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Dieu même les pense, et c'est des perfections divines qu'il prétend déduire le lois primitives de l'univers.

Nous comprenons tous, sans nous rendre toujours bien compte de notre idée, que la volonté absolue d'où dérivent les choses est immuable; l'affirmation de l'immutabilité du principe suprême est, selon Descartes, la vraie raison de cette loi fondamentale d'où toutes les lois physiques dérivent : « Chaque chose demeure en l'état où elle est, tant que rien ne vient la changer. » — - C'est le principe de causalité, dont l'inertie de la matière est une simple conséquence.

De cette première loi dérivent, selon Descartes, les deux suivantes :

« 1° La même quantité de mouvement se conserve toujours dans le monde, et ce qui se perd d'un côté se retrouve de l'autre ; » car, s'il naissait un mouvement tout à fait nouveau, ce serait une vraie création, qui supposerait un nouvel acte miraculeux de la puissance créatrice.

2° « Tout corps qui se meut tend à continuer son mouvement en ligne droite. » La ligne droite est en effet la plus simple de toutes, et les lois les plus simples sont les plus conformes à l'immutabilité divine. Descartes aurait pu ajouter qu'il n'y a aucune cause pour que le mouvement commencé s'arrête ou dévie soit à droite soit à gauche.

Ces lois renferment en germe et a priori toutes les lois du mouvement: cè sont les postulats nécessaires de la mécanique; l'expérience les suppose et les vérifie, elle ne les fournit pas.

Puisque le matériel, selon Descartes, c'est l'étendue, et que nous concevons l'espace comme infini, le monde matériel est lui-même infini en extension. De plus, l'étendue étant partout, la matière est aussi

partout, et le vide est une absurdité. Enfin, l'étendue étant divisible à l'infini, la matière est aussi indéfiniment divisible, et les atomes sont une chimère de l'imagination.

Dans cet espace plein, le mouvement ne peut avoir lieu qu'à une condition : il faut, quand une partie de la matière se meut, qu'une autre partie prenne immédiatement sa place, qui ne saurait demeurer vide. Or, le mouvement qui permet une telle vicissitude est le mouvement curviligne. La combinaison ordinaire des mouvements est donc analogue aux ondulations ou tourbillons de l'eau ou de l'air. Tout mouvement réel, dans l'univers, est une ondulation, un tourbillon, un mouvement circulaire.

La matière une fois mise en mouvement, le monde actuel devait se produire. Peu importe la disposition que l'on suppose au commencement des choses et qu'on prend pour point de départ; par une succession mécanique d'états ou de formes, le monde, quel qu'il fût d'abord, serait devenu ce qu'il est1.

La pesanteur est un phénomène tout mécanique produit par les tourbillons ou ondulations de l'éther et de la matière subtile. Descartes n'a pas su trouver la vraie loi qui préside aux mouvements mutuels de gravitation entre les corps; mais il a préparé la voie à Newton en réduisant l'astronomie à ce que Laplace devait appeler la mécanique céleste. En outre, l'hypothèse newtonienne de l'attraction à distance est une mauvaise métaphore, une vertu occulte qui rappelle le moyen âge; aussi la science moderne est-elle revenue à l'hypothèse de Descartes sur les ondulations ou vibrations rhythmiques et circulaires, que Newton lui-même admettait en réalité.

1. Principes, III, 47.

Comme la pesanteur, la chaleur et la lumière se réduisent à des mouvements. « C'est le mouvement seul qui, selon les différents effets qu'il produit, s'appelle tantôt chaleur, tantôt lumière1. » Descartes est donc le premier inventeur de ce qu'on appelle aujourd'hui la théorie mécanique de la chaleur.

Mais les corps organisés ne supposent-ils point un principe nouveau différent du pur mécanisme? Nullement; l'organisation n'est, selon Descartes, qu'un mécanisme plus compliqué, et la physiologie, qu'une physique plus complexe. En conséquence, il admet les générations spontanées par voie de combinaison purement mécanique. La production du corps humain lui-même s'explique par les lois du mécanisme universel et par des transformations de la matière. « Quelqu'un dira avec dédain, » s'objectet-il à lui-même, « qu'il est ridicule d'attribuer un >> phénomène aussi important que la formation de » l'homme à de si petites causes. - Mais quelles >> plus grandes causes faut-il donc que les lois éter>> nelles de la nature? Veut-on une intervention im» médiate d'une intelligence? De quelle intelligence? >> De Dieu lui-même? Pourquoi donc naît-il des >> monstres 2?»

