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Que le début foit fimple, & n'ait rien d'affecté; N'allez pas dès l'abord, fur Pégase monté,

Crier à vos lecteurs d'une voix de tonnerre:

Je chante le vainqueur des vainqueurs de la terre. Que produira l'auteur, après tous ces grands cris?

La montagne en travail enfante une fouris.
O que j'aime bien mieux cet auteur plein d'a-
dreffe,

Qui fans faire d'abord de fi haute promesse,
Me dit d'un ton aifé, doux, fimple, harmonieux:
Je chante les combats & cet homme pieux,
Qui des bords Fhrygiens condui: dans l'Aufonie,
Le premier aborda les champs de Lavinie.
Sa Mufe en arrivant ne met pas tout en feu,
Et pour donner beaucoup, ne nous promet que
peu.

De figures fans nombre égayez votre ouvrage,
Que tout y faffe aux yeux une riante image;
On
peut être à la fois & pompeux & plaifant,
Et je hais un fublime ennuyeux & pefant.

Les Poëmes d'Homére contienment toutes les conditions qui concourent à la perfection du Poëme Epique; & il a fervi de modéle à Lous ceux qui ont ofé courir après lui

lamême carriére. Nous en avons une traduction fort exacte pour le fens ; mais les peintures y font, pour ainfi dire, à demi-effacées, & l'on n'y apperçoit rien de ce feu poëtique de cette richeffe d'expreflion, de ces belles figures, de la cadence & de l'harmonie qui charment dans les originaux, & qui ont fait dire à Boileau,

On diroit que pour plaire, inftruit par la nature,
Homere ait à Venus dérobé fa ceinture.
Son livre eft d'agrémens un fertile thrésor;
Tout ce qu'il a touché fe convertit en or.
Tout reçoit dans fes mains une nouvelle grace;
Partout il divertit, & jamais il ne lasse.

L'Eneïde de Virgile eft le feul Poëme Epique des Latins, qu'on puiffe citer; & c'eft un chef-d'oeuvre, où ой le Poëte a renfermé tout ce qu'Homére, dont il eft le fidéle imitateur lui a fourni de beautés & d'agrémens. Nous en avons des traductions en profe, mais froides & peu propres à faire connoître le mérite de l'original. Segrais a traduit l'Eneide en vers, & il y a de fort belles chofes dans cette

traduction; mais en général fes vers font foibles, & n'ont pas affez de chaleur.

Les Italiens vantent beaucoup la Jérufalem délivrée du Taffe, & ce Poëme contient en effet de grandes beautés. L'action en eft bien conduite, les caractères fagement formés, les moeurs & les paffions vivement exprimées ; mais il oublie de tems en tems la dignité de fon fujet, pour y mêler de la galanterie. Il donne dans le puéril, court après les faux brillans, & au lieu de l'or véritable, il présente du clinquant; c'est ce que lui ont reproché les Italiens mêmes. Nous en avons en profe une bonne traduction.

Les Anglois ont le Paradis perdu de Milton. L'action de ce Poëme eft grande, & bien amenée. Il fait ordinairement parler convenablement fes perfonnages; fes defcriptions font belles, fes pensées grandes, & quelquefois fublimes, & l'on voit qu'it s'étoit nourri de la lecture d'Homére. Mais il n'eft pas toujours heureux dans-fes fictions. On lui reproche de trop fréquentes digreffions fouvent

mal-placées, & fon ouvrage eft er général mêlé de beautés & d'extravagances. La traduction que nous en avons n'a pas peu contribué à la réputation du Poëme peu connu jufques-là, parce que, felon le jugement des Anglois mêmes, le ftyle de Milton eft dur, obscur & défagréable. C'eft, difent-ils, un fuperbe Palais bâti de brique : l'architecture en eft affez réguliere, mais les matériaux en font groffiers.

Il a paru depuis un fiécle, plufieurs Poëmes Epiques en François, qui font tous tombés au moment de leur naiffance. Le feul qu'on life eft celui de la Henriade, où l'on trouve de trèsgrandes beautés. La Critique y a remarqué des défauts, & l'on pourra les appercevoir en fe rappellant les régles que le bon fens a dictées pour la conftruction & pour l'ordonnance du Poëme Epique. Mais ce que: nous avons de plus régulier en ce genre, c'eft le Lutrin de Boileau. Ce Poëme raffemble toutes les perfections du Poëme Epique, & il ne diffère de ceux d'Homére & de Virgile, que par l'importance du fujet

car il n'eft bâti que fur un pur badinage, que le Poëte a transformé en une action grave & férieufe, & qu'il a affaifonnée de tous les agrémens, dont un pareil fujet étoit fufceptible. Il l'avoit intitulé, Poëme Héroïcomique. Le Télémaque de M. de Fenelon, Archevêque de Cambrai, est agréable & inftructif; il lui manque pour être un Poëme Epique, d'avoir été mis en vers.

CHAPITRE XIV:

De la Fable ou Apologue.

ENTRE les petits Poëmes, l'Apologue eft celui qui tient le plus de la nature du Poëme Epique. C'eft un difcours inventé avec art, pour former les moeurs par des inftructions déguifées fous le voile ou allégorie d'une action. Le propre de l'Apologue eft de renfermer une vérité dans un récit, où l'on introduit indifféremment des personnages de toute efpéce, des hommes, des plantes, des animaux, en un mot, tout ce

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