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ARTICLE III.

Du genre Démonfiratif.

LA louange & le blâme font la matiére ordinaire du genre démonftratif, ainfi nommé parce qu'on y démontre, & qu'on y expofe avec une forte d'apparat & d'oftentation, les vertus & les vices qui en font l'objet.

On loue les grands hommes qui fe font diftingués, ou par leur valeur & leur conduite dans la guerre, ou par d'importans fervices dans la paix; les Rois, les Princes dont on fe fait un devoir d'orner & d'amplifier les vertus & les talens ; les Saints dont on exalte les bonnes actions à la face des autels, pour inviter à les imiter.

Les louanges perfonnelles qu'on donne aux grands hommes, fe tirent ou des biens de l'ame, c'eft-à-dire, des qualités du coeur & de l'efprit, on des avantages extérieurs, comme de la beauté, du crédit, des richesses, de la puiffance, des dignités. Homere vante dans Achille les graces

de la figure jointes à une valeur extraordinaire; & dans Agamemnon, la puiffance, les richeffes, la bonne mine & l'air de majefté. On doit obferver que les biens qui font hors de nous, & que la fortune difpenfe à fon gré, ne font recommandables que par le bon ufage qu'on en fait; que le crédit & le pouvoir, en nous donnant les moyens de faire ou beaucoup de bien, ou beaucoup de mal, mettent les moeurs à l'épreuve la plus forte & la plus délicate; qu'ainsi c'est mériter de grandes louanges, que d'en bien ufer; ce qui a fon principe dans les qualités du coeur & de l'efprit, qui feules méritent de vrais éloges, & fourniffent la plus ample matiére aux Panégyriques.

C'eft ce qu'ont excellemment pratiqué Péliffon & Racine, dans les éloges qu'ils ont faits de Louis XIV, & Boileau dans les Epitres qu'il a adreffées à ce grand Prince: mais il faut que les éloges foient toujours fondés. fur le vrai; car on feroit rougir ceux à qui, par une baffe flaterie, on attribueroit des vertus qu'ils n'ont pas ; ils ne se révolteroient pas moins con

tre les louanges mal apprêtées ; mais le vrai mérite fouffre une louange adroite & délicatement tournée; c'est un tribut que la reconnoiffance lui paye paye avec justice, & la récompense la plus flateufe que les hommes puiffent attendre de leurs vertus. Il est bon d'observer encore que dans les louanges qu'on donne aux vivans, on doit avoir égard au lieu où l'on eft, & connoître la difpofition de ceux qui écoutent, leurs fentimens, leurs préjugés, & leurs moeurs; parce qu'il faut que l'eftime que nous voulons infpirer, s'accommode au jugement du Public, & que la bonne réputation de ceux que nous louons, autorife nos éloges.

On doit avoir la même attention, quand on loue les morts dans les Óraisons funébres, dont le propre eft de relever avec pompe & avec adreffe, leurs vertus & leur bonne cont duite, en diffimulant, s'il eft poffible, les fautes & les foibleffes qui en terniroient l'éclat; ou fi l'on eft obligé de les avouer, en les couvrant de quelques ombres, pour mieux faire fortir ce qui doit être éclairé : c'est

ainsi qu'en a ufé M. Boffuet dans les Oraifons funébres de la Princeffe Palatine, & du grand Prince de Condé, L'ufage des Eloges funébres eft trèsancien, & paroît avoir commencé en Egypte. Quand on avoit embaumé un corps, on annonçoit aux Juges préposés pour examiner la conduite du mort, le jour de fa fépulture; & on avertiffoit fa famille & fes amis. Les Juges, au nombre de quarante venoient s'affeoir fur un tribunal, & là il étoit permis à tout le monde de porter des plaintes contre le mort. Si l'on prouvoit qu'il avoit tenu pendant sa vie une mauvaise conduite, les Juges déclaroient publiquement par leur fentence, qu'il étoit indigne de la fépulture qu'on lui avoit deftinée; mais l'accufateur fubiffoit de rigoureufes peines, s'il étoit convaincu de calomnie, & alors les parens quittoient les marques de deuil, & louoient le défunt. On commençoit fon éloge par fon éducation; on parcouroit toute la fuite de fa vie dans fes différens âges; on relevoit fa piété, fa juftice, fon courage, & l'on finiffoit par une prière aux Dieux des

Enfers, de le recevoir dans le féjour des bienheureux.

Les Grecs adoptérent en partie cette coutume, & les Athéniens la reftraignirent à l'éloge public des Citoyens qui étoient morts pour le fervice de la patrie. On nommoit tous les ans un Orateur pour faire cet éloge, & on lui donnoit tout le tems de fe préparer. Toute l'antiquité a vanté l'Oraifon funebre que Periclès avoit prononcée après la guerre de Samos, & on la trouva fi admirable, que lorfqu'il eut ceffé de parler, les meres & les femmes de ceux qu'il avoit loués, coururent l'embraffer, & lui donnerent des couronnes, comme à un Athléte victorieux.

Voici l'idée que Platon a donnée de ces difcours, & l'on appercevra dans ce qu'on y pratiquoit, les régles qu'on doit fuivre encore aujourd'hui dans ce genre d'Eloquence. L'Orateur n'étoit point obligé d'y cacher fon artifice, & pouvoit fans crainte, étaler dans fon difcours, toutes les fleurs & toutes les richeffes d'une Eloquence auffi brillante que pompeufe. Il s'agiffoit de louer les Athé

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