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dentale; il remporta sur l'empereur Othon IV la victoire de Bouvines, qui fut ressentie, de l'Escaut aux Pyrénées, comme un triomphe vraiment national. Louis VIII fit dans le sud ce que son père avait fait dans l'ouest; et Louis IX, au sortir d'une minorité pleine de troubles, se trouva chef de l'Etat de la chrétienté où la couronne disposait des forces les plus considérables. Ce prince voulut réformer la législation féodale, et organiser sur un plan régulier l'administration de ses domaines immédiats; il remplit cette tâche dans l'esprit de son temps, et d'accord avec l'Eglise, qui demeurait investie d'un pouvoir moral supérieur à tous les autres. Les croisades prirent fin avec Louis IX, série d'entreprises toutes françaises par leur esprit, et principalement exécutées par des forces françaises, entreprises dont les résultats définitifs, en ce qui concerne l'Orient, furent désastreux, mais dont la réaction sur le développement des sociétés occidentales demeura très-considérable, et fut avantageux à la consolidation de la monarchie dont Philippe le Bel recueillit l'héritage. Ce prince changea complétement l'esprit dans lequel la couronne de France avait agi depuis l'élection de Hugues Capet, et chercha d'autres voies d'agrandissement; il y employa sans scrupule les moyens les plus violents qui se trouvèrent à sa portée. Il s'émancipa de l'autorité, jusqu'alors presque illimitée, de la cour de Rome, abandonna la terre sainte, anéantit, avec l'ordre des templiers, la dernière espérance de reconquérir Jérusalem, enleva la cité de Lyon à l'Empire, et prépara la réunion à la France du royaume d'Arles, que ses prédécesseurs n'avaient jamais disputé aux Césars d'Occident; il trausforma ce qui restait encore de l'ancienne féodalité, en faisant des grands vassaux autant de satellites de sa couronne, astre dont l'éclat sinistre a été

peint par Dante, avec des couleurs immortelles: le chantre Gibelin voyait dans Philippe le Bel « un arbre immense dont l'ombre meurtrière ruinait toute la chrétienté,» tandis qu'en réalité cette puissance n'était funeste qu'aux prétentions de l'empire germanique.

Les guerres anglaises suivirent de près cette transformation de la monarchie française.

Nous avons vu les populations de la Gaule occidentale s'éveiller, après la conquête de la Normandie par Jean Plantagenet et la défaite du César des Allemands au Hainaut, s'éveiller au sentiment de la nationalité française. Pendant la lutte avec Edouard III, et celle qui suivit, après trois quarts de siècle, avec Henri V, ce même sentiment se développa, se fortifia, s'exalta jusqu'à prendre le caractère d'une passion, d'une religion populaire. La noblesse française versa son sang par torrents sur les champs de bataille où sa valeur indisciplinée succombait devant l'excellente organisation des milices insulaires. « On vit alors s'élever une puissance nouvelle, qui s'était préparée dans le silence, et qui, durant bien des générations, avait tiré son accroissement d'éléments en œuvre dans les profondeurs de la nation : les villes' développèrent leurs ressources, devinrent, à côté des princes, des prélats et de la chevalerie, un pouvoir politique dans l'Etat. »

Ce pouvoir, à peine reconnu, à peine admis à se faire représenter aux états généraux du royaume, tenta de

1 M. Ranke a raison d'employer cette expression de préférence à celle de communes. Les communes s'étaient rendues libres au douzième siècle; les villes, au quatorzième, se rendirent puissantes. Les communes avaient fait un élément plébéien dans les provinces; les villes firent un ordre politique dans l'Etat.

s'emparer de la direction suprême. Livré aux factieux, il méconnut les limites nécessaires de son action, il s'attira des répressions impitoyables; mais il se releva de tous les échecs que lui valurent sa précipitation et son inexpérience politique, et la supériorité que la nature des choses lui fit conserver toutes les fois qu'il s'agit de finances, obligea la couronne à ménager de plus en plus les chefs naturels du tiers état.

