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Je vous les veux donner pour gage de ma fei, Car on dit qu'elles font fidéles comme moi.

Les Fables de la Fontaine fourniffent un grand nombre d'exemples de penfées naïves.

Une penfée délicate, eft une penfée dont la fineffe ne fe fait pas fentir aux efprits du commun. Elle eft quelquefois renfermée en peu de paroles, quelquefois plus étendue & le fens qu'elle contient fe laiffe feulement entrevoir.

Racine fait dire à Titus, en parlant de la Reine Bérénice qu'il aime, & qu'il fe propofe d'époufer:

Depuis cinq ans entiers tous les jours je la vois, Et crois, toujours la voir pour la premiere fois.

Les plaintes qu'on a mises dans la bouche de la Molleffe contre le feu Roi, font de parfaits modéles de penfées délicates:

Hélas! qu'eft devenu ce tems, cet heureux tems, Où les Rois s'honoroient du nom de fainéans; S'endormoient fur le thrône, & me fervant fans

honte,

Laiffoient leur fceptre aux mains, ou d'un Maire, ou d'un Comte.

Aucun foin n'approchoit de leur paifible cour; On repofoit la nuit, on dormoit tout le jour. Seulement au printems, quand Flore dans les

plaines,

Faifoit taire des vents les bruyantes haleines,
Quatre bœufs attelés, d'un pas tranquille & lent,
Promenoient dans Paris le Monarque indolent.
Ce doux fiécle n'eft plus, le ciel impitoyable
A placé fur leur thrône un Prince infatigable;
Il brave mes douceurs, il est sourd à ma voix.
Tous les jours il m'éveille au bruit de ses ex-
ploits.

Loin de moi fon courage entraîné par la gloire,
Ne fe plaît qu'à courir de victoire en victoire.
Je me fatiguerois à te tracer le cours
Des outrages cruels qu'il me fait tous les jours.

Mais les pensées doivent fur-tout être naturelles, & ne paroître ni recherchées, ni tirées de loin. Il faut qu'elles coulent de fource, & n'ayent rien qui fente la contrainte ni le travail.

Exemple.

Vous avez beau charmer, vous aurez le deftin De ces fleurs fi fraiches, fi belles,

Qui ne durent qu'un matin.

Comme elles vous plaifez, vous pafferez con!

me elles,

Tel eft ce dialogue entre un Paf fant & une Tourterelle.

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Que fais-tu dans ce bois, plaintive Tourterelle ?

-LA TOUKTERELLE.

Je gémis, j'ai perdu ma compagne fidelle.
LE PASSANT.

Ne crains-tu point que l'oifeleur
Ne te faffe mourir comme elle?

LA TOUR TERELLE,

Si ce n'eft lui, ce fera ma douleur,

Autre exemple.

A quoi fert d'élever ces murs audacieux,
Qui de nos vanités font voir jufques aux cieux
Les folles entreprises.

Maints châteaux accablés deffous leur propre

faix,

Enterrent avec eux les noms & les devifes

De ceux qui les ont faits.

Que te fert de chercher les tempêtes de Mars, Pour mourir tout en vie au milieu des hafards

Où la gloire te mene?

Cette mort qui promet un fi digne loyer,

N'eft toujours que la mort, qu'avecque moins de peine

On trouvé en fon foyer.

CHAPITRE V.

Des Mots.

IL fert peu de bien penfer, fi l'on parle mal; & même les penfées les plus belles, ne font pour l'ordinaire point d'effet, fans l'ornement des paroles; mais d'un autre côté, les paroles les plus belles & les mieux choifies, ne produifent qu'un babil ridicule & infenfé, fi elles ne font foûtenues de pensées folides', vraies, & puifées dans le bon fens.

Les paroles font aux pensées, ce que la couleur eft à la Peinture. Elles doivent concourir avec les penfées, à faire bien reffembler les objets qu'on fe propofe d'imiter. Ainfi les expreffions doivent être, felon la nature des penfées, nobles, fortes, hardies, riches, vives, & toujours

proportionnées au fujet auquel on les applique.

Quand on dit au Grand - Prêtre Joad, qu'Athalie médite de le faire périr, il répond en termes nobles & conformes à la dignité de fon carac tère:

Celui qui met un frein à la fureur des flots;
Sçait auffi des méchans arrêter les complots
Soumis avec refpect à sa volonté sainte,
Je crains Dieu, cher Abner, & n'ai point d'au
tre crainte.

L'expreffion eft vive & forte, quand elle peint avec force & vivacité la penfée de celui qui parle. On repréfente à Médée, qu'étant abandonnée de Jafon fon époux, haïe dans fon pays, elle n'a plus de ressource dans fes malheurs :.

Votre pays vous hait, votre époux eft fans foi Dans cette extrémité que vous reste-t-il !

Elle répond,

Moi, dis-je,& c'eft affez.

moi,

Efther dit à Aman >

Miférable, le Dieu vengeur de l'innocence, Tout prêt à te juger, tient déja fa balance.

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