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nommés, d'après leur étendue, le petit et le grand Salève, était jadis couvert de forêts; pendant longtemps l'aigle et les bêtes sauvages y joignirent seuls leurs cris au bruit de la tempête, mais peu à peu les sapins furent abattus, des habitations s'élevèrent, et le village de Monetier prit naissance. Les communications se firent d'abord par le revers de la montagne, dont les pentes vont rejoindre le plateau des Bornes, mais avec le temps, les chévriers frayèrent, le long des éboulis, du côté de Genève, un sentier direct, quoique plus dangereux, qui aboutissait à des roches escarpées ; on les franchissait sur de frêles solives jetées à travers le précipice. Dès lors la route de l'est fut abandonnée aux chariots, et l'on gagna la vallée du Léman par ce défilé, qui prit le nom de Pasde-l'Echelle. D

FEUILLE POPULAIRE DE LA SUISSE ROMANDE, recueil de littérature nationale publié avec le concours de ses principaux écrivains. Lausanne, chez Alexandre Michod, 1853. Il paraît tous les quinze jours un cahier de seize pages in-8°. Prix: 25 c., ou en souscrivant pour l'année, 5 fr.

Le but de ce recueil est d'offrir un aliment à la fois littéraire et moral, qui soit, autant que possible, à la portée du plus grand nombre. En Suisse le goût de l'instruction, et de la lecture est très-répandu dans toutes les classes de la société. Si l'on en veut une preuve, nous dirons que le meilleur des ouvrages populaires de M. Souvestre, Un philosophe sous les toits, s'est vendu, dans les seuls cantons de Genève, Vaud et Neuchâtel, en plus grand nombre que dans les quatre-vingt-six départements de la France. Ce mouvement général des esprits permettant aux écrivains qui s'en emparent d'obtenir beaucoup d'influence, il importe de lui donner une bonne direction, et de chercher surtout à lui conserver le cachet national. C'est la tâche qu'entreprennent les éditeurs de la nouvelle feuille que nous annonçons ici. Ils n'exposent pas leur plan et se contentent, pour prospectus, de publier la table des principaux articles qui paraîtront dans les six premiers mois de 1853. Mais, à

en juger d'après les livraisons que nous avons sous les yeux, leur recueil sera composé surtout de fragments extraits de divers ouvrages d'écrivains distingués, prosateurs ou poëtes, suisses et français. Ce sont, en général, des morceaux fort courts, mais assez bien choisis et propres à intéresser le lecteur. La tendance démocratique s'y trouve alliée à l'esprit religieux et au vrai sentiment républicain. L'histoire et la littérature nationale occupent naturellement la plus grande place dans la Feuille populaire, et nous y voyons avec plaisir figurer sur la liste des auteurs les noms de MM. L.Vulliemin, Hottinger, Ph. Bridel, J.-J. Porchat, Ch. Secretan, Henri Durand, F. Monneron et J. Gotthelf.

VOYAGES ET HISTOIRE.

MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE FRANCE, t. XXI, 1852, in-8°.

La Société des antiquaires de France succède à l'ancienne Académie celtique fondée en 1806 et réorganisée en 1816; les travaux qu'elle a mis au jour forment une collection déjà volumineuse et riche en documents d'une importance réelle. Parmi les divers mémoires que renferme le dernier volume récemment publié, nous signalerons les articles de M. F. Bourquelot sur un exemple du suffrage universel au quatorzième siècle. Il s'agissait de la ville de Provins, cité dont l'importance comparative était alors plus grande qu'aujourd'hui. La question était de savoir si les habitants voulaient continuer à faire partie de la commune ou bien se séparer d'elle et passer sous le gouvernement du roi. Le vote eut lieu vers 1356; ouvriers, paysans, tous votèrent, et le résultat fut que 156 voix seulement se prononcèrent pour la commune; tandis qu'une majorité formidable (2545 voix), se déclarèrent contre elle. Circonstance remarquable, et dont le moyen âge offre d'ailleurs quelques autres exemples: un assez grand nombre de femmes furent admises à prendre part au scrutin. - Un mémoire de M. Grezy sur trois crosses historiées du treizième siècle,