Enfin, sa doctrine de l'universel mécanisme lui fait pressentir la théorie de Darwin sur la sélection naturelle, selon laquelle les organismes mal conformés et stériles disparaissent, tandis que les organismes féconds subsistent seuls avec leurs espèces en apparence immuables. << Il n'est pas étonnant, dit-il, que pres» que tous les animaux engendrent; car ceux qui ne » peuvent engendrer, à leur tour ne sont plus en» gendrés, et dès lors ils ne se retrouvent plus dans

1. Le Monde, vol. IV, 263.

| 2. Vol. XI, p. 404.

» le monde1. » En conséquence, les espèces fécondes subsistent seules à la fin, mais il ne faut pas croire pour cela qu'elles aient été les seules productions de la nature.

III. D'après les principes qui précèdent, que sont les animaux, si on les regarde au point de vue de l'organisation? - De simples machines, de simples

automates.

Notre corps, comme celui des animaux, est aussi une machine; notre pensée seule nous révèle à nousmêmes un principe supérieur au mécanisme. Chez les animaux, un principe analogue existe-il? — On ne peut démontrer, selon Descartes, ni le pour ni le contre; mais Descartes croit qu'on peut se dispenser d'attribuer une âme aux animaux et que des machines sont capables d'accomplir tout ce qu'ils accomplissent. Opinion paradoxale, peu en accord avec l'esprit général du système cartésien et avec l'harmonie qui devrait subsister partout entre l'étendue et la pensée.

IV. Descartes reconnaît en nous, qui sommes tout à la fois machine et esprit, l'union et l'accord constant de l'étendue et de la pensée; mais comment l'esprit meut-il la machine, et réciproquement? Descartes nie la possibilité d'une action mutuelle entre les deux substances, qu'il a préalablement séparées par un abîme infranchissable. L'âme ne saurait créer dans le mécanisme corporel un mouvement nouveau; elle ne peut que changer de direction le mouvement préexistant. « C'est Dieu qui a disposé toutes les autres choses qui sont hors de

1. Inédits de Descartes, Partes similares.

nous pour faire que tels ou tels objets se présentassent à nos sens en tel ou tel temps; à l'occasion desquels il a su que notre libre arbitre nous déterminerait à telle ou telle chose1. » Cette doctrine est le germe des causes occasionnelles et de l'harmonie préétablie.

V. L'univers a été ramené par Descartes à une vaste déduction où tout s'explique par une série de principes et de conséquences, de causes et d'effets; mais cette série, prise en sens inverse, ne peut-elle pas être considérée comme une longue suite de moyens et de fins, aboutissant à une fin suprême que Dieu s'est proposée volontairement dans la création?

Descartes admet sans doute l'existence de cette fin suprême; mais il croit que nous ne pouvons la connaître, parce que la volonté absolument libre de Dieu nous est impénétrable. « Nous ne devons pas tant >> présumer de nous-mêmes que de croire que Dieu >> nous ait voulu faire part de ses conseils. » A l'époque de Descartes, on avait abusé de la considération des causes finales dans la science de la nature. En premier lieu, on avait fait de l'homme la fin de la création, comme de la terre le centre du monde; en second lieu, on se dispensait de chercher les lois et conditions mécaniques des choses en invoquant des fins particulières que Dieu se serait proposées. Descartes rejette avec raison ce double vice de méthode. D'abord, «< il n'est pas vraisemblable que Dieu n'ait >> eu d'autre fin que nous-mêmes en créant le monde. » En effet, que de choses sont maintenant dans le » monde, ou y ont été autrefois et ont cessé d'être, >> sans qu'aucun homme les ait jamais vues ou con2. Principes, 1, 28.

1. Lettre à Elisabeth.

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