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pouvons nous en rapporter aux allégations du futur pape Sylvestre II, c'est que personne, dans ce procès, où la papauté semblait engagée aussi bien que l'archevêque de Reims, personne ne protesta contre son réquisitoire, et l'assemblée, convaincue de son bon droit, nous voulons dire de sa souveraineté comme cour de justice, passa outre aux débats.

La cause en elle-même n'était pas difficile à juger. Arnulfe avouait sa trahison, d'ailleurs démontrée en sa présence par ceux-là mêmes qui lui avaient servi d'instruments. Mais le concile ne se contenta point de cet aveu fait, pour ainsi dire, à huis clos; il y allait de son honneur et de la dignité de l'Église que personne ne pût le soupçonner d'avoir, par faiblesse, abandonné un des siens à la vengeance du prince. Indépendant à l'égard du Saint-Siége, il ne devait point le paraître moins devant la puissance laïque. Il obligea donc l'accusé à renouveler sa confession publiquement, dans l'église de Saint-Basle, en présence de Hugues Capet et de son fils et d'une foule de gens du peuple accourue de toute la province à ce spectacle extraordinaire. Ce fut une scène émouvante que celle où l'on vit un des derniers descendants de la dynastie carlovingienne se déclarer lui-même criminel et traître envers le spoliateur, le persécuteur de sa famille, et, avant de subir la honte d'une déposition publique, se prosterner à ses pieds et le supplier en pleurant de lui faire grâce de la vie et des membres. Tous les Pères du concile se joignirent à sa prière, à laquelle le roi finit par se rendre avec assez d'effort. Mais, s'il laissa la vie au malheureux jeune homme, sa générosité n'alla point jusqu'à lui laisser sa liberté. Entouré de soldats, dépouillé de tous

les insignes de son ancienne dignité, Arnulfe marchait tristement vers la prison d'Orléans pendant que le joyeux carillon des cloches annonçait l'avénement de

son successeur.

Ce successeur, c'était son ancien secrétaire, celui qui, chargé de le surveiller, avait conspiré avec lui, puis l'avait abandonné, et écrivait maintenant, avec une parfaite indifférence, l'histoire de sa déchéance et de sa condamnation. Nommé presque en même temps archevêque de Reims et archi-chancelier de l'empire, Gerbert dut se flatter qu'il ne lui restait plus qu'à jouir des grandeurs où il était enfin parvenu. Cette illusion, s'il s'y est abandonné, ne dura pas longtemps. Des difficultés de toute espèce, dont quelques-unes prenaient leur origine dans sa tortueuse conduite, le précipitérent bientôt du siége où il venait à peine de monter.

Arnulfe, à cause de son origine, avait conservé de nombreux et puissants amis, entre autres tous les évêques d'Allemagne et Othon III lui-même. Dans l'espérance de faire annuler sa déposition, ils attaquèrent, auprès du souverain pontife, l'élection de son successeur. Ils accusèrent Gerbert, avec assez de vraisemblance, d'avoir trahi son supérieur, d'avoir abusé de sa jeunesse et de son inexpérience pour l'entraîner dans un tourbillon d'intrigues, puis de l'avoir livré à la vengeance du roi pour s'asseoir à sa place, au mépris de l'autorité du Saint-Siége. A ce premier grief, qu'on faisait valoir contre lui auprès de la cour de Rome, vint de lui-même s'en ajouter un autre. Un violent débat s'était élevé tout à coup entre plusieurs chefs de monastères et les évêques du royaume. Les abbés, invoquant des priviléges qu'ils tenaient directement du

Saint-Père, affectaient la plus complète indépendance à l'égard du pouvoir épiscopal, et les évêques, au contraire, ne voulaient point laisser entamer leur juridiction. La mésintelligence entre les deux partis alla jusqu'aux voies de fait ; il y eut un abbé, celui de Fleury, près d'Orléans, que les gens de l'évêque accablèrent de coups de bâton après avoir ravagé ses vignes. Il y eut un vénérable prélat, Siguin, archevêque de Sens, qui, au milieu d'un concile qu'il présidait, reçut un coup de hache de la main d'un moine. A ces violences, l'épiscopat répondit par des excommunications, et contre les excommunications les abbayes, surtout celle de Saint-Denis, particulièrement chère au roi de France, invoquèrent l'autorité du pape et celle du prince.

Gerbert, dans cette guerre ecclésiastique, aurait bien voulu garder la neutralité; mais, pressé de faire connaître son opinion, il ne put faire autrement que de se prononcer pour les évêques. Leur cause était la sienne dans la question actuellement en litige, et ils étaient attaqués en même temps que lui auprès du Saint-Siége à cause de la déposition d'Arnulfe et des décrets rendus dans l'église de Saint-Basle.

