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convaincre ; on va examiner les deux efpéces de refforts qu'elle met en ufage pour perfuader. Le premier article traitera des Moeurs, & le fecond des Paffions.

ARTICLE PREMIER.

Des Maurs.

LES Moeurs font l'image de nos inclinations, de nos habitudes, & de notre conduite. On les découvre dans le difcours, dans la maniere d'agir, même dans le gefte ; & l'on fe prévient pour ou contre les perfonnes, felon les moeurs qu'elles laiffent appercevoir. Ainfi rien n'est plus important pour celui qui veut perfuader, que d'infpirer à ceux qui l'écoutent, des fentimens favorables, par les moeurs qu'on découvre en fa perfonne; car chacun fe peint dans fes paroles, & l'on ne peut fe flatter de plaire & de s'infinuer dans les efprits, qu'autant que l'impreffion qu'on donne de fes moeurs, eft agréable & avantageufe. C'eft par-là qu'on difpofe ceux qui écoutent à fouhai

ter que celui qui parle ait raison, & par conféquent à fe laiffer perfuader. De-là, ce principe général, que la véritable éloquence eft fondée fur la probité; car on n'écoute avec plaifir que ceux qu'on eftime; & l'opinion qu'on a de leur prudence & de leur fageffe, fait fouvent autant d'impreffion que les preuves les plus convaincantes.

La modeftie eft encore une qualité nécessaire pour gagner les efprits ; elle confifte à ne point parler avantageufement de foi; car rien n'est plus capable de révolter ceux qui écoutent, qu'une fierté ridicule & une vanité mal-entendue. On s'attache, au contraire, à relever ceux qui ne s'en font point accroire, & qui s'abbaiffent volontairement; mais cette modeftie ne doit rien avoir de bas, ni de rampant, & n'eft point incompatible avec la fermeté, ni même avec l'intrépidité qu'il faut faire paroître, lorfqu'il eft queftion de montrer fon zéle pour la vérité. Il faut de plus que la modeftie puiffe s'accommoder au rang & à la condition des perfonnes qui parlent ; un

Roi, un Prince, peuvent, fans ceffer d'être modeftes, parler avec la dignité, & la majefté qui conviennent à leur élévation. Un Magiftrat, un Evêque, un Miniftre de l'Evangile, doivent parler avec une noble affùrance & avec un ton d'autorité capable d'infpirer le respect.

Un troifiéme moyen de gagner les hommes, eft de leur faire fentir, en leur parlant, qu'on les aime, & qu'on eft animé d'un véritable zéle pour leurs intérêts; on peut tout dire à ceux qui font convaincus qu'on les aime, & ils entendent raifon fur les défauts dont on les reprend, quand ils font perfuadés de l'affection de ceux qui les reprennent.

Ce font-là les moeurs qu'on doit appercevoir dans la perfonne de l'Orateur; mais fi d'un autre côté, il veut gagner les efprits en faveur de ceux dont il parle, ou des vérités qu'il veut perfuader, il faut qu'il peigne les perfonnes de maniere à leur concilier l'eftime & la bienveillance des Auditeurs, foit en faifant valoir leurs bonnes qualités, foit en excufant leurs fautes, par la confidération

de ce qu'ils ont d'ailleurs de bon & de louable; ou fi l'on ne peut diffimuler ces fautes, ni les diminuer, en invitant à les pardonner, & dans ce dernier cas, il n'eft plus queftion d'infpirer de la bienveillance & de l'eftime pour celui dont on parle, mais de recourir à d'innocens artifices, pour ramener un homme irrité, pour le calmer & pour le fléchir.

Ces artifices n'ont rien de mauvais quand on les employe pour des vûes honnêtes, & l'on ne peut en produire d'exemples plus fenfibles, que ceux qu'employa Cicéron pour Aéchir Céfar juftement irrité contre Ligarius, qui avoit marqué le plus grand déchaînement contre lui dans le tems de la guerre civile. Cicéron, fans défavouer la faute, fçut triompher par une douce violence, qui eft l'effet de l'expreffion des moeurs, de la réfolution que Cefar avoit prife de ne lui point pardonner.

Il faut donc prendre les hommes par la douceur, & par une complaifance qui n'ait rien de bas ni de fervile, quand on peut par ce moyen, leur faire recevoir la vérité. Il faut

en conféquence la leur préfenter avec tous fes charmes, leur peindre les vertus de maniere à leur en faire connoître les avantages, & à leur faire fentir le bonheur qu'ils éprouveront en les pratiquant; peindre le vice avec des couleurs contraires; & capables d'en infpirer de l'horreur, en mettant dans un beau jour les maux où il précipite ceux qui s'y laiffent entraîner. Mais fi ceux à qui l'on parle font opiniâtres, ou livrés à des paffions qu'il foit difficile de détruire alors il faut recourir à la 3 force & à la véhémence; il faut par des foudres & par des éclairs, les étonner, les confondre, & par des paffions contraires, étouffer en eux les paffions dont ils font prévenus.

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LEs paffions font des mouvemens dans l'ame qui la pouffent vers un bien vrai ou apparent; ou qui la détournent de ce qu'elle croit un mal. Elles font bonnes en elles-mêmes, & néceffaires à l'homme pour le faire

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