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ANALYSE DE LA LUMIÈRE SOLAIRE ET THÉORIE DE
BREWSTER, par M. HELMHOLTZ 1.

Les expériences de M. Brewster sur le spectre solaire et les conclusions qu'il en a tirées, sont assez connues des physiciens. On sait que M. Brewster regarde le spectre solaire comme résultant de la superposition de trois spectres différemment colorés et inégalement étendus, un spectre rouge, un spectre jaune et un spectre bleu. Une même couleur appartiendrait à des rayons de réfrangibilité diverse, et vice versa. L'analyse prismatique du spectre serait donc insuffisante, et l'absorption élective que les milieux transparents exercent sur les diverses. couleurs, rendrait manifeste la nature composée des rayons que tous les physiciens, depuis Newton, s'étaient habitués à considérer comme simples.

Les expériences de M. Helmholtz sur les effets de la combinaison des couleurs, ne permettent pas de regarder le rouge, le jaune et le bleu comme les trois couleurs élémentaires. Mais il ne résulterait de là qu'une modification peu importante de la théorie de Brewster; il suffirait de prendre, par exemple, le rouge, le vert et le violet, sans rien changer d'ailleurs à l'idée fondamentale de la composition du spectre. La question principale

1 L'extrait que nous donnons du mémoire de M. Helmholtz, qui a paru dans les Poggendorff's Annalen, est tiré des Annales de Chimie et de Physique (janvier 1853). Ne pouvant insérer le mémoire tout entier à cause de sa longueur, nous ne pouvions mieux faire que de profiter de l'extrait aussi clair que complet qu'en a fait M. Verdet. (R.)

reste donc tout entière: il s'agit de savoir si la teinte d'un rayon du spectre peut être modifiée par absorption, et si, par conséquent, la liaison généralement admise entre la couleur et la réfrangibilité doit être rejetée.

Le système des ondulations établit, entre ces deux éléments, une relation si évidente, qu'on s'est, en général, peu préoccupé du travail de M. Brewster. On s'est expliqué les phénomènes observés par ce physicien, en supposant quelque inexactitude dans les dispositions expérimentales, sans se livrer à l'examen attentif que le nom de M. Brewster eût exigé. Il était nécessaire que la question fût de nouveau étudiée avec tout le soin possible, indépendamment de toute idée préconçue, et l'on doit savoir gré à M. Helmholtz de s'être acquitté de cette tâche.

Les expériences de M. Brewster ont consisté, comme on sait, à examiner le spectre produit par un prisme, en mettant successivement au-devant de l'œil divers milieux colorés. Dans ces conditions, il est à craindre que l'œil ne reçoive, en même temps que la lumière du spectre, une certaine quantité de lumière blanche diffuse, par laquelle tous les phénomènes seraient altérés. M. Helmholtz discute avec beaucoup de soin les circonstances qui favorisent l'action de cette cause d'erreur. Premièrement, quelque pure que soit la matière, quelque parfait que soit le travail du prisme et de la lentille qui concourent à produire le spectre, l'intérieur et la surface de ces milieux transparents présentent toujours des irrégularités, d'où peut résulter une diffusion sensible. On peut s'en assurer en faisant arriver sur le prisme ou sur la lentille la lumière du soleil dans une chambre obscure, et plaçant l'œil à côté de la direction des rayons.

régulièrement réfractés : dans cette position, on aperçoit constamment un certain nombre de points brillants dans l'intérieur du verre, et à la surface, des grains de poussière ou des stries.

Les réflexions multiples qui s'opèrent sur les diverses faces du prisme sont une deuxième cause d'erreur à considérer. Il est nécessaire, pour en éviter les effets, de noircir complétement les deux faces horizontales et la face verticale opposée à l'angle réfringent.

En troisième lieu, la lame transparente qu'on place au-devant de l'œil agit absolument comme le prisme et la lentille. De plus, si les deux faces de cette lame ne sont pas parfaitement parallèles, les réflexions intérieures produisent des images secondaires qui ne se superposent pas exactement au spectre principal, et qui contribuent ainsi à détruire la pureté des couleurs.

