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qui signalent la différence des deux époques que nous avons prises pour termes de comparaison.

Et si, ne nous bornant pas à l'exposition des découvertes faites dans l'intervalle de ces trente-cinq ans, nous voulions essayer de citer tous ceux qui y ont contribué, après les noms des OErsted, des Arago, des Ampère, des Faraday, des Becquerel, des Seebeck, des Ohm, des Grove, des Wheatstone et des Matteucci, ce n'est pas par centaines, mais bien par milliers que nous en aurions à enregistrer, tant a été immense le développement de l'activité scientifique dans cette partie de la physique. Il est vrai qu'elle aussi a perdu au point de vue des lois géné rales; car ces lois, qui sont l'expression d'une science achevée doivent tomber nécessairement devant les exigences impérieuses qu'entraînent après elle la découverte de faits nouveaux et tout à fait imprévus.

Nous venons d'esquisser à grands traits le tableau des progrès qui ont signalé la marche de la physique de 1816 à 1853; nous ne nous dissimulons pas tout ce qu'il y a nécessairement d'incomplet dans un résumé aussi abrégé. Bien des points importants, bien des noms marquants nous ont sans doute échappé. Eh bien, malgré ces lacunes, le coup d'œil rapide que nous avons jeté sur cette phase si remarquable de l'intelligence humaine, est plus que suffisant pour nous convaincre de deux grandes vérités; la première c'est la solidarité ou l'union toujours plus intime que les progrès de la physique tendent à établir entre ses différentes parties; la seconde, c'est la tendance toujours plus prononcée que manifeste la science à remplacer les nombreuses lois remarquables par leur précision, auxquelles elle croyait être parvenue, par quelques principes généraux non susceptibles, il est vrai, de revêtir une forme rigoureusement mathématique, mais plus propres à représenter exactement ce qui se passe réellement dans la nature.

Quand on relit avec attention le Traité de M. Biot, ce qui frappe surtout c'est la netteté des résultats et la limitation

rigoureuse de chaque sujet; le domaine de chacun des agents physiques y apparaît parfaitement circonscrit; ce sont quatre fluides imponderables bien distincts; à peine peut-on signaler quelques empiétements de l'un sur l'autre, et encore cherche-t-on à démontrer que ces empiétements ne sont qu'apparents; ainsi, par exemple, si l'électricité développe de la chaleur en traversant les corps, gardez-vous de croire que cela tienne à ce qu'il y a un rapport entre le fluide électrique et le calorique; cet effet, vous dit-on, n'est que le résultat de la compression déterminée dans le corps par le passage de l'électricité. Voila comme on se tire d'affaire pour conserver à la science ce caractère de discontinuité que lui imprime l'emploi trop exclusif de la forme mathématique. Sans doute ce procédé présente quelque chose de satisfaisant à l'esprit, et je ne doute pas, tout en faisant une large part au talent de l'auteur, que ce ne soit là une des raisons du véritable charme qu'on éprouve encore à lire le grand Traité de M. Biot. Mais, d'un autre côté, quelle jouissance pour l'intelligence de voir se dérouler cette dépendance mutuelle de tous les phénomènes qui, en les rattachant toujours davantage les uns aux autres, conduit naturellement à leur chercher une cause commune. Ainsi nous voyons la chaleur produire la lumière et l'électricité, l'électricité produire la lumière et la chaleur; la lumière produire de la chaleur et de l'électricité, puis nous découvrons que le magnétisme n'est plus qu'une forme de l'électricité, et que l'affinité chimique est également liée comme cause et comme effet avec la chaleur, la lumière. et l'électricité. Que conclure de cet enchaînement si complet, sinon l'union intime qui existe entre toutes les forces de la nature et l'existence d'un principe unique dont elles ne seraient que des formes différentes.

Il est assez remarquable que la seconde vérité qui nous a paru découler de l'examen rapide que nous avons fait, conduise à la même conséquence que la première. En effet, l'absence de lois rigoureusement mathématiques, et leur remplacement par des lois simplement approxima

tives, est une preuve que les phénomènes de la nature. dépendent de principes d'un ordre plus élevé et plus général que ceux auxquels nous les attribuons, et c'est pourquoi il nous est très-difficile, pour ne pas dire impossible, de découvrir la loi absolue qui les régit. Mais ce que nous perdons par là en clarté dans les détails, nous le gagnons en grandeur dans les conceptions. N'est-ce pas, en effet, un magnifique résultat que d'entrevoir le moment où, après avoir établi le lien qui unit tous les agents de la nature, on pourra remonter à leur cause commune, et montrer que tous ces agents n'en sont que des dérivations. Un semblable point de vue est également bien plus en harmonie avec les idées que nous devons avoir sur la création; et en nous dévoilant partout l'unité de cause, il nous amène naturellement à élever notre âme vers la grande Unité de laquelle émanent toutes choses, vers ce Créateur dont la main se reconnait patiout, et dont l'action immédiate devient toujours plus évidente à mesure qu'on avance dans l'étude du monde physique aussi bien que dans celle du monde moral.

