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de la Providence et de la liberté, comme il a fait celle du stoïcisme et de la doctrine d'Aristote. Il la poursuit en exprimant, en termes voilés, à la faveur d'une distinction, ce qu'il pense de la prédestination et de la grâce. Selon lui, les dogmes de la prédestination et de la grâce ne doivent point être entendus dans un sens absolu, mais, au contraire, dans un sens restreint et purement relatif. Dire que les hommes sont prédestinés, d'une manière irrévocable, les uns au salut, les autres à la damnation, c'est les réduire au dernier terme du désespoir et les précipiter tous, prédestinés ou non, dans le vice et dans le crime1. Dieu a voulu, au contraire, de toute éternité, que tous les hommes fussent bienheureux. Mais il y a deux espèces de béatitudes. Il y en a une qui appartient de droit à l'espèce humaine, en vertu des lois de sa nature (quæ debetur homini in puris naturalibus), et à laquelle nous arrivons par le bon usage que nous avons fait de nos facultés. Un grand nombre de païens y sont parvenus en vivant d'une manière conforme à la loi naturelle. Il y en a une autre, d'un ordre plus élevé, que Dieu réserve à quelques hommes privilégiés et qui, ne pouvant être acquise par nos moyens naturels, est nécessairement un don de la grâce2. Mais dans les limites mêmes où elle s'exerce, la grâce ne suffit pas sans la liberté. En vain l'aurons-nous reçue, si nous n'en faisons pas un bon usage, elle ne nous conduira pas à la gloire, c'està-dire à la possession de la béatitude surnaturelle; il

1. « Certe istud est ponere homines in extremam desperationem et << provocare omnes homines, sive prædestinatos, sive non prædestinatos, « ad vitia et flagitia. » (De fato, lib. V, c. vi.)

2. Ibid., ibid., c. VII.

est même possible que nous en abusions à ce point que nous méritions de descendre au rang des réprouvés. Ce que nous appelons des réprouvés, ce sont simplement des hommes qui ont abusé de la grâce1.

Les conséquences de cette libre exégèse ne sont pas difficiles à apercevoir. S'il y a une béatitude naturelle que l'on obtient nécessairement en obéissant fidèlement aux lois de la conscience, à quoi sert la béatitude surnaturelle ? Et si la grâce elle-même est impuissante sans la liberté, si la liberté a le pouvoir de la convertir en une cause de déchéance, de quel avantage est-elle pour l'homme? Pour Pomponace la prédestination et la grâce ne sont pas autre chose, en réalité, que les divers talents, les diverses aptitudes que nous avons reçues de la nature et qui nous assignent, dès notre naissance, la tâche que nous sommes appelés à remplir dans la société, la tâche qui ne peut cependant être accomplie que par la liberté. C'est par là que l'humanité nous présente, comme le croyaient les anciens, un abrégé de l'univers; car nous y trouvons la même variété et la même harmonie. C'est par là que la société forme un corps dont chaque individu peut être considéré comme un membre indispensable 2.

On voit, par l'ensemble de ses opinions, que ce qui distingue Pomponace, non-seulement de ses devanciers, mais des philosophes de son temps, c'est l'esprit critique, dans la mesure où il lui est permis de s'exercer contre l'autorité encore toute-puissante de l'Église et le culte enthousiaste de l'antiquité. Pomponace passe en revue et soumet à sa libre appréciation non-seulement

