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ces raifonnemens, que la paffion dont nous fommes préoccupés.

2o. L'envie, la jalousie & la malignité nous précipitent dans de faux raifonnemens. Si quelqu'un a quelque avantage fur nous, &, fi nous y prenons garde, nous défirons en avoir fur tout le monde, nous nous livrons, fouvent fans nous en appercevoir, à une paffion fecrette de le rabbaiffer, ce qui nous porte à combattre fans raifon fes opinions & fes discours; de-là vient l'efprit de contradiction & de pédanterie, qui a fa fource dans un fot orgueil & dans une baffe malignité.

30. Il y a au contraire une forte de complaifance, qui nous porte à tout louer & à tout approuver indiftinctement. On en contracte l'habitude; & cette habitude qui corrompt le difcours, par une fuite néceffaire, corrompt l'efprit. Cette profufion de louanges confond les idées & le langage; les mots ne font plus les fignes de nos penfées; mais une fimple civilité qui ne fignifie pas plus qu'une

révérence.

4o. Il y a dans la plupart des cho

fes un mêlange de vice & de vertu, de perfection & d'imperfection. On ne s'applique pas toujours à les dif cerner pour fe mettre en état, comme le veut la raison, de juger des chofes par ce qu'elles ont de meilleur. On dira, par exemple, qu'un homme eft éloquent, lorfque fes périodes font bien harmonieuses, & que fes mots font bien choifis. On l'écoute fans faire attention au fonds des choses; & le faux éclat dont on fe laiffe éblouir, dérobe la vûe des mauvais raisonnemens, qui fe font gliffés dans un difcours. D'autres fois l'autorité & la réputation nous impofent, & trop de déférence pour les gens en qui l'on reconnoît de l'efprit & de la science, nous fait faire de faux jugemens. On fera de même porté à croire qu'un homme raisonne jufte, parce qu'il eft homme de condition, parce qu'il eft riche ou conftitué en dignité. On s'empreffera d'applaudir à tout ce qu'il dira, & l'on ne daignera pas feulement écouter un homme obfcur. C'eft ce que nous représente ce paffage de l'Eccléfiafte: Si le riche parle, tout le monde fe taît,

&fon éleve fes paroles jufques aux nues; fi le pauvre parle, on demande qui eft cet homme-là?

Mais il faut avouer que fi la flatterie & la complaifance ont beaucoup de part à l'approbation qu'on donne aux actions & aux difcours des per-. fonnes de condition, elles fe l'attirent fouvent par certaines graces extérieures, par , par des maniéres d'agir & de parler nobles, fimples & naturelles, qu'il n'eft pas facile d'imiter. C'eft une forte d'éloquence qui peut être d'un grand fecours pour perfuader, quand elle eft jointe à celle des pensées & des expreffions. Par-là ces perfonnes méritent des éloges, & l'on ne doit blâmer que ceux, qui par une forte de baffeffe d'ame, louent fans examen tout ce que font & difent les Grands; ou ceux qui, trop remplis de l'idée qu'ils fe font faite de leurs richeffes ou de leur élévation, les regardent comme des titres pour avoir toujours raifon, & pour se croire auffi fupérieurs aux autres par l'efprit & par le jugement, qu'ils le font par la naiffance ou par la fortune. Ils fe gardent bien de

confidérer que ces avantages font étrangers à l'ame, & qu'ils peuvent avoir le jugement auffi foible que d'autres, & auffi capable de fe tromper; mais ils ne s'en doutent pas, & leur amour propre écarte loin d'eux toutes les réflexions humiliantes, pour ne leur laiffer voir que leur mérite & leur grandeur.

CHAPITRE X.

Des Mours & des Paffions. L'OBJET de la Philofophie eft de conduire à la vérité, mais fans fe mettre en peine d'en faire connoître les charmes, & de vaincre les obftacles qui empêchent de l'aimer & de l'embraffer; elle débite féchement & froidement fes inftructions; elle fe contente de convaincre par des raisonnemens fans réplique, & fuppofe dans ceux qui écoutent, affez d'attention & de docilité, pour n'avoir pas befoin qu'on employe d'autres armes, pour fubjuguer l'efprit, & captiver la volonté.

L'Eloquence fe fait auffi un principal devoir d'inftruire par la voie des preuves & des raifonnemens ; mais elle tourne fes preuves en fentimens, parce qu'elle veut plaire en présentant la vérité avec les couleurs les plus propres à la faire goûter; parce qu'elle veut toucher en triomphant de la réfiftance de fes Auditeurs, & qu'elle ne fouffre en eux, ni langueur, ni indifférence. D'un côté, elle étudie leurs génies, leurs moeurs & leurs caractères, pour y conformer fes difcours, & par-là s'infinuer doucement dans les efprits; d'un autre côté, elle s'applique à exciter les paffions, & remue les coeurs de tant de façons, qu'elle y allume enfin le feu dont elle-même eft embrasée.

Le propre de la Philofophie, eft de convaincre, en affujettiffant l'efprit à la vérité; l'Eloquence ne fe borne pas à la conviction de l'efprit, elle s'efforce de perfuader, en affujettiffant la volonté.

On a fait connoître les différentes formes des preuves & des raisonnemens, dont fe fert l'Eloquence pour

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