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CHAPITRE VII.

De la qualité des Mots. SIP'on confidére les mots, fuivant leur qualité, ils ont des fons plus doux ou plus rudes, plus foibles ou plus forts, plus éclattans ou plus étouffés; fi on les confidere fuivant leur proportion, leur mefure eft plus, longue, ou plus courte, & leur mouvement a plus de vîteffe, ou plus de lenteur. Nous allons voir d'abord quelle eft la qualité des fons.

Il eft certain que toutes les voyelles ne frappent pas également l'oreil le, comme les différentes couleurs ne font pas la même impreffion fur la vûe. Entre les voyelles, on fait plus de cas de celles dont le fon à de l'étendue, de l'éclat & de la douceur, comme l'A, TO, & l'È ouvert, embarras, remparts, batailles, tombeaux, joye, victoire, éclairs. Des vers où il n'entreroit que de ces mots, feroient bien fonores, & même trop fonores, fi on ne les mêloit

avec d'autres d'un fon plus foible. Ils donnent par eux-mêmes au ftyle beaucoup d'éclat & de magnificence.

Peindre Bellone en feu courant de toutes parts, Et le Belge effrayé fuyant fur les rempar.s. Quoi, pour noyer les Grecs & leurs mille vaiffeaux,

Mer, tu nouvriras pas des abyfmes nouveaux ?

Tes yeux

fur ma conduite inceffamment ou

verts,

M'ont fauvé jufqu'ici de mille écueils couverts,

Les fons de l'I, de l'V, de l'E fermé & de l'E muet, font plus foibles & moins agréables, comme infipide, invifible, fcrupule, légereté, témérité, foibleffe, trifteffe. Ces mots feroient défagréables à l'oreille, s'ils étoient en grand nombre, & ils ont befoin d'être foûtenus par des mots d'un plus beau fon; c'est ce que fait le Poëte, & en général tout écrivain qui a l'oreille fenfible à l'harmonie. -Les confonnes ont auffi entre-elles des différences bien remarquables. Les unes font coulantes & faciles à prononcer, comme l'L, I'M & I'N. Mélancholie, innocence, aimable, dé

Lettable. D'autres font rudes & fatiguantes dans la prononciation, comme I'R, le C & I'S, prononcée fortement, détruire, choc, roc, fifle Souffle.

Le Poëte n'eft pas le maître de créer les mots à fa fantaisie, mais il doit les arranger de maniere que dans le grand ftyle, les plus beaux mots occupent les places les plus remarquables, comme la fin d'une phrafe ou d'un vers. Car c'eft la fin qui nous frappe plus fenfiblement, & dont on conferve plus long-tems le fouvenir.

La Difcorde en fureur frémit de toutes parts. L'Eternel eft fon nom, le monde eft fon ou

vrage;

Il écoute les vœux de l'humble qu'on outrage,
Juge tous les mortels, avec d'égales loix,
Et du haut de fon thrône interroge les Rois.

Il eft certain que ces dernieres rimes dont le fon eft éclattant, donnent un nouveau relief à la noblesse & à l'élévation des penfées.

Mais quand le fujet eft fimple & commun, il faut éviter, autant qu'on

le peut, d'y employer des mots qui ayent trop de fon, comme dans cette fable de la Fontaine :

Autrefois le Rat de ville
Invita le Rat des champs,
D'une façon fort civile,
A des reliefs d'ortolans.
Sur un tapis de Turquie
Le couvert fe trouva mis;
Je laiffe à penfer la vie
Que firent ces deux amis.

On peut encore fe rappeller ici, le dialogue du Paffant & de la Tourterelle, rapporté plus haut.

Les confonnes demandent la même attention, & il faut éviter le concours de celles dont la prononciation eft rude & fatiguante, fi ce n'est dans quelques occafions où le fujet le demanderoit. Par exemple, Racine voulant peindre la fureur de Mathan déchiré par fes remords, affecte d'employer les confonnes les plus rudes, pour donner à fes vers une forte de dureté conformé au caractère de celui qui parle :

Du Dieu que j'ai quitté l'importune mémoire Jette encor dans mon ame un reste de terreur ; Et c'est ce qui redouble & nourrit ma fureur. Heureux fi fur fon temple achevant ma vengeance,

Je puis convaincre enfin fa haine d'impuis fance,

Et parmi le débris, le ravage, les morts,
A force d'attentats, perdre tous mes remords.

Boileau veut donner une vive & forte image d'un affaut. Il assemble avec art les mots les plus rudes & les plus difficiles à prononcer,

Déja jufques à fes portes,

Je vois monter nos cohortes,
La flamme & le fer en main ;
Et fur des monceaux de briques,
De corps morts, de rocs, de piques,
S'ouvrir un large chemin.

On diroit qu'il nous transporte fur la bréche, & qu'il nous fait partager avec les affaillans le péril, & la difficulté de l'attaque.

Le même Boileau joint enfemble des vers doux & des vers rudes, pour peindre deux objets contraires :

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