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Je vous ai vû pour elle autant d'indiférence

Que fi du fang romain vous aviez pris naissance,
J'admirais la vertu qui réduisait en vous

Vos plus chers intérêts à ceux de votre époux; Et je vous confolais au milieu de vos plaintes, k) Comme fi notre Rome eût fait toutes vos

craintes.

SABIN E.

Tant qu'on ne s'eft choqué qu'en de légers combats, 1) Trop faibles pour jeter un des partis à bas,

C'eft affez pour des vers méchans,

Qu'un pour la rime, un pour le fens.

h) Et fe laiffant ravir à l'amour maternelle. ] Cette phrafe eft équivoque, & n'eft pas française. Le mot de ravi, quand il fignifie joie, ne prend point un datif. On n'eft point ravi à quelque chofe; c'eft un folécifme de phrase.

i) Ce difcours me furprend vû que depuis le tems.] Ce vû que eft une expreffion peu noble, même en profe; s'il y en avait beaucoup de pareilles, la poëfie ferait baffe & rempante; mais jusqu'ici vous ne trouvez guères que ce mot indigne du stile de la tragédie.

k) Comme fi Rome eût fait.] On ne fait pas une crainte, on la cause, on l'infpire, on l'excite, on la fait naître.

1) Trop faibles pour jeter un des partis à bas.] Jeter à bas eft une expreffion familière qui ne ferait pas même admife dans la profe. Corneille n'ayant aucun rival

Tant qu'un efpoir de paix a pû flater ma peine,
Oui, j'ai fait vanité d'être toute romaine.
Si j'ai vû Rome heureuse avec quelque regret,
Soudain j'ai condamné ce mouvement fecret ;
Et fi j'ai reffenti dans fes deftins contraires
m) Quelque maligne joie en faveur de mes frères,
Soudain pour l'étoufer rapellant ma raison,
J'ai pleuré quand la gloire entrait dans leur maison.
Mais aujourd'hui qu'il faut que l'une ou l'autre tombe,
Qu'Albe devienne efclave, ou que Rome fucombe;
Et qu'après la bataille il ne demeure plus

Ni d'obstacle aux vainqueurs, ni d'espoir aux vaincus,

J'aurais

qui écrivît avec noblesse, se permetait ces négligences dans les petites chofes, & s'abandonait à son génie dans les grandes.

m) Quelque maligne joie en faveur de mes frères. ] La joie des fuccès de fa patrie & d'un frère, peut-elle être apellée maligne? elle eft naturelle. On pouvait dire, une fecrète joie en faveur de mes frères.

Ce mot de maligne joie, eft bien plus à fa place dans - ces deux admirables vers de la mort de Pompée:

Une maligne joie en fon cœur s'élevait,

Dont fa gloire indignée à peine le fauvait.

Il faut toujours avoir devant les yeux ce paffage de Boileau: D'un mot mis en fa place enfeigner le pouvoir: c'est ce mot propre qui diftingue les orateurs & les poëtes,

J'aurais

pour mon pays une cruelle haine, Si je pouvais encor être toute romaine; Et fi je demandais votre triomphe aux dieux, Au prix de ) tant de fang qui m'eft fi précieux. Je m'atache un peu moins aux intérêts d'un homme; Je ne fuis point pour Albe, & ne fuis plus pour Rome:

Je crains pour l'une & l'autre en ce dernier effort, Et ferai du parti qu'affligera le fort.

m) Egale à tous les deux jufques à la victoire, Je prendrai part aux maux, fans en prendre à la gloire; Et je garde, au milieu de tant d'âpres rigueurs, Mes larmes aux vaincus, n) & ma haine aux vainqueurs.

poëtes, de ceux qui ne font que diferts & verfificateurs.

1) Tant de fang qui m'eft fi précieux.] Ce n'eft pas ce tant qui eft précieux, c'eft le fang: c'est au prix d'un fang qui m'eft fi précieux. Le tant eft inutile, & corrompt un peu la pureté de la phrafe & la beauté du vers. C'est une très petite faute.

m) Egale à tous les deux ] N'eft pas français en ce fens. L'auteur veut dire, jufte envers tous les deux; car Sabine doit être jufte & non pas indiférente.

n) Et ma haine aux vainqueurs.] Elle ne doit pas haïr fon mari, fes enfans, s'ils font victorieux; ce fentiment n'eft pas permis; elle devrait plutôt dire, fans haïr les vainqueurs, P. Corneille. Tom. II.

B

JULIE.

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o) Qu'on voit naître fouvent de pareilles traverses
En des efprits divers, des paffions diverfes !
Et qu'à nos yeux Camille agit bien autrement!
Son frère eft fon époux, le vôtre eft fon amant:
Mais elle voit d'un oeil bien diférent du vôtre,

Son fang dans une armée, & fon amour dans l'autre.
Lorfque vous conferviez un esprit tout romain,

p) Le fien irréfolu, le fien tout incertain,

De la moindre mêlée apréhendait l'orage,

o) Qu'on voit naître fouvent de pareilles traverses En des efprits divers, des paffions diverses.]

Le lecteur fe fent arrêter à ces deux vers; ces de des embaraffent l'efprit. Traverses n'eft point le mot propre: les paffions ici ne font point diverses. Sabine & Camille se trouvent dans une fituation à peu près femblable. Le fens de l'auteur eft probablement, que les mêmes malheurs produifent quelquefois des fentimens diférens.

p) Les premiéres éditions portent :

Le fien irréfolu, tremblotant, incertain.

Tremblotant n'est pas du ftile noble, & on doit en avertir les étrangers, pour qui principalement ces remarques font faites. Corneille changea,

Le fien irréfolu, le fien tout incertain.

Mais comme incertain ne dit pas plus qu'irréfolu, ce changement n'eft pas heureux. Ce redoublement de fien fait atendre une idée forte qu'on ne trouve pas.

De tous les deux partis déteftait l'avantage,

Au malheur des vaincus donait toujours fes pleurs, Et nouriffait ainfi d'éternelles douleurs.

Mais hier quand elle fut q) qu'on avait pris journée,
Et qu'enfin la bataille alait être donée,

Une foudaine joie éclatant fur fon front...
SABIN E.

Ah, que je crains, Julie, un changement fi promt! r) Hier dans fa belle humeur elle entretint Valère; s) Pour ce rival, fans doute, elle quite mon frère;

q) Qu'on avait pris journée. On prend jour, & on ne prend point journée, parce que jour signifie tems, & que journée fignifie bataille. La journée d'Ivri, la journée de Fontenoy.

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r) Hier dans fa belle humeur elle entretint Valère. 1 Hier, comme on l'a déja dit, eft toujours aujourd'hui de deux fillabes. La prononciation ferait trop gênée en le faisant d'une feule, comme s'il y avait her. Belle humeur ne peut fe dire que dans la comédie.

s) Sabine ne doit point dire que fans doute Camille eft volage & infidèle, fur cela feul que Camille a parlé civilement à Valère, & paraiffait être dans fa belle humeur. Ces petits moyens, ces foupçons peuvent produire quelquefois de grands mouvemens, & des intérêts tragiques, comme la méprise peu vraisemblable d'Acomat, dans la tragédie de Bajazeth. Le plus léger in

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