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à la nourrir, elle et son enfant, s'enfuit lâchement, cherche de nouvelles amours. Que deviendra cette malheureuse, qui vivait à peine quand elle n'avait à penser qu'à elle seule? Où ira-t-elle avec son honneur perdu, sa santé détruite? S'il lui reste quelques agréments, elle forme de nouveaux liens, court à un nouvel abandon. Trop souvent elle tombe plus bas encore. Parmi les filles qui se livrent aux derniers désordres, on en cite qui ne recourent à la prostitution que pour pouvoir élever leurs enfants. ParentDuchatelet en a vu une qui lutta si longtemps que, quand elle vint se faire inscrire, elle n'avait pas mangé depuis trois jours.

Nous n'avons que trop démontré cette cruelle vérité, qu'en dehors des manufactures, une femme isolée ne trouve pas le moyen de vivre. Ainsi l'évidence nous presse de toutes parts. Tout périssait dans la famille, si la femme la quittait; et voilà maintenant que l'abri tutélaire du toit domestique est plus nécessaire à la femme elle-même qu'à ceux qui dépendent de son affection et de ses soins. Ce n'est pas seulement son bonheur qui est impossible hors de la famille; c'est sa sécurité, c'est sa vie.

Il y a pourtant quelques exceptions au tableau que nous venons de tracer, mais si rares qu'il faut à peine les compter. Nous ne les mentionnons en finissant que pour rendre hommage à des vertus qui s'ignorent, et qui sont dignes de toutes les admirations et de tous les respects. Il est beau d'être honnête, même

quand cela ne coûte rien; il est beau de porter courageusement le malheur, même quand on ne peut pas changer la destinée; mais rester pauvre, quand on n'a qu'à vouloir pour cesser de l'être, vaincre à la fois la misère et le plaisir, n'est-ce pas le plus beau des triomphes? Pendant que tant de gens font litière de leur conscience, on trouve encore dans les ateliers parisiens quelques pauvres filles, fidèles aux leçons d'une mère et aux souvenirs de la famille absente, qui travaillent et souffrent tout le jour sans donner même un regret à ces plaisirs faciles, à cette abondance, à ce luxe, dont elles ne sont séparées que par le sentiment du devoir. Il faut les avoir. vues, dans leur isolement, dans leur dénûment, et dans leur sainte innocence, pour savoir ce que c'est que la véritable grandeur. Ceux qui vous ont visitées n'oublieront jamais les leçons que vous leur avez données, chaumières de Septmoncel où le pain manque sur la huche, où les rubis et les émeraudes roulent sur la table; ateliers de Lyon, où le satin broché étale sur le métier ses fleurs éblouissantes tandis que la famille souffre avec résignation le supplice de la faim; tristes, froides, humides mansardes parisiennes, où de belles et languissantes filles poussent l'aiguille du matin au soir, et meurent à la peine plutôt que de faillir!

QUATRIÈME PARTIE

LE SALUT PAR LA FAMILLE

CHAPITRE PREMIER.

IMPUISSANCE DES REMÈDES DIRECTS.

La plupart des hommes vivent à côté de la misère sans la voir. Il est malheureusement plus facile de leur montrer le mal que de leur enseigner le remède. C'est une grande illusion de croire qu'avec un article de loi ou quelque combinaison économique nouvelle on va transformer tout à coup une société malade et guérir la plaie saignante du paupérisme. Nous avons vu naître et périr bien des théories qui devaient sauver le monde, et qui n'ont abouti qu'à le troubler un peu plus profondément. Ce n'est pas une raison de désespérer. Sans avoir la prétention d'innover en matière de bienfaisance, on peut suivre à la trace ceux qui ont aimé l'humanité et qui l'ont secourue, profiter à la fois de leurs erreurs et de leurs exemples, et dans cette humble mesure, avec beaucoup de zèle, un peu

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