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Puisque « c'est principalement la volonté qui me fait connaître que je porte l'image et la ressemblance de Dieu, » et puisque c'est le bien de la volonté qui est mon vrai bien, mon être véritable doit être aussi ma volonté, car le bien, au sens général, n'est autre que la perfection de l'être. Si l'être n'était qu'intelligence, le bien ne consisterait qu'à savoir, comme le soutiennent les rationalistes: Socrate, Platon, Aristote. Si, au contraire, le souverain bien se trouve dans la vertu, c'est que le fond de l'être est volonté; car le principe de la métaphysique ne peut différer essentiellement du principe de la morale.

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III. Essence de l'âme.-Nous voyons que Descartes était amené par la logique de sa doctrine à placer l'essence de l'âme dans la volonté la volonté, selon lui, n'est-elle pas plus intime à la «< pensée » que l'entendement? n'est-elle pas l'«< action» de la pensée tandis que l'entendement en est la « passion » ? En déclarant que la pensée est l'essence de l'âme, Descartes nous a prévenus que « penser », c'est avoir conscience soit d'agir, soit de pâtir; la traduction fidèle de la formule cartésienne serait donc la suivante: - « L'essence de l'âme, c'est la conscience d'agir ou de pâtir, de vouloir ou de connaître. » - Qu'est-ce en effet que nous trouvons au plus profond de nousmêmes, sinon cette conscience d'agir ou de pâtir, et surtout d'agir? « Je ne suis, précisément parlant, qu'une chose qui pense, c'est-à-dire un esprit1. » Par là, encore une fois, il ne faut pas entendre seulement, avec la plupart des interprètes, une simple intelligence, mais encore et surtout une volonté.

C'est réellement dans la conscience même, dans le

1. Deuxième Méditation.

sujet qui pense ses actions ou passions, que Descartes veut placer l'existence spirituelle; mais son expression est infidèle à son idée quand il appelle l'esprit une chose qui pense, res cogitans. Ce mot de « chose >>> semble encore indiquer un objet conçu à la manière du moyen âge comme subsistant sous le sujet pensant; en réalité Descartes place l'être dans la pensée même, et non dans un je ne sais quoi qui serait non plus le vivant sujet de la pensée, mais un objet neutre de pensée. Toutefois, sa doctrine est incomplète sur ce point, et il se montre encore trop préoccupé de la vieille notion des substances.

IV. Distinction de l'âme et du corps. Selon Descartes, les substances se distinguent l'une de l'autre par leurs attributs essentiels. Si je puis, dans ma pensée, concevoir une chose indépendamment de toute autre, c'est que, dans la réalité, d'après Descartes, la première est réellement indépendante de la seconde. Tel est le principe d'où Descartes tire la distinction de l'âme, substance pensante, et du corps, substance étendue.

Je trouve en moi-même par la réflexion un être qui pense ses actes et ses modes, qui ne se connaît qu'en tant qu'il pense, et qui est tout entier dans la conscience qu'il a de lui-même; or cette conscience pure de soi n'enveloppe, selon Descartes, aucune notion d'étendue, de figure, de couleur, de son, ou en général de corps. Je ne sais même pas encore s'il existe d'autres êtres que moi, et je me pense, moi, comme distinct de ces autres êtres, s'ils existent. Il y a même entre la pensée et l'étendue, selon Descartes, plus qu'une simple distinction: il existe un rapport d' « exclusion » réciproque entre les deux termes;

pour concevoir la pensée, il faut en exclure l'étendue; pour concevoir l'étendue, il faut en exclure la pensée. De cette séparation qui a lieu dans notre esprit entre l'âme et le corps, Descartes croit pouvoir conclure que la même séparation existe dans la réalité entre les substances spirituelle et matérielle1.

Kant rejettera cet argument de Descartes, comme un passage non justifié de ce qui est séparé dans notre connaissance à ce qui est séparé dans l'existence. La doctrine de Descartes, en effet, n'est pas assez explicite sur ce point. Sans doute, s'il entend par l'âme le moi conscient de ses actes ou de ses modes, le sujet pensant, non un objet inconnu dont la conscience serait une simple qualité, il a bien le droit de dire que le moi a immédiatement conscience de son existence propre et distincte; mais s'il entend par l'âme je ne sais quelle substance, et par le corps, une autre substance non moins inconnue en soi, qu'est-ce qui empêche de croire que ces deux substances inconnues se réduisent à une seule? — C'est ce que soutiendra en effet Spinoza, qui réduira la pensée et l'étendue à de simples attributs de la substance divine. Descartes eût évité ces obscurités et ces confusions en approfondis

1. La définition qu'il donne de la substance est celle dont Spinoza fera le principe de son système. La substance est une chose qui n'a besoin que de soi-même pour exister. » A proprement parler, ajoute-t-il, il n'y a que Dieu qui soit tel, et il n'y a aucune chose créée qui puisse exister un seul moment sans être soute⚫ nue et conservée par sa puissance. C'est pourquoi on a raison, dans l'école, de dire que le mot de substance n'est pas univoque au regard de Dieu et des créatures; c'est-à-dire qu'il » n'y a aucune signification de ce mot, que nous concevions distinctement, ■ laquelle convienne en même sens à x lui et à elles.» (Principes, I, 51.)