Enfin, lors même que toutes ces influences seraient écartées, on aurait encore à redouter la diffusion qui se produit à l'intérieur même de l'œil. Chacun peut reconnaître, en effet, sans la moindre difficulté, que lorsqu'il regarde un objet brillant, il voit tout autour de cet objet une sorte de nuage faiblement lumineux. Par exemple, si l'on place, la nuit, une lumière près d'une porte donnant dans une chambre moins éclairée, l'ouverture de la porte parait très-inégalement sombre, suivant que la lumière est cachée ou visible pour l'œil. De même, si l'on regarde un écran noir percé d'un trou par où arrive la lumière du jour, l'aspect de l'écran paraît très-différent suivant que le trou est ouvert ou fermé; si un verre coloré est placé sur le trou, une teinte de même couleur paraît recouvrir tout l'écran. La structure cellulaire ou fibreuse des milieux transparents de l'œil, et les ré

flexions intérieures de la lumière incidente, suffisent à l'explication du phénomène.

La considération de ces diverses circonstances rend un compte très-satisfaisant de l'expérience peut-être la plus remarquable de Brewster. D'après ce physicien, en regardant le jaune du spectre à travers un verre coloré en bleu par l'oxyde de cobalt, on voit un blanc parfaitement pur, qui doit être considéré comme indécomposable par le prisme, puisqu'il est produit par des rayons qu'un premier prisme a déjà décomposés. Or, en regardant le jaune du spectre, l'œil voit en même temps les couleurs voisines, et il les voit avec une intensité peu différente de l'intensité qu'elles ont dans la lumière du soleil, tandis que la lumière jaune est prodigieusement affaiblie par une couche un peu épaisse de verre bleu. Il suit de là que la petite quantité de bleu et de rouge qui, par suite des diverses diffusions, peut venir impressionner la rétine au même point que le jaune, suffit pour déterminer l'impression du blanc, en se combinant avec cette couleur.

Pour faire l'expérience de manière à écarter toute influence de la diffusion, M. Helmholtz a adopté la disposition suivante. Un spectre solaire est produit, à la manière ordinaire, au moyen d'un prisme et d'une lentille placés à une distance convenable d'une fente étroite par où arrivent les rayons solaires. L'écran qui reçoit le spectre est percé lui-même d'une fente qu'on peut amener à volonté dans une couleur quelconque. On isole ainsi un faisceau lumineux très-délié formé pour la plus grande partie de rayons régulièrement réfractés, et par conséquent homogènes, mais contenant aussi une petite proportion de lumière diffusée de diverses couleurs. Ce

faisceau est reçu sur un second prisme suivi d'une lentille; le groupe des rayons homogènes donne sur un écran convenablement placé, une image étroite de la fente, et le groupe des rayons diffusés formant un spectre, la pureté de cette image ne peut en être altérée; quant aux diffusions produites par le prisme et la lentille, elles donnent trop peu de lumière pour qu'on ait à en redouter l'influence'. On peut ainsi répéter sur une lumière parfaitement pure les expériences de M. Brewster. Les résultats obtenus se trouvent alors tout à fait conformes aux idées généralement admises. Par exemple, le jaune pur, observé à travers un verre bleu d'un épaisseur quelconque, conserve toujours sa teinte jaune, sans jamais passer au blanc.

Les phénomènes de contraste ont dû jouer, dans les expériences le Brewster, un rôle aussi important que les phénomènes de diffusion. Ainsi, lorsqu'on regarde le spectre à travers une couche un peu épaisse d'un liquide brun, on voit le rouge bordé d'une teinte verte qui occupe la place de l'orangé et du jaune. Cette teinte verte ne peut être qu'un effet de contraste; car, opérant par la méthode rigoureuse qui vient d'être indi

en

Cette disposition expérimentale peut être encore utilement employée pour isoler une partie plus ou moins considérable du spectre. On remplace la fente étroite pratiquée dans le volet de la chambre obscure par une large ouverture rectangulaire. Le premier spectre est alors impur; mais si on le reçoit sur un écran percé d'une fente très-fine, et si l'on fait arriver la lumière qui traverse la fente sur un prisme suivi d'une lentille, il se produit une portion de spectre dont les couleurs sont d'autant plus intenses que la première fente est plus large. On peut ainsi rendre facilement visible la partie du spectre qui est située au delà de la raie H, et manifester sa teinte violet-lavande.

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