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femmes de chambre, bonnes d'enfants, cuisinières, valets de chambre et cochers, habitent, sous les toits, des cellules à peine fermées, où l'on n'entre qu'en rampant, éclairées par une vitre dormante ou par une fenêtre en tabatière, glacées et quelquefois inondées en hiver, brûlantes et étouffantes pendant l'été. Ces cellules sont évidemment et nécessairement inhabitables; car si on pouvait s'y tenir debout, y respirer, y vivre, on les mettrait en location, et on trouverait un peu plus haut ou, s'il n'y avait pas de grenier, dans les caves, dans quelque recoin de la cage des escaliers, la place d'un matelas pour les domestiques. En vérité, ce septième étage est inhumain, on pourrait dire meurtrier; il fait penser aux fameux plombs de Venise, qui probablement valent mieux que nos mansardes. Mais est-il seulement inhumain? Qui surveille ces limbes inaccessibles par leur élévation, leur température, leur malpropreté? C'est de là que la descend dans les maisons; et pour que peste la morale ne soit pas moins blessée que l'hygiène, c'est là qu'est établie en permanence l'école du vol et de la luxure. Dieu préserve toute jeune fille de servir dans une maison honnête qui ne peut la loger que là.

Le blanchissage a gardé quelque chose des anciennes corporations. Chaque année, le jeudi de la micarême, les blanchisseuses élisent une reine, royauté aussi onéreuse qu'éphémère. Ce jour-là des centaines de fiacres amènent à Paris toutes les repasseuses de la banlieue, costumées en marquises et en pierrettes.

Une légion de porteurs d'eau, légèrement avinés et chamarrés de rubans multicolores leur fait cortége et, le soir, les bateaux-lavoirs de la Seine se transforment en salles de bal. On reprend modestement le battoir et le fer à repasser dès le vendredi matin. Les blanchisseuses se divisent en deux corps d'état : les savonneuses et les repasseuses. Les savonneuses ont plus de mal, mais les repasseuses sont plus habiles et ont à subir un long apprentissage. Il faut au moins deux ans pour faire une bonne repasseuse. Les savonneuses gagnent 2 francs 50 centimes et rarement 2 francs 75 centimes pour une journée de quatorze heures, sur lesquelles on leur accorde une heure et demie de repos; la maîtresse leur doit en outre un verre d'eaude-vie tous les matins. Les repasseuses de linge fin ou linge tuyauté gagnent en moyenne 2 francs 75 centimes, et les repasseuses de linge plat, 2 francs 50 centimes. Leur journée dure de huit heures du matin à huit heures du soir, avec une demi-heure de repos en hiver, et de sept heures et demie à huit heures, avec une heure de repos en été. Quand il y a nécessité de prolonger la journée, on les paye à raison de 25 centimes par heure supplémentaire. Elles fournissent leur molleton, c'est-à-dire le morceau d'étoffe qui leur sert de garde-main, dépense à peu près insignifiante (1 franc 50 centimes par mois). Une particularité de cette profession, c'est que les ouvrières ne s'attachent pas à une maîtresse. Quelques maisons ont une fille de semaine, chargée d'humecter et d'empeser le linge.

Elle est nourrie et reste assez longtemps dans le même atelier; mais c'est une exception assez rare. En général, les maîtresses, qui sont toutes d'anciennes ouvrières, se chargent elles-mêmes de cette besogne, et n'ont chez elles que des nomades. Tous les matins, à cinq heures et demie, les blanchisseuses partent pour l'embauchage; elles ont pour cela dans Paris un certain nombre de places où les maîtresses repasseuses viennent les embaucher pour un jour ou deux.

On voit qu'il n'y a pas de grandes inégalités entre les ouvrières dans l'état de blanchisseuses, puisque nous n'avons à signaler que deux corps d'état seulement et une différence de 25 centimes dans les salaires entre les ouvrières ordinaires et les ouvrières hors ligne. Il en est tout autrement pour les couturières, qui forment notre corps de réserve, et dont nous allons maintenant nous occuper. Là, le nombre des spécialités distinctes est considérable, et chaque spécialité occupe un nombreux personnel. C'est à Paris, chef-lieu de la couture, que nous placerons notre centre d'opération, sans nous interdire absolument quelques excursions dans les provinces.

CHAPITRE III.

MÉTIERS A L'AIGUILLE.

L'enquête de 1851 comptait à Paris, pour toutes les professions réunies 204 925 ouvriers et 11289! ouvrières. Elle donnait les chiffres de 1847, et se bornait à indiquer les changements survenus depuis le recensement, changements considérables à cause de la révolution de 1848. La nouvelle enquête, dont les résultats ne paraîtront pas avant trois ans, signalera sans doute des différences importantes, dues aux nouvelles lois douanières et à l'extension des limites de Paris; mais les rapports généraux entre les industries ne seront pas sensiblement modifiés, et le rapport publié en 1851 peut être consulté sur ce point, même aujourd'hui. Sur 412 000 ouvrières recensées par les commissaires enquêteurs, il y en avait au moins 60 000 qui s'adonnaient aux diverses sortes de cou

ture, c'est-à-dire plus de la moitié, et l'on comprendra à quel point ce nombre reste au-dessous du chiffre réel des ouvrières à l'aiguille, si l'on songe qu'on n'avait recensé que les ouvrières proprement dites, les salariées, et qu'il y a, principalement dans la couture, un grand nombre de petites entrepreneuses travaillant seules ou n'employant une ouvrière que par exception dans les moments de presse. Ainsi, par exemple, dans la profession de repriseuse, on n'avait compté que 98 ouvrières et 16 apprenties, en tout 114 personnes, et on avait laissé de côté 217 entrepreneuses travaillant seules, qui étaient bien, en réalité, de véritables ouvrières'.

L'enquête indique le maximum et le minimum des salaires pour toutes les professions. Le maximum était de 5 francs pour les modistes et les brodeuses, de 4 francs 50 centimes pour les couturières au service des tailleurs, de 4 francs pour les couturières proprement dites, les ouvrières en corsets (article

1. Les plus forts contingents avaient été fournis par les couturières pour tailleurs d'habits (10 769 et 11 050 en comptant les apprenties), par les lingères (10 110), les couturières proprement dites (6813), les couturières pour la cordonnerie (6789) et les brodeuses. Le chiffre de ces dernières ne s'élevait qu'à 3927 pour Paris; mais il faut se souvenir que le siége principal du commerce de la broderie est à Nancy et que le travail se fait surtout dans la Meurthe et dans les Vosges. Même observation pour la ganterie. L'enquête ne compte que 873 ouvrières pour les gants de peau et 206 pour les gants de tissus, parce que les gants sont cousus hors de Paris dans les départements de l'Isère, de l'Aveyron, de la Haute-Marne, de la Meurthe, de la Haute-Vienne, de Loir-et-Cher, de l'Orne et de Seineet-Oise.

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