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sion au syndicat. Il ne lui sera pas difficile d'en trouver d'autres. Et cela même amènera un autre danger; c'est que, en cas de renvoi véritablement justifié d'un ouvrier maladroit ou irrégulier, l'expulsé pourra toujours prétendre que le motif de son expulsion n'est pas celui qu'on a mis en avant, mais bien sa participation au syndicat.

On voit par ces considérations dans quelles difficultés d'appréciations les tribunaux se trouveraient entraînés par l'adoption des propositions que nous venons d'énumérer. Ajoutons que si, selon le vœu de leurs auteurs, la garantie ainsi fournie aux ouvriers était sérieuse, elle se heurterait à une dernière

grave critique, celle de rompre l'équilibre sous prétexte de le rétablir. Il est inadmissible que les patrons puissent être punis de prison pour le fait d'avoir violé la liberté d'association, alors que les syndicats, pour le même fait, sont seulement l'objet de poursuites civiles. La Chambre des députés ne se laisserait peut-être pas arrêter par cette objection, mais il est peu probable que le Sénat passe outre. Peut-être est-il donné à une législature future de trancher le conflit. Rappelons que le 4 février 1894, M. Mesureur, alors ministre du commerce, déposa sur le bureau de la Chambre un projet de loi ayant pour but de réprimer toute atteinte à l'exercice des droits reconnus par la loi du 21 mars 1884. Ce projet, comportant un seul article, est ainsi conçu :

<< Ceux qui sont convaincus d'avoir entravé ou tenté d'entraver le libre exercice des droits résultant de la loi du 12 mars 1884 sur les syndicats professionnels seront punis d'un emprisonnement de 6 jours à 1 mois et d'une amende de 16 à 200 francs ou de l'une de ces deux peines seulement. Les dispositions de l'article 463 du Code pénal pourront être appliquées aux pénalités ci-dessus édictées. >>

Ce projet a été renvoyé à l'examen de la Commission du travail; remarquons que, par la modération des peines édictées et par sa généralité d'application, il présente des avantages sérieux sur les propositions socialistes; il ne semble pas que

son adoption puisse présenter de grands inconvénients et peutêtre donnerait-elle d'heureux résultats.

Toutes les propositions de lois sanctionnatrices n'ont, d'ailleurs, pas pour objet de réprimer les violations de la liberté d'association. Il en est d'autres qui tendent à faire respecter, par les syndicats eux-mêmes, les limites posées par la loi de 1884 à leur champ d'action. Dans cet ordre d'idées, nous devons signaler la proposition de M. Barthe, du 10 juillet 1893, discutée au Sénat le 22 juin 1894 (voy. Journal officiel, Documents parlementaires, Sénat, no 956). M. Barthe, dans le texte soumis au vote de cette assemblée, édictait que tout syndicat professionnel serait dissous, lorsque dans une réunion de ses membres, ou dans un congrès commun à lui et à d'autres syndicats, il aurait mis en discussion des questions religieuses, politiques, sociales, et, en général, étrangères aux intérêts de la profession, seul sujet légitime des préoccupations du syndicat. Dans la même proposition, M. Barthe énonçait que, en cas de grève d'un syndicat, et nonobstant toute stipulation contraire, chaque membre conserverait le droit de refuser sa participation à la grève, et d'en sortir, s'il était tout d'abord entré.

y

La Commission chargée d'examiner cette proposition l'a rejetée, et, suivant nous, avec raison. Les textes actuels semblent suffisants pour écarter les dangers auxquels M. Barthe a voulu parer, et ces textes, il n'y a qu'à les appliquer. S'il y a eu quelque mollesse dans cette application, la faute n'en est pas au législateur, et ce n'est pas en multipliant les lois que l'on remédiera au mal. La dissolution, d'après la loi de 1884, peut être prononcée contre les syndicats par les Tribunaux, lorsque ces syndicats contreviennent aux dispositions de l'article 3, article relatif à la limitation de leurs attributions. La proposition de M. Barthe aurait pour effet de rendre cette dissolution, de facultative, obligatoire; mais serait-ce réellement un progrès ? Les Tribunaux pourraient, s'ils le voulaient, éluder facilement la loi ; et d'ailleurs, en cette matière, il vaut

mieux, croyons-nous, leur laisser quelque certitude, et leur permettre d'employer, au lieu de la règle de fer, la règle de plomb.

