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Aux dépens du bon fens gardez de plaifanter. Jamais de la nature il ne faut s'écarter.

CHAPITRE XIII

Du Poëme Epique.

LE Poëme Epique est ainsi nommé d'un mot qui fignifie, récit, ce qui le diftingue du Poëme Dramatiqui comprend la Tragédie & la Comédie, & qui tire fon origine d'un mot qui fignifie action..

Ces deux efpéces de Poëmes font 'des imitations, dont l'objet eft d'inftruire par des exemples, en quoi on lès a préférés, comme on l'a remarqué, à l'Hiftoire & à la Philofophie.

Le Poëme Epique eft le récit d'une feule action renfermée fous un mê-. me point de vûe, & qui forme un corps dont les parties fe tiennent les: unes aux autres dans une exacte proportion. C'est un difcours inventé avec art, pour former les moeurs par des inftructions déguifées fous le voile d'une action importante, racontée en vers d'une maniere vrai

femblable, intéressante, agréable & merveilleuse.

Ce Poëme qu'on a regardé de tout tems comme la plus grande production de l'efprit humain, eft également grand par fa matiére, par la fin qu'on s'y propose, & par la forme qu'on lui donne. On n'y parle que de Rois & de Princes. Il doit être rempli de leçons de vertu, & d'inftructions pour gouverner les Empires.

L'action du Poëme épique doit être une & fimple, pour éviter la confufion; véritable ou vraisemblable, pour mériter qu'on la croye; heureuse & eftimable pour fervir d'instruction. Mais toute fimple qu'est cette action, elle admet les ōrnemens de toute espéce; ce font des guerres, des négociations, des difcours d'éloquence en tout genre; ce font de fidéles peintures des moeurs & des paffions, des reconnoiffances & des révolutions; elle admet auffi ce qu'on appelle des Episodes, c'est-àdire, des digreffions, par lesquelles on s'écarte de fon fujet par le récit de quelque aventure particuliere, ou par

quelque

quelque circonftance intéreffante qu'on ajoûte à l'action pour l'embellir, mais qui doit avoir avec elle une liaifon naturelle & néceffaire. De-là il s'enfuit que cette action n'eft pas auffi bornée que celle d'une Tragédie, & l'on peut en étendre la durée jufqu'à une année entiere; mais comme elle a pû durer plus long-tems, on commence par la principale circonftance qui en améne la fin, & on reprend les autres circonstances dans le cours de l'ouvrage par des récits particuliers. Comme par exemple l'action de l'Eneide de Virgile, eft l'établissement d'Enée en Italie. Il y avoit fept ans qu'il erroit, depuis fon évafion de Troye jufqu'à fon arrivée à l'embouchure du Tibre. Le Poëte commence fon Poëme à la derniere année, & raméne ce qui s'eft paffé dans les années précédentes, par le récit qu'Enée fait à Didon, de toutes fes aventures pendant fix ans. Si le Poëte eût fuivi l'ordre des tems, il n'eût été qu'un maigre & froid Hiftorien, & fon ouvrage n'eût produit que de la langueur & du dégoût.

La narration dans le Poëme Epi

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que doit être vive, animée, ne rien fouffrir d'inutile ni de languiffant ; elle doit être fimple fans le paroître, & toujours naturelle.

Soyez vif & preffé dans vos narrations;
Soyez riche & pompeux dans vos defcriptions.
C'eft là qu'il faut des vers étaler l'élégance.
N'y préfentez jamais de baffe circonftance.

Mais la fiction eft l'ame du Poëme Epique; c'eft ce qui forme le caractère de grandeur & d'élévation qu'il doit avoir; c'eft ce qui y répand ce merveilleux qui frappe & attache les lecteurs.

Qu'Enée & fes vaiffeaux par le vent écartés, Soient aux bords Africains par l'orage empor

tés,

Ce n'eft qu'une aventure ordinaire & commune, Qu'un coup peu furprenant des traits de la for

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Mais que Junon conftante en fon averfion, Pourfuive fur les flots les reftes d'Ilion, Qu'Eole en fa faveur les chaffant d'Italie, Ouvre aux vents mutinés les prifons d'Eolie Que Neptune en courroux s'élevant fur la mer, D'un mot calme les flots, mette la paix dans Pair

Délivre les vaiffeaux, des fyrtes les arrache:
C'eft-là ce qui furprend, frappe, faifit, attache.
Sans tous ces ornemens, le vers tombe en lan
gueur;

La Poëfie eft morte ou rampe fans vigueur.
Le Poëte n'eft plus qu'un Orateur timide,
Qu'un froid Hiftorien d'une fable infipide.

Ce qui autorife le Poëte dans fes fictions, c'eft qu'il eft fuppofé infpipar une Mufe, ou par quelque autre Divinité qui l'inftruit, & lui révéle les fecrets des Dieux. Auffi ne manque-t-il jamais de l'invoquer au commencement de fon Poëme.

Le refte des préceptes du Poëme Epique eft renfermé dans ces paffages de l'Art Poëtique de Boileau.

Voulez-vous long-tems plaire, & ne jamais laffer?

Faites choix d'un héros propre à m'intéreffer,
En valeur éclatant, en vertu magnifique,
Qu'en lui, jufqu'aux défauts, tout fe montre
héroïque.

N'offrez point un fujet d'incidens trop chargés Le feul courroux d'Achille avec art ménagé, Remplit abondamment une Iliade entiére. Souvent trop d'abondance appauvrit la matiére,

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