C'est dire au fond que la substance est l'absolu. - Parmi les choses créées, continue Descartes, il y en a qui nonseulement dépendent de Dieu, mais encore dépendent d'autres choses sans lesquelles elles n'existeraient pas : le mouvement, par exemple, ou la figure, ou le nombre, n'existent que dans les choses mobiles, figurées, numérables : ce sont donc de simples qualités, doublement dépendantes et de Dieu et de l'être qui les possède. Au contraire, il est des êtres qui, tout en dépendant de Dieu, ne dépendent pourtant point. des autres êtres dans leur existence propre moi, par exemple, moi qui agis et pense. Ce sont là proprement les substances créées. »

sant davantage sa notion de la volonté libre comme puissance infinie et indépendante, et il eût vu alors que, si un être est libre, il a par cela même en soi une indépendance telle qu'« il n'a besoin que de soi »> pour vouloir. N'avoir besoin que de soi est, selon Descartes, le caractère même de la substance; la vraie substance est donc dans la liberté.

III. — Dieu. Son existence et sa nature.

I. Preuves de l'existence de Dieu. Il y a, selon Descartes, deux manières de démontrer l'existence de Dieu 1o par ses effets, 2° par sa définition même.

La démonstration de Dieu par ses effets, à son tour, se subdivise en deux preuves. La première est tirée de notre existence. Je suis, dit Descartes, et je suis un être pensant, mais sujet au doute et à l'erreur, par conséquent imparfait. Étant imparfait, je ne suis point assez indépendant pour être la cause de ma propre existence; car, si j'avais pu être la cause de mon être, j'aurais aussi été la cause de ma perfection <«<et je me serais donné toutes les perfections dont j'ai l'idée », ou plutôt je n'aurais pas eu besoin de me les donner après coup: rien ne faisant obstacle à mon existence immédiate, rien n'eût fait obstacle à mon immédiate perfection. Mon existence est donc un effet qui implique une cause, et la seule cause qui se suffise à elle-même, comme elle suffit à tout le reste, c'est l'être parfait. En un mot, je suis, donc Dieu existe. Telle est la première preuve cartésienne de l'existence de Dieu.

Cette idée même de la perfection à laquelle je me compare pour juger que je suis imparfait, et qui est

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comme l'idée culminante de ma raison, fournit à Descartes une nouvelle preuve de l'existence de Dieu. Toute idée est, elle aussi, un effet qui exige une cause. De plus, la cause doit contenir tout ce que contient l'effet, sinon sous la même forme, au moins sous une forme éminente. Donc l'idée de la perfection, que je trouve en moi, doit avoir une cause qui contienne éminemment tout ce qu'elle renferme.

Or, est-ce moi qui suis la cause d'une telle idée ? Pour cela, il faudrait que j'eusse en moi éminemment ce qu'elle contient; mais je ne trouve en moi rien que d'imparfait, et l'idée même de la perfection absolue me fait sentir toute mon infériorité. Cette idée, selon Descartes, n'a donc point sa cause en moimême.

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On dira que je conçois l'infini et le parfait par une simple négation du fini et de l'imparfait que je trouve en moi. Mais, répond Descartes, l'idée de perfection infinie n'est pas négative; c'est, au contraire, la plus positive de toutes, puisqu'elle exprime la réalité la plus parfaite. Je ne conçois même le fini et l'imparfait que comme une négation partielle de la perfection infinie. C'est donc par contraste avec le parfait que je conçois l'imparfait, et non par la négation de l'imparfait que je conçois le parfait.

On dira encore que j'ai composé l'idée de perfection par une combinaison des autres idées, comme je compose les idées factices de centaure ou de chimère. Mais en premier lieu, répond Descartes, une combinaison de choses imparfaites ne saurait produire l'idée du parfait; en second lieu, on ne peut montrer quels sont les éléments prétendus dont se composerait l'idée de perfection; en troisième lieu, l'idée du parfait est une et simple, c'est même la plus simple des

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