Dans un nouveau concile, réuni à Chelles sous la présidence du roi Robert, et où Gerbert remplissait l'office de secrétaire, il fut déclaré que la déposition du fils de Lothaire comme archevêque de Reims et la nomination de son successeur étaient régulières, par conséquent irrévocables, et que toutes les mesures que pourrait prendre le Saint-Père pour les infirmer devaient être considérées comme nulles et non avenues. << Personne, ajoutaient les membres du synode, n'a le droit d'attaquer témérairement ce qui a été statué

par un concile provincial. » Mais, en dépit de ces décisions, une bulle intervint qui annulait les actes du concile de Saint-Basle et déposait les prélats qui en étaient les auteurs. Implicitement cette bulle annulait aussi l'élection de Gerbert.

Un curieux spectacle se présente à ce moment dans l'histoire. Celui qui devait occuper un jour le siége pontifical s'élève avec indignation contre les excès d'autorité du souverain pontife, qu'il appelle simplement l'évêque de Rome. Écrivant à Siguin, archevêque de Sens, pour l'engager à ne pas tenir compte de la suspension qui vient de le frapper, Gerbert s'exprime en ces termes : « C'est à Rome, dit-on, que l'on justifie ce que vous condamnez, que l'on condamne ce que vous croyez juste. Et nous disons, nous, que c'est à Dieu seulement et non point à l'homme de condamner ce qui paraît juste, de justifier ce qui est réputé mauvais. Dieu, dit l'apôtre, est celui qui justifie; qui oserait condamner? Comment donc nos adversaires prétendent-ils que, pour la déposition d'Arnulfe, il eût fallu attendre le jugement de l'évêque de Rome? Pourraient-ils soutenir que le jugement de l'évêque de Rome est supérieur à celui de Dieu ? Mais le premier des évêques de Rome, bien plus, le premier des apôtres nous crie: Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes; et saint Paul, le docteur de toute la terre: Si quelqu'un vous prêche une doctrine contraire à celle que vous avez reçue, quand ce serait même un ange, qu'il soit anathème! Eh quoi! parce que le pape Marcellin avait offert de l'encens à Jupiter, tous les évêques devaient-ils en offrir? Je l'affirme sans hésiter, si l'évêque de Rome a péché contre son frère, s'il a refusé d'écou

ter les avertissements de l'Église, cet évêque de Rome doit, par l'ordre de Dieu, être traité comme un païen et comme un publicain1. »

Après avoir soutenu que, loin de pouvoir suspendre ou déposer un évêque, le pape n'a pas même ce droit sur un simple prêtre, qui n'a pas été reconnu coupable par un jugement régulier ou sur la foi de ses propres déclarations, Gerbert exprime ainsi sa pensée générale sur les droits mutuels de la papauté et de l'Église « Il ne faut pas donner à nos adversaires l'occasion de penser que l'épiscopat, qui est un partout, comme l'église catholique est une, soit tellement soumis à un seul homme que, si celui-ci est corrompu par l'argent, par la faveur, par la crainte ou par l'ignorance, il ne puisse y avoir pour lui d'évêque que celui que recommanderont les mêmes titres. Que la loi commune de l'église catholique soit : l'évangile, les apôtres, les prophètes, les canons inspirés par l'esprit de Dieu, consacrés par le respect du monde entier, les décrets du Saint-Siége qui ne s'en éloignent pas, et que celui

1. Epist. 166, édit. de M. Olleris : « ....... Romæ dicitur esse quæ ea « quæ damnatis justificet, et quæ justa putatis damnet. Et nos dicimus « quod Dei tantum est et non hominis ea quæ videntur justa damnare, « et quæ mala putantur justificare. Deus, inquit Apostolus, est qui jus« tificat, quis est qui condemnet (Rom. VIII, 33)? Consequitur ergo, si « Deus condemnat, ut non sit qui justificet. Quomodo ergo nostri æmuli « dicunt quod in Arnulfi dejectione Romani episcopi judicium exspectan« dum fuit? Poteruntne docere Romani episcopi judicium Dei judicio « majus esse? Sed primus Romanorum episcopus, immo ipsorum aposto«<lorum princeps clamat : Oportet obedire Deo magis quam hominibus « (Act. v, 29). Clamat et ipse orbis terrarum magister, Paulus: Si quis « vobis annunciaverit præter quod accepistis, etiam angelus de cœlo, « anathema sit (Gal. 1, 9). Num quia Marcellinus papa Jovi thura incen<< dit ideo cunctis episcopis thurificandum fuit? Constanter dico quod si << Romanus episcopus in fratrem peccaverit, sæpiusque admonitus eccle<< siam non audierit, hic, inquam, Romanus episcopus præcepto Dei est << habendus sicut ethnicus et publicanus. »

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