L'anarchie désastreuse dans laquelle le royaume était tombé pendant le gouvernement nominal de Charles VI, avait disposé le tiers état dans beaucoup de provinces, et le peuple de Paris, en particulier, à reconnaître volontiers pour roi Henri V, Plantagenet, souverain de l'Angleterre, sous le sceptre duquel on espérait voir paraître l'ordre dans les campagnes, et respecter les franchises municipales dans les communes. « A voir la joie des simples,» écrit un contemporain, « à l'entrée de Henry V, laquelle n'avait point eu de pareille depuis que PhilippeAuguste était revenu de Bouvines, on aurait dit que le monde eût du tout été renouvellé et établi en perpétuelle et permanente félicité. Le parlement et l'université de Paris, le clergé, et par-dessus tout la magistrature municipale, donnèrent leur entière adhésion au nouveau régime; mais sous la main dure et maladroite des oncles de Henri VI, qui parvinrent presque aussitôt au gouvernement, ces impressions favorables ne tardèrent point à s'effacer, et Charles VII fut, à son tour, accueilli comme un libérateur.

Ce prince mérite, à bien plus juste titre que son fils, le nom, habituellement donné à celui-ci, de fondateur de la monarchie française dans le sens des nouveaux temps. Charles VII reconquit son héritage, et refit la monarchie, à l'aide des grands vassaux d'abord, ensuite de l'ordre Litt. T. XXII. 4

équestre, enfin du peuple des campagnes qui se dévoua courageusement à sa cause, quand il se fut, assez tard, résolu à la considérer comme nationale. « Jeanne d'Arc réveilla cette religion de la royauté dans les masses populaires, et le fit à la française, les armes à la main : Les hommes d'armes combattront, disait-elle, et Dieu donnera la victoire. » De tout le territoire qu'Edouard III avait possédé en France, Charles VII ne laissa que Calais aux petits-fils de ce roi. Il fit pour l'Aquitaine ce que Philippe-Auguste avait fait pour la Normandie, Louis VIII pour le Languedoc, Philippe le Bel pour Lyon, Philippe de Valois pour le Dauphiné; il compléta le territoire du royaume. Il s'appliqua ensuite à le mettre à l'abri d'invasions nouvelles, et à lui donner, vis-à-vis des puissances dont le siége était au dehors, toute l'indépendance compatible avec les croyances nationales. La pragmatique sanction à laquelle il fit concourir le clergé de son royaume, fonda l'Eglise gallicane, et lui procura les franchises les plus essentielles, aussi bien vis-à-vis du souverain pontife que vis-à-vis du souverain temporel. Après cette grande innovation, Charles VII en introduisit de moins populaires, mais qui n'étaient pas moins essentielles : l'établissement d'un impôt permanent, la taille, dont les Etats même des grands vassaux ne devaient point être exempts', et celui d'une armée également permanente, composée de neuf mille gentilshommes à cheval et couverts d'armures complètes (les compagnies d'hommes d'armes), et de vingtsept mille gens de pied (les francs-archers).

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Ainsi préparées pour les événements qui ont fondé le

Il y eut exception de fait pour la Bretagne et le Béarn; la plupart des grands vassaux stipulèrent en outre, pour leurs fiscs privés, une indemnité pécuniaire.

monde moderne, la nation et la monarchie française, forces désormais inséparables, accueillirent les grandes inventions qui marquèrent le cours et spécialement la fin du quinzième siècle. A mesure que le développement naturel des institutions amenait ce que nous indiquons par l'expression très-indéterminée « des progrès de la civilisation, » les événements faisaient disparaître, l'un après l'autre, les Etats secondaires dont la possession associait, dans un ordre subalterne, les grands-vassaux à la souveraineté du roi. Louis XI recueillait l'héritage de Charles de Bourgogue; Charles VIII épousait l'héritière de Bretagne; les ducs de Bourbon, seuls des anciens pairs du royaume, devaient subsister jusqu'au règne de François Ier.

Parvenu à l'objet principal de son travail, M. Ranke fait usage, pour peindre à grands traits, mais avec une vérité parfaite, l'époque des Valois, non-seulement des documents imprimés à différentes époques, et dont les dernières années ont singulièrement augmenté la richesse, mais encore, et principalement, des pièces inédites qui existent en quantité prodigieuses, et généralement en excellent ordre, dans les archives de France, d'Angleterre, d'Espagne, d'Italie, d'Allemagne et de Belgique. Les registres des parlements, les procès-verbaux des états généraux tenus en France pendant le seizième siècle, lui ont fourni des secours précieux. Il a donc été non-seulement fondé, mais encore contraint de s'écarter souvent de l'histoire traditionnelle, laquelle fut d'abord fondée sur des représentations partiales, et quelquefois sur des falsifications officielles de la vérité. Nous insisterons principalement sur les faits tout à la fois importants et nouveaux (au moins pour la généralité des lecteurs), que la méthode aussi laborieuse que sage et consciencieuse de M. Ranke l'a mis

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