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tution égoïste, elle va directement contre son but, car elle sépare ceux qu'elle devrait unir. Elle est faite au contraire pour fortifier la famille, en rassurant la tendresse de l'époux et du père; c'est ainsi qu'il faut l'entendre pour lui laisser toute sa grandeur morale.

Plusieurs chefs d'industrie ont établi chez eux, entre leurs ouvriers, des associations dans lesquelles ils entrent eux-mêmes, comme membres non participants', et ces sortes de fondations ne sont pas moins précieuses aux yeux de la morale qu'à ceux de l'humanité. Elles donnent des retraites aux vieillards et des pensions aux veuves'; elles rendent ainsi la sécurité de l'ouvrier complète en le garantissant non-seulement contre la maladie, mais contre la vieillesse et contre la mort. Son travail, qui nourrit chaque jour sa famille, profitera encore aux siens quand il ne sera plus; c'est une nouvelle raison pour lui d'aimer le

1. Nous citerons la caisse de secours de M. David Bacot, au Dijonval, fondée il y a vingt ans. M. Bacot double toutes les mises. M. Charles Kestner, à Thann, donne des pensions de retraite à ses ouvriers, sans exercer pour cela aucun prélèvement sur leurs salaires. Ces retraites peuvent monter jusqu'à une rente annuelle de 540 francs. La veuve d'un ouvrier mort après vingt ans de collaboration a droit à une pension annuelle de 120 francs. L'établissement de Wesserling consacre 17 000 francs tous les ans à des pensions de

cette nature.

2. Les sociétés de secours mutuels ne donnent de pensions aux veuves en aucun cas. La loi de 1850 leur interdisait même de donner aux associés des pensions de retraite; elles peuvent en promettre maintenant, mais seulement quand elles ont un nombre suffisant de membres honoraires. Décret du 26 mars 1852, art. 6.

travail, et la manufacture qui le traite en fils adoptif. Cette maison est bien sa maison, puisqu'elle lui sera fidèle au delà du tombeau. Il est biea juste qu'il se passionne pour ses intérêts. Quand il a obtenu sa retraite, on le voit rôder dans les ateliers dont il est le patriarche, et où tout le monde, depuis le maître jusqu'aux apprentis, lui témoigne de l'affection et du respect. C'est lui qui se charge de donner des conseils aux nouveaux venus et de leur apprendre à soutenir l'honneur du drapeau industriel.

Les caisses d'épargne ont un caractère plus personnel que les associations de secours'. Les déposants à la caisse d'épargne restent propriétaires de leur apport, qui leur est rendu sur leur demande avec les intérêts depuis le moment du dépôt; au contraire, dans les sociétés de secours, la cotisation, dès qu'elle est déposée, cesse d'appartenir au sociétaire, et la maladie seule donne des droits à une répartition. La caisse n'en est pas moins une institution excellente au point de vue matériel, en ce qu'elle donne à l'ouvrier une ressource contre le chômage et la maladie, une chance d'avancement, et constitue réellement, par la bonification du capital, une augmentation de salaire. Elle est excellente aussi au point de vue mo

1. Le premier essai de caisse d'épargne fait en France ne remonte qu'à 1818. A la fin de 1833, les versements ne s'élevaient encore qu'à 8 millions. Le 1er décembre 1845, ils étaient de plus de 385 millions. Voyez M. Émile Laurent, le Paupérisme, p. 110. On peut regarder la caisse des retraites pour la vieillesse comme un complément de la caisse d'épargne; c'est l'épargne avec destination fixe.

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ral pour deux raisons d'abord elle donne l'habitude de l'épargne. On ne saurait s'imaginer l'influence que peut avoir un premier dépôt : cette somme mise à l'abri constitue enfin une propriété; l'ouvrier s'y attache avec passion et ne songe plus qu'à l'augmenter. Par ce premier dépôt, le cabaret est déjà à demi vaincu, service immense. Un autre bienfait de la caisse d'épargne, c'est de faire concevoir à l'ouvrier la possibilité de laisser quelque chose à ses enfants. Quand on désespère de faire des économies, on se laisse aller à la dépense, on s'étourdit sur ses devoirs. En général, il ne faut pas que le devoir soit difficile au point de paraître impossible. La caisse d'épargne dit à tout ouvrier: « Tu peux avoir les vertus et la sollicitude d'un père, si tu le veux. »>

Il est donc vrai que ces sortes d'associations ont une puissance fortifiante. Elles enseignent le devoir. Elles donnent à l'ouvrier bien plus qu'un dividende, bien plus qu'un secours, elles lui donnent de la volonté. Là est leur grandeur, car on ne saurait trop le répéter: il n'y a de sécurité et de dignité que dans la liberté. Personne n'a le pouvoir de sauver l'ouvrier du paupérisme, si ce n'est l'ouvrier lui-même.

CHAPITRE IV.

RÉFORME DES LOGEMENTS. SOCIÉTÉ MULHOUSIENNE
DES CITÉS OUVRIÈRES.

Comme il y a une objection à tout, même aux meilleures choses, il faut reconnaître que le mauvais côté des caisses d'épargne, c'est qu'elles sont excellentes pour favoriser le goût de l'économie, et assez impuissantes pour le faire naître. Le problème était de fournir à l'ouvrier le moyen d'économiser avec passion. Une application attentive de la psychologie à la bienfaisance avait déjà démontré combien la méthode qui développe l'énergie de l'ouvrier, en le confiant pour ainsi dire à lui-même, en le provoquant et en l'aidant à agir, est préférable à celle qui le prend en tutelle, et qui pourvoit sans lui à ses besoins. Ne pouvait-on pas s'avancer encore plus dans cette voie en recourant au stimulant le plus puissant de l'activité hu

maine, qui est sans contredit la propriété? Au lieu de cette chétive somme que garde la caisse d'épargne et qu'elle rend au bout de longues années, augmentée de faibles intérêts, ne pouvait-on donner à l'ouvrier, en échange de ses économies, l'immédiate et solide jouissance d'une maison et d'un coin de terre? Si ce projet se réalisait, il contenait, pour ainsi dire, toutes les réformes dans une seule, car non-seulement il développait plus puissamment que tous les autres 'moyens employés le goût du travail et de l'épargne, mais en concentrant toutes les espérances de l'ouvrier dans la possession d'un intérieur, il lui inspirait directement le goût des vertus domestiques. Cette réforme vraiment capitale est-elle possible? Elle est possible, puisqu'elle est faite. Chacun peut la voir réalisée de ses propres yeux dans les cités ouvrières de Mulhouse.

Ce nom de cités ouvrières ne doit pas nous effrayer. Il a été donné ailleurs à des entreprises justement tombées dans le discrédit, parce qu'elles n'étaient au fond qu'une sorte de casernement des ouvriers; mais à Mulhouse, l'ouvrier n'est soumis à aucune surveillance et à aucun règlement. Non-seulement il conserve sa liberté, mais il l'accroît, car il devient propriétaire, ce qui est la sanction et l'achèvement de la liberté.

Quand on a vu cette belle ruche riante, où l'ouvrier est mieux logé que la plupart des familles aisées de Paris, où il est propriétaire de sa maison, où il trouve

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