A. DE LA RIVE.

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BULLETIN LITTÉRAIRE.

LITTÉRATURE.

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE DRAMATIQUE, par Jules Janin. Paris, 1853, 2 vol. in-12o 6 fr.

Beau titre, ma foi, mais qu'y a-t-il dessous? Les mille et un feuilletons de M. Jules Janin, traitant de maints sujets divers, puis du théâtre aussi, et cousus ensemble sans beaucoup d'art. On dirait un homme qui montre la lanterne magique et qui s'efforce de trouver des transitions pour passer d'un verre à l'autre, sans couper trop brusquement le fil de son discours. L'ingénieux feuilletonniste, malgré tout son esprit, et il en a beaucoup, ne parvient pas à faire de son livre une histoire littéraire; il avoue lui-même que la plupart des pièces de théâtre dont il parle, ne sont que des prétextes dont il se sert pour divaguer à son aise et donner libre cours à sa fantaisie. La critique telle qu'il l'entend, est une causerie vive, légère, piquante, qui a surtout pour objet d'amuser le lecteur. Le moindre vaudeville lui fournit matière à trois ou quatre pages de babil élégant et gracieux, bien préférable sans doute à l'analyse de bluettes qui n'en valent pas la peine; mais avec cette méthode, il omet précisément ce qui constitue la littérature dramatique, et le titre sous lequel il a rassemblé ses articles n'est qu'une enseigne trompeuse. Il eût mieux fait d'appeler cela les feuilletons de M. J. Janin. Quand on s'est acquis une supériorité marquée dans un genre, pourquoi la gåter par des prétentions semblables? M. J. Janin excelle en sa manière d'écrire, qui est bien à lui, qui porte un cachet vraiment original; tant qu'il s'y tient, le prestige de son talent subsiste, dès qu'il s'en écarte tous les défauts que ce vernis brillant dissimulait sautent aux yeux, et il ne reste plus guère qu'un cliquetis de mots

Litt. T. XXII.

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aussi fatigant pour l'oreille que pour la pensée. Que signifie, par exemple, cette définition qu'il donne de son livre: « En un mot, ceci est une histoire du théâtre, en ce sens que toutes les choses dont nous parlons ont vécu une heure, ou vécu des siècles, et pour peu qu'un brin de cette vie à part dans les lettres humaines se retrouve en nos sentiers perdus, notre œuvre est accomplie. » N'y a-t-il donc que les œuvres dramatiques qui puissent vivre une heure, ou vivre des siècles? Et quels rapports, je vous prie, ont avec le théâtre un bal donné au roi de Naples par le duc d'Orléans, en son palais royal, la révolution de juillet 1830, l'histoire de Paganini, une notice sur Théodore Burette, ami de l'auteur, etc. Mais, avec tout cela, M. Jules Janin amuse, intéresse, captive l'attention, et s'il ne donne pas à ses lecteurs tout ce qu'il semble leur promettre, il leur procurera du moins quelques heures de récréation charmante. Il choisit dans ses feuilletons, il extrait, il coupe, et ce travail est fait certainement avec beaucoup de goût. Les phrases redondantes, les digressions et parenthèses sans fin, les intempérances de style ont disparu en grande partie. C'est le miel dégagé de la cire, et l'on en apprécie bien mieux la fine saveur. Sous des dehors frivoles, M. J. Janin recèle un tact sûr, un jugement sain, et chez lui l'esprit et le bon sens marchent de front. Ses opinions littéraires, quoique toujours exprimées avec enjouement, ne manquent ni de sagesse, ni de portée sérieuse. Il manie avec adresse. l'arme du ridicule et sait être très-malin sans la moindre méchanceté. Admirateur enthousiaste de la haute et bonne comédie, s'il ne l'aborde le plus souvent que par les menus détails, il a parfois des mots heureux qui montrent combien il est sensible à ses beautés réelles, et marquent nettement la distance qui sépare les chefsd'œuvre des écrivains du dix-septième siècle des vaines tentatives de l'école moderne. L'indépendance est un mérite assez rare aujourd'hui pour qu'on tienne compte à M. J. Janin d'être demeuré fidèle aux principes du juste et du vrai. Dans maintes occasions sa critique a même été courageuse, et le spirituel feuilletonniste a prouvé plus d'une fois qu'il possédait aussi les nobles qualités du

cœur.

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