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TRAITÉ

DE

L'ÉLOQUENCE.

CHAPITRE PREMIER.

De l'Eloquence en général. 'ELOQUENCE confidérée en général, embraffe toutes les matiéres qui peuvent être l'objet de nos difcours, & n'appartient pas plus à la Profe qu'à la Poëfie aux difcours publics, foit dans la chaire, foit au barreau, foit dans les confeils, qu'aux négociations particuliéres, aux lettres, & même aux converfations; car quelque occafion qu'on ait de parler aux hommes, on

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fe propofe ou de les inftruire, ou de les perfuader, ou de les toucher; de louer, ou de blâmer; de reprendre, de confoler, de calmer la colère de réprimer l'orgueil, &c. Or il eft certain que l'homme éloquent remplira facilement ces objets, & que fans l'Eloquence, il eft impoffible de les bien remplir. Cette Eloquence qu'on appelle avec raison la Reine des volontés, fe réduit à deux points principaux, dont le premier confifte à découvrir fur quelque fujet que ce foit, les chofes qu'il faut dire; & le fecond, à les dire comme il faut, en les revêtant des ornemens qui leur font propres.

Les recherches, pour découvrir ce qu'il faut dire, doivent toujours tendre à la vérité, & la premiere qualité qu'on exige de l'homme éloquent, c'eft qu'il foit homme de bien; mais pour préfenter avec fruit la vérité, il faut lui donner une parure convenable, la dépouiller dece qu'elle a de trifte & d'auftere, & l'infinuer dans les coeurs en flattant l'oreille, dont le jugement fuperbe & délicat, n'admet que ce qui est

affaifonné de douceur & d'agrément. Il faut imiter le Médecin, qui pour faire boire à un enfant malade le fuc amer de l'abfynthe, arrofe de miel les bords du vase, & par cette innocente tromperie, l'invite à prendre le breuvage qui doit le guérir.

CHAPITRE II.

S'il y a un art pour l'Eloquence. ON demande fi l'Eloquence est né

ceffairement un don de la nature, & fi elle peut fe paffer de régles & de préceptes. On peut répondre que l'étude feule, fans le fecours d'un génie riche & fécond, ne peut rien produire que de médiocre & d'imparfait ; mais que d'un autre côté, on ne doit attendre du génie le plus heureux, qu'une abondance ftérile, & une aveugle impétuofité, s'il n'est nourri de connoiffances folides, & dirigé par les préceptes de l'art.

Il y a un art pour l'Eloquence, il n'en faut point douter; & cet art n'eft autre chofe qu'un recueil d'ob

fervations, que des hommes d'efprit & de bon fens ont faites d'après ceux qui parloient ou qui écrivoient bien. Leurs remarques ont fervi de régles pour bien penfer & pour bien parler, & ces remarques raffemblées & mifes en ordre, ont formé ce qu'on appelle la Rhétorique, ou autrement l'art de parler.

CHAPITRE III.

De l'origine de la Rhétorique. LEs Anciens avoient une si haute idée de la Rhétorique, qu'ils ne pouvoient fe perfuader qu'elle fût une invention humaine, & regardoient cet art comme le plus riche préfent qu'ils euffent pû recevoir des Dieux. Ils contoient qu'au commencement, les hommes vivoient épars dans les campagnes, broutant l'herbe comme les bêtes fauvages, & fe retirant comme elles, dans des cavernes, ou dans le fond des forêts. La raison ne les éclairoit pas affez, pour leur faire connoître l'avantage

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