1. Ibid., ibid., c. VII. 2. De immort., c. XIV.

les systèmes philosophiques, tous ceux du moins qu'il connaît, mais les croyances religieuses, les dogmes essentiels du christianisme. En acceptant d'Aristote son système du monde, alors universellement consacré, et ses idées sur la nature de l'âme, ses doutes sur l'immortalité, il le contredit sur tous les autres points, il le combat la tête baissée devant lui, dans l'attitude du respect et de l'obéissance. C'est de la même manière qu'il combat les dogmes chrétiens et le principe même de la foi, la croyance au surnaturel. C'est ainsi qu'il nous offre dans ses œuvres comme un essai d'une philosophie des religions et d'une philosophie de la nature. Il est rarement dogmatique comme les péripatéticiens de la vieille école et comme les platoniciens nouveaux. Il n'est pas sceptique non plus; le doute n'est pas pour lui un but. Il discute, il examine, il apprécie, il oppose les doctrines les unes aux autres pour obliger l'esprit humain à aller plus loin. Il croit au progrès quand le mot n'est pas encore inventé. Il croit que les sciences se forment peu à peu par accroissements successifs: Scientiæ fiunt per additamenta1. Il croit que le doute est nécessaire à notre avancement intellectuel. C'est par là beaucoup plus que par ses idées personnelles qu'il tient une place importante, sinon la première dans la philosophie de la Renaissance, et qu'il a préparé l'avénement de la philosophie moderne.

1. De reactione, lib. XXII, c. 1; De incantationibus, c. III.

GALILEE

LA RAISON ET L'AUTORITÉ AU COMMENCEMENT DU XVII SIÈCLE 1

Malgré les nombreux écrits qui ont paru sur Galilée, et peut-être à cause de ces écrits, il reste encore bien des nuages sur la vie de ce grand homme, sur la marche et la succession de ses travaux, sur la méthode qu'il a suivie, sur l'influence qu'il a reçue de ses devanciers, sur celle qu'il a exercée à son tour, et surtout sur son procès. Les passions les plus opposées se sont emparées de son nom et ont essayé de l'exploiter à leur profit. Les uns, n'admettant pas que l'autorité puisse se tromper et qu'une condamnation prononcée par un tribunal régulier ne soit pas toujours juste, ont cherché à Galilée mille torts imaginaires, ont cru apercevoir dans ses ouvrages des témérités et des malices dont il est parfai

1. Galilée, les Droits de la science et la méthode des sciences physiques, par Th. Henri Martin. 1 volume in-18, à la libraire académique de Didier et Ce, 35, quai des Augustins, à Paris.

tement innocent. D'autres, au contraire, prenant parti pour la victime, pour l'homme de génie persécuté, ont pensé qu'ils ne pouvaient se faire une idée exagérée de son héroïsme et de son martyre. Ils ont donc accueilli avec une aveugle confiance tout ce qui venait à l'appui de cette opinion préconçue, non-seulement les allégations précises, soutenues, à défaut de preuves, par l'autorité d'un nom propre, mais les rumeurs les plus vagues et les plus obscures. Puis, quand la vérité s'est montrée à leurs yeux, quand à la place d'un héros ils n'ont aperçu qu'un homme, leur enthousiasme s'est changé en colère, et peu s'en est fallu qu'ils n'applaudissent à la sentence de l'Inquisition romaine. D'autres ont fait de Galilée un prétexte pour donner carrière à leurs animosités personnelles, se déclarant pour lui ou contre lui, se plaisant à l'exalter ou à l'abaisser, selon qu'il avait été attaqué ou défendu par leurs ennemis. Il en est, enfin, qui, ne cherchant que la vérité et n'obéissant qu'à l'amour de la justice, n'ont pu donner satisfaction à ce double intérêt, parce que toutes les pièces qui leur étaient nécessaires pour rendre un jugement équitable n'étaient pas encore découvertes ou mises au jour. En effet, parmi les documents les plus importants qu'on peut consulter aujourd'hui sur Galilée et ses démêlés avec l'Église, il y en a qui ne sont connus que depuis quelques années, et d'autres seulement depuis 1867.

Dissiper toutes ces obscurités, détruire toutes ces préventions et ces erreurs, combler toutes ces lacunes, tel est le but que M. Th. Henri Martin s'est proposé dans le savant et curieux volume qu'il vient de publier. Voulant nous faire connaître le vrai Galilée, le Galilée

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