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M. DAMIRON'

Tout le monde connaît ce mot de Pascal : « On s'attendait de voir un auteur et on trouve un homme. » Il semble avoir été inventé tout exprès pour M. Damiron, et même l'application en est poussée chez lui à un degré auquel Pascal n'a point songé. L'auteur des Pensées n'a voulu parler que du style, et ici il s'agit à la fois du style, du sentiment et des idées. Tout sort également des profondeurs d'une âme émue et d'une intelligence qui pense et se communique à sa manière.

M. Damiron tient une place à part, il nous présente une physionomie distincte dans le cénacle philosophique qui, après avoir relevé en France la cause de Dieu et du spiritualisme, après avoir enseigné à l'esprit mo

1. Mémoire sur Maupertuis, par M. Damiron, membre de l'Institut, professeur honoraire à la Faculté des lettres de Paris. - Mémoires pour servir à l'histoire du XVIIIe siècle, par le même.

derne la justice envers les temps passés, après avoir essayé de concilier le respect de la religion avec l'indépendance de la science, combat encore aujourd'hui pour les mêmes principes contre le fanatisme et l'athéisme conjurés. La philosophie pour lui est redevenue ce qu'elle a été autrefois : la sagesse encore plus que la science, ou la science pour arriver à la sagesse; la pratique du bien offerte comme but et comme récompense à la recherche du vrai. Malgré l'ordre parfait qui règne dans ses idées et leur caractère profondément réfléchi, le travail de méditation qui les a formées et cimentées les unes aux autres, il a moins un système que des convictions, et peut-être devrais-je dire un symbole de foi, où il a établi comme dans une forteresse son cœur et sa raison.

La paix qu'il y a rencontrée est si profonde et si douce, qu'en toute occasion elle déborde de son âme, en mêlant à ses paroles et à ses arguments, même à sa critique, je ne sais quelle onction qui est moins d'un docteur que d'un apôtre du spiritualisme. Mais ne confondant pas le rôle du philosophe avec celui d'un prédicateur, n'oubliant jamais que la raison à laquelle il emprunte toute son autorité le met au niveau de ceux qui l'écoutent, il sait être à la fois grave et familier, indulgent et sévère, indulgent pour les personnes, sévère pour les principes, animé ou plutôt pénétré lorsqu'il pense avoir fourni les preuves d'une vérité qui lui est chère, contenu et réservé tant que ses idées n'ont pas encore pu se faire complétement jour. J'ajouterai que ces sages tempéraments ne lui coûtent aucun effort, car ils sont en quelque sorte le fond de sa nature, heureux mélange de gravité et de chaleur, de sim

plicité et d'élévation, de bonté indulgente, j'oserais presque dire de bonhomie et de finesse.

Pour le connaître tout entier, on n'a qu'à lire la courte préface qu'il a placée en tête de son premier volume. Là, après nous avoir dit tout ce qu'il pense du xvir siècle, le bien comme le mal, après nous avoir confié ses scrupules et ses doutes, son plan, ses espérances, il se juge lui-même avec la même liberté, et j'ai à peine besoin de dire avec la même conscience que s'il s'agissait d'un autre; il compare entre eux ses principaux ouvrages, en nous montrant ce qu'il a fait de progrès de l'un à l'autre, et se résout non sans peine, comme un père qui aime tous ses enfants, mais qui veut les traiter chacun selon son mérite, à donner la préférence au dernier. Il nous rappelle que son Essai sur l'histoire de la Philosophie en France au XIXe siècle a été son début. Il parle avec plus d'estime de son Essai sur l'histoire de la Philosophie au XVII siècle. Enfin, arrivant aux deux volumes qu'il a publiés à la fin de sa vie, il s'exprime en ces termes :

« Je dirai franchement que, comme je préfère et de beaucoup le second de ces ouvrages au premier, je place à son tour le troisième au-dessus du second: j'y trouve plus d'histoire et de philosophie à la fois, plus d'expérience des matières, plus de connaissance des auteurs, autant de solidité et plus d'agrément. Le sujet y est moins haut, les noms y sont moins grands, mais peut-être le travail y est-il supérieur. En tout, c'est, ce me semble, un progrès tel, qu'à dix ans de distance, et quand on mûrit encore, on peut l'obtenir d'une étude plus approfondie, d'une réflexion plus savante, de lumières plus étendues. >>

Ni ce langage ni le caractère qu'il nous révèle ne sont plus de notre temps. Il faut avoir pris bien à cœur son perfectionnement et celui des autres pour s'applaudir ainsi, devant les portes de la vieillesse, d'une maturité tardive, au risque d'amoindrir tous ses labeurs passés. Quel contraste entre cette humilité et les airs conquérants de nos jeunes matérialistes! Mais M. Damiron ne perdra rien à être sévère pour ses propres œuvres; personne ne le prendra au mot. Comment d'ailleurs, s'il en avait besoin, lui refuser les avantages de cette critique bienveillante qu'il recommande avec tant d'instance, et que, non content de la recommander, il applique sans se lasser aux ennemis les plus violents de ses convictions spiritualistes et religieuses? Voici de quelle façon il s'exprime à ce sujet dans les dernières lignes de sa préface :

« Je finis par un dernier mot cette communication au lecteur; c'est pour lui demander que s'il veut bien m'accepter pour guide dans ces études, ce soit autant avec la qualité de maître de ce que j'appellerai la charité dans les lettres, laquelle est peut-être de nos jours un peu trop oubliée, qu'avec celle de juge de quelque expérience dans la critique et la doctrine philosophique. Là serait toute mon ambition, qui, satisfaite, me laisserait en effet bien peu à désirer, soit comme homme, soit comme auteur. »

La forme extérieure des ouvrages historiques de M. Damiron, et je parle ici des derniers comme des premiers, s'accorde parfaitement avec la nature de son âme et le caractère intime de sa pensée. Ne lui demandez pas de faire un livre, j'entends parler d'un livre de longue haleine, où l'art de la composition occupe né

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