, un vainqueur qui vous aime. Vous avez assez fait pour moi, pour votre honneur; Il est temps de tourner du côté du bonheur, De ne plus embrasser des destins trop sévères, Et de laisser finir mes jours et vos misères. Le ciel, qui vous destine à régner en ces lieux, M'accorde au moins le bien de mourir à vos yeux. J'aime à lui voir briser une importune chaîne De qui les nœuds rompus vous font heureuse reine; Et sous votre destin je veux bien succomber, Pour remettre en vos mains ce que j'en fis tomber.
Est-ce là donc, seigneur, la digne récompense De ce que pour votre ombre on m'a vu de constance? Quand je vous ai cru mort, et qu'un si grand vainqueur, Sa conquête à mes pieds, m'a demandé mon cœur, Quand toute autre en ma place eût peut-être fait gloire De cet hommage entier de toute sa victoire...
Je sais que vous avez dignement combattu: Le ciel va couronner aussi votre vertu; Il va vous affranchir de cette inquiétude Que pouvait de ma mort former l'incertitude, Et vous mettre sans trouble en pleine liberté De monter au plus haut de la félicité.
Que je vois sans murmure Naître votre bonheur de ma triste aventure. L'amour me ramenait sans pouvoir rien pour vous Que vous envelopper dans l'exil d'un époux, Vous dérober sans bruit à cette ardeur infàme Où s'opposent ma vie et le nom de ma femme. Pour changer avec gloire il vous faut mon trépas; Et s'il vous fait régner, je ne le perdrai pas. Après tant de malheurs que mon amour vous cause, Il est temps que ma mort vous serve à quelque chose, Et qu'un victorieux à vos pieds abattu Cesse de renoncer à toute sa vertu. D'un conquérant si grand et d'un héros si rare Vous faites trop longtemps un tyran, un barbare; Il l'est, mais seulement pour vaincre vos refus. Soyez à lui, madame, il ne le sera plus; Et je tiendrai ma vie heureusement perdue, Puisque...
N'achève point un discours qui me tue,
Et ne me force point à mourir de douleur, Avant qu'avoir pu rompre ou venger ton malheur. Moi qui l'ai dédaigné dans son char de victoire, Couronné de vertus encor plus que de gloire, Magnanime, vaillant, juste, bon, généreux, Pour m'attacher à l'ombre, au nom d'un malheureux, Je pourrais à ta vue, aux dépens de ta vie, Épouser d'un tyran l'horreur et l'infamie, Et trahir mon honneur, ma naissance, mon rang, Pour baiser une main fumante de ton sang! Ah! tu me connais mieux, cher époux.
Il ne faut point souffrir ce scrupule en votre âme. Quand ces devoirs communs ont d'importunes lois, La majesté du trône en dispense les rois; Leur gloire est au-dessus des règles ordinaires, Et cet honneur n'est beau que pour les cœurs vulgaires, Sitôt qu'un roi vaincu tombe aux mains du vainqueur, Il a trop mérité la dernière rigueur. Ma mort pour Grimoald ne peut avoir de crime : Le soin de s'affermir lui rend tout légitime. Quand j'aurai dans ses fers cessé de respirer, Donnez-lui votre main sans rien considérer; Épargnez les efforts d'une impuissante haine, Et permettez au ciel de vous faire encor reine. RODELINDE.
Épargnez-moi, seigneur, ce cruel sentiment. Vous qui savez...
PERTHARITE, RODELINDE, UNULPHE.
Madame, achevez promptement: Le roi, de plus en plus se rendant intraitable, Mande vers lui ce prince, ou faux, ou véritable.
Adieu, puisqu'il le faut; et croyez qu'un époux A tous les sentiments qu'il doit avoir de vous. Il voit tout votre amour et tout votre mérite; Et, mourant sans regret, à regret il vous quitte.
Adieu, puisqu'on m'y force; et recevez ma foi Que l'on me verra digne et de vous et de moi.
Ne vous exposez point au même précipice.
Le ciel hait les tyrans, et nous fera justice.
Hélas! s'il était juste, il vous aurait donné Un plus puissant monarque, ou moins infortuné.
SCÈNE PREMIÈRE.
ÉDUIGE, UNULPHE.
Quoi! Grimoald s'obstine à perdre ainsi mon frère ! D'imposture et de fourbe il traite sa misère! Et, feignant de me rendre et son cœur et sa foi, Il n'a point d'yeux pour lui ni d'oreilles pour moi!
Madame, n'accusez que le duc qui l'obsède : Le mal, s'il en est cru, deviendra sans remède; Et si le roi suivait ses conseils violents, Vous n'en verriez déjà que des effets sanglants. Éduige.
Jadis pour Grimoald il quitta Pertharite; Et, s'il le laisse vivre, il craint ce qu'il mérite. UNULPHE.
Ajoutez qu'il vous aime, et veut par tous moyens Rattacher ce vainqueur à ses derniers liens ; Que Rodelinde à lui, par amour ou par force, Assure entre vous deux un éternel divorce; Et, s'il peut une fois jusque-là l'irriter,
Par force ou par amour il croit vous emporter. Mais vous n'avez, madame, aucun sujet de crainte; Ce héros est à vous sans réserve et sans feinte,
S'il quitte sans feinte un objet si chéri, Sans doute au fond de l'âme il connaît son mari. Mais s'il le connaissait, en dépit de ce traître, Qui pourrait l'empêcher de le faire paraître?
Sur le trône conquis il craint quelque attentat, Et ne le méconnaît que par raison d'État. C'est un aveuglement qu'il a cru nécessaire; Et comme Garibalde animait sa colère, De ses mauvais conseils sans cesse combattu, Il donnait lieu de craindre enfin pour sa vertu. Mais, madame, il n'est plus en état de le croire. Je n'ai pu voir longtemps ce péril pour sa gloire. Quelque fruit que le duc espère en recueillir, Je viens d'ôter au roi les moyens de faillir. Pertharite, en un mot, n'est plus en sa puissance. Mais ne présumez pas que j'aie eu l'imprudence De laisser à sa fuite un libre et plein pouvoir De se montrer au peuple et d'oser l'émouvoir. Pour fuir en sûreté je lui prête main-forte, Ou plutôt je lui donne une fidèle escorte, Qui, sous cette couleur de lui servir d'appui,
Cette offre est un supplice aux princes qu'on opprime; Il ne faut point de grâce à qui se voit sans crime: Et tes yeux, malgré toi, ne te font que trop voir Que c'est à lui d'en faire, et non d'en recevoir.
Ne t'obstine donc plus à t'aveugler toi-même : Sois tel que je t'aimais, si tu veux que je t'aime; Sois tel que tu parus quand tu conquis Milan : J'aime encor son vainqueur, mais non pas son tyran. Rends-toi cette vertu pleine, haute, sincère, Qui t'affermit si bien au trône de mon frère; Rends-lui du moins son nom, si tu me rends ton cœur. Qui peut feindre pour lui peut feindre pour la sœur; Et tu ne vois en moi qu'une amante incrédule Quand je vois qu'avec lui ton âme dissimule. Quitte, quitte en vrai roi les vertus des tyrans, Et ne me cache plus un cœur que tu me rends.
Lisez-y donc vous-même; il est à vous, madame; Vous en voyez le trouble aussi bien que la flamme. Sans plus me demander ce que vous connaissez, De grâce, croyez-en tout ce que vous pensez. C'est redoubler ensemble et mes maux et ma honte Que de forcer ma bouche à vous en rendre compte.
« PreviousContinue » |