Signalons en terminant cette étude des réformes proposées - étude qui n'a pas la prétention d'être complète, mais tout au plus celle de mettre en lumière quelques points essentiels une proposition de M. Chauvière, en date du 13 novembre 1894 (voyez Journal officiel, Documents parlementaires, Chambre, n° 979). Cette proposition avait pour but de remettre à l'Imprimerie nationale tous les travaux accomplis pour le compte de l'État, et de les faire exécuter par les chambres ouvrières de la fédération du livre. Sans être hostile de parti pris à la concession de certaines faveurs de la part de l'État aux syndicats ouvriers, on peut se demander si une pareille mesure ne serait pas plus nuisible à l'Imprimerie nationale qu'utile à ces syndicats.

Rappelons enfin qu'un mouvement s'est dessiné en faveur des syndicats obligatoires, favorisé par l'exemple donné, en fait, sinon en théorie, par certains Etats de l'Europe, notamment par les Etats germaniques. Mais les partisans de l'obligation ont subi un assez rude échec en 1894. A cette époque, la population suisse eut à se prononcer par la voie du référendum sur l'addition à la constitution d'un article 34 ter qui permettait d'établir des syndicats obligatoires. Une majoritė de 20.000 électeurs sur 280.000 votants se prononça pour le rejet de cet article. Il faut remarquer, d'ailleurs, que la question avait peu passionné le pays, puisque deux cinquièmes seulement des électeurs (280.000 sur 700.000) prirent part au vote. C'est là un résultat dont ne peuvent que se féliciter les véritables partisans de la liberté du travail, liberté que l'association forcée détruirait, alors que l'association libre la complète.

VII

Que reste-t-il donc de souhaitable parmi les réformes proposées? Il suffit ici de résumer ce que nous venons de dire au paragraphe précédent. Une plus grande facilité donnée pour l'entrée dans les syndicats, et surtout pour le droit d'y rester, à ceux qui ont exercé la profession pendant un laps de temps raisonnable (cinq ans d'après M. Sembat, deux ans seuseulement d'après l'amendement adopté par la Chambre), l'extension du droit de se syndiquer aux personnes exerçant les professions libérales, peut-être un peu plus de largeur dans les dispositions de la loi concernant l'acquisition des immeubles par les syndicats, des sanctions pénales venant fortifier les sanctions civiles de la jurisprudence, mais sous la double condition que ces pénalités soient véritablement bilatérales et n'apportent pas de rigueur exagérée dans la répression, voilà à peu près tout ce qui nous semble raisonnablement admissible dans les propositions que nous avons analysées. Nous ne rappellerons que pour mémoire les simplifications proposées aux conditions de forme de la constitution des syndicats, celles-ci nous apparaissant comme un minimum auquel on ne peut toucher sans des dangers hors de proportion avec les avantages recueillis.

Et toutefois, il nous reste maintenant à parler d'une lacune considérable de la loi de 1884, lacune si importante qu'il nous a semblé nécessaire d'en faire l'objet d'un paragraphe distinct, auquel nous arrivons maintenant.

VIII

Il s'agit de l'insuffisance de la législation au sujet des Bourses du travail.

Les Bourses du travail, dans l'idée de ceux qui furent les premiers promoteurs de cette institution et notamment de M. de Molinari - (voyez l'Avenir des Chemins de fer, publié en 1842) devaient avoir pour but essentiel de mettre la publicité au service des ouvriers, pour les offres et les demandes de travail. Mais lorsque, le 28 avril 1887, le Conseil municipal de Paris ouvrit la première Bourse française du travail, la notion qu'on se faisait de l'institution nouvelle s'était singulièrement élargie.

<< Les Bourses du travail ne sont pas de simples offices de placement; elles servent aussi de siège social à des unions de syndicats ouvriers qui se proposent, d'un côté, de défendre et de faire triompher les intérêts qui leur sont communs, de l'autre d'organiser des réunions, des conférences, des publications et des bibliothèques. » (Bulletin de l'Office du travail, de 1896, p. 605. Voyez aussi l'ouvrage de M. de Molinari intitulé les Bourses du Travail.)

Mais, sous le terme générique : « Bourse du travail », il faut distinguer deux choses, d'abord le local, et, si l'on veut, l'ensemble des services administratifs ayant pour objet de rendre possible et de faciliter l'accomplissement des desiderata que nous venons d'énoncer, d'après le Bulletin et, en second lieu, l'union même des syndicats qui se coalisent ainsi, et qui,

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