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Si le travail en commun est la grande source du mal, n'en aggravons pas les effets par nos remèdes. La vapeur nous apporte forcément une sorte de communisme; c'est assez de celui-là, prenons garde d'y ajouter celui de l'assistance. L'ouvrier ne s'appartient pas pendant les douze heures qu'il passe au service du moteur mécanique; qu'il soit du moins rendu à lui-même dès qu'il a passé le seuil de la manufacture; qu'il puisse être mari et père; qu'il sente sa volonté

et son cœur.

ment d'hospice sont distribués annuellement; ces secours sont de 253 francs pour les hommes, et de 195 francs pour les femmes. Dans ce nombre ne sont pas compris les secours de 5 à 12 francs par mois distribués aux aveugles, aux paralytiques et aux septuagénaires: 5271 personnes ont pris part à ces secours en 1860. Enfin, pour employer de plus en plus la coopération de la famille, on étudie en ce moment un projet de réorganisation des deux hospices de l'enfance. L'un d'eux deviendrait un véritable hospice des incurables, dans l'autre, on ne recevrait chaque jour les enfants que le temps nécessaire pour les panser et pour surveiller l'application des remèdes.

CHAPITRE III.

INSTITUTIONS DE PRÉVOYANCE

ASSOCIATIONS DE SECOURS

MUTUELS; CAISSES D'ÉPARGNE.

Au nombre des institutions qui font un grand bien et ne peuvent faire aucun mal, nous plaçons en première ligne l'association et l'épargne, parce qu'elles fondent la prospérité matérielle de l'ouvrier, et contribuent à son avancement intellectuel et moral. Elles ne le cèdent qu'aux écoles, comme instruments de moralisation et de progrès.

Nous avons vu, il y a quelques années, le principe. de l'association invoqué et proscrit tour à tour avec une égale injustice. L'association n'est pas applicable à toutes les fonctions sociales et ne peut pas guérir toutes les plaies; mais il est désormais surabondamment prouvé en finances et en industrie que les plus grandes forces sont celles qui résultent du con

cours d'un grand nombre de petites forces, et que le plus grand banquier du monde est celui qui dispose de l'obole du prolétaire. Le développement de l'association est le correctif nécessaire de l'article 745 du Code civil, qui divise incessamment les héritages; et l'une des causes de la supériorité industrielle de l'Angleterre, c'est qu'ayant moins besoin de recourir à l'association, elle la connaît cependant et la pratique mieux que nous. Mais nous ne voulons considérer ici l'association que dans son application la plus incontestée, et la plus directement appropriée à l'extinction du paupérisme.

On a donné dans ces derniers temps une très-vive impulsion aux sociétés de secours mutuels '. Il s'est mêlé à cette excellente initiative un désir immodéré de surveillance et de centralisation; c'est une tentation à laquelle ne résistera jamais l'administration française. A part cet inconvénient, qui est assez grave, on rend réellement aux ouvriers un très-grand

1. Une enquête faite en 1853 par la commission supérieure des sociétés de secours mutuels constate qu'il y avait alors 2438 sociétés; mais il est certain que ce chiffre était notablement inférieur au chiffre réel. Sur 2301 sociétés, 45 avaient été fondées antérieurement au dix-neuvième siècle; 114 de 1800 à 1814; 337 de 1814 à 1830; 1088 de 1830 à 1848; 411 de février 1848 au 15 juillet 1850, date de la loi de l'Assemblée législative; 242 du 15 juillet 1850 au 26 mars 1852. Il y avait, à la fin de 1858, 3860 sociétés, comprenant 448 914 membres participants, et 58 066 membres honoraires. Le nombre des membres participants, à la fin de 1859, était de 472 855. La recette annuelle approchait de 8 millions; le capital de réserve était de 20 750 450 francs. Il ne s'élevait qu'à 10 714 877 francs à la fin de 1852.

service en favorisant et en suscitant les associations de ce genre. Le côté vraiment pénible de la condition de l'ouvrier, ce n'est pas l'obligation de travailler, qui lui est commune avec tout le monde, ce n'est pas même l'abaissement des salaires, c'est la nature précaire de ses ressources qui cessent immédiatement avec son travail. Une maladie, une blessure jettent dans le dénûment, du jour au lendemain, un ouvrier laborieux, rangé, aisé. Il ne peut vivre et faire vivre les siens pendant sa maladie sans contracter une dette, et la plupart du temps il ne peut ensuite payer cette dette qu'en s'écrasant de fatigue et en prenant sur son nécessaire. Le crédit est très-restreint, parce que le fournisseur lit à livre ouvert dans la situation de l'ouvrier et sait aussi bien que lui ce qu'il peut gagner par un surcroît de travail ou économiser par un surcroît de privations. Ainsi, quand on secourt un ouvrier malade, on ne le sauve pas seulement de la maladie; on le sauve de la dette, c'est-à-dire de la ruine.

Mais quand ce secours vient d'une bienfaisance toute spontanée, il a quelque chose d'humiliant. Il ne faut pas se récrier contre ce mot et parler d'orgueil déplacé. L'ouvrier qui vit de son travail sans rien devoir à personne, et qui élève honorablement sa famille à la sueur de son front, éprouve au fond du cœur une fierté légitime à laquelle tout honnête homme doit rendre hommage. En recevant un secours purement gratuit, il est impossible qu'il ne se sente pas diminué

à ses propres yeux. Qui sait s'il ne s'y accoutumera pas plus tard? Ce secours d'ailleurs est précaire. L'ouvrier valide n'est nullement rassuré contre les conséquences d'une maladie par cette chance de trouver une main généreuse qui lui vienne en aide. Il n'a de sécurité ni pour lui ni pour ses enfants. Ce n'est que dans le sein de l'association qu'il se trouve enfin affranchi de l'incertitude du lendemain ; c'est par elle seulement qu'il peut se dire qu'il ne dépendra jamais de personne.

Ce sentiment fait beaucoup non-seulement pour le bonheur de l'ouvrier, mais pour son caractère. Les ouvriers associés ont cette dignité, cette assurance que donne la conscience d'une position acquise, d'un droit reconnu. Ils se sont astreints volontairement à payer la cotisation, mais une fois l'obligation contractée, l'épargne est pour eux un devoir, et ne tarde pas à devenir une habitude. La solidarité qui unit tous les membres donne à chacun sur la conduite des autres un droit de contrôle également utile à exercer et à subir. Grâce à l'association, ils connaissent la douceur de porter sous le toit d'un ami des consolations et des secours. S'ils ont associé leurs enfants en même temps qu'eux, cette sollicitude paternelle contribue à resserrer les liens de la famille. Enfin, les plus habiles et les plus recommandables sont appelés par l'élection à faire partie du conseil. Ils y apprennent comment la propriété naît du travail et de l'épargne; ils y acquièrent la connaissance des hommes et des affai

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