présente de curieux détails relatifs à d'anciennes et naïves légendes. MM. Duchalais, Longpérier, Limousin, ont fourni de savantes recherches sur divers sujets d'archéologie ou de numismatique; MM. Lamure et Renier communiquent les résultats de leurs patientes investigations sur les antiquités de Lambera (Algérie). Nous ne saurions omettre le travail de M. Alfred Maury sur les ossements humains enfouis dans les roches et les couches de la terre; cet écrit substantiel, et où se révèle une vaste et judicieuse lecture, a été entrepris dans le but de servir à éclairer les rapports de l'archéologie et de la géologie. On sait que les squelettes humains sont fort rares dans les dépôts d'une haute antiquité, et on en a trouvé sur des points du globe bien éloignés les uns des autres, à la Guadeloupe, en Irlande, à la Nouvelle-Zélande, sur les bords du Mississipi. C'est dans certaines régions de l'Asie, berceau des premières sociétés organisées, qu'on aurait le plus de chance de découvrir d'anciens ossements humains. Les géologistes n'ont point encore exploré ces contrées, mais les progrès de la science leur arracheront leurs mystères. A l'époque où Cuvier écrivait son magnifique Discours sur les révolutions de la surface du globe, on ne connaissait point encore de singes fossiles; depuis on croit en avoir rencontrés en plusieurs endroits. Il peut en arriver de même pour l'homme, et ces découvertes seront d'une importance incontestable; toutefois, il sera constamment à propos de se tenir en garde contre des conclusions précipitées et trop générales déduites de quelques faits isolés.

SAINT ANSELME DE CANTORBÉRY, tableau de la vie monastique et de la lutte du pouvoir spirituel avec le pouvoir temporel au onzième siècle, par Charles de Rémusat. Paris, chez Didier, 35 quai des Augustins, 1853; 1 vol. 8° 7 fr. 50.

Le moyen âge, représenté par la plupart des historiens comme une époque où le catholicisme dominait sans partage, est cependant loin d'offrir cette unité de vues et de croyances dont se vante l'E

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glise. L'observateur attentif y découvre au contraire bien des éléments de diversité, bien des symptômes de guerre civile et d'anarchie. Les intelligences courbées sous le joug de Rome n'en conservaient pas moins leurs dispositions turbulentes jusque dans le sein de la vie monastique. Celles que ne tentaient pas les périlleuses hardiesses de l'hérésie, trouvaient un vaste champ d'activité dans l'étude des sciences, dans les recherches de la philosophie, et la lutte du pouvoir spirituel avec le pouvoir temporel ouvrait à leur ambition une brillante carrière. C'est à ce point de vue que s'est placé M. de Rémusat pour écrire l'histoire d'Anselme : « moine, prieur, abbé du Bec, archevêque de Canterbury, primat d'Angleterre, un des saints du calendrier, un des maîtres de Descartes. » Il ne pouvait choisir un personnage plus propre à résumer les divers aspects du rôle éminent que remplissait le clergé au milieu de la société ignorante et encore à demi barbare du douzième siècle. C'était le seul corps qui eût le privilége d'apprendre et de savoir, qui fût tenu de connaître la vérité, la justice, la pitié, de commander par elles, de souffrir pour elles, qui pût résister alors à la force autrement que par la force. Dans son sein et comme son arrièregarde, se place le corps monastique: lié par des vœux plus étroits, par des devoirs plus austères, par des fonctions moins actives, son autorité est moins étendue, moins continue, mais accidentellement plus efficace. Il a plus de temps pour la charité, et surtout pour la science. Il peut s'élever à des lumières et à des vertus plus pures; mais il peut s'engourdir dans la contemplation comme s'oublier dans une torpeur oisive ou même dans un obscur désordre. Toutefois, c'est dans ses rangs surtout que se rencontrent les individus d'élite qui surpassent leur temps par la délicatesse de l'âme: là, surtout, sont les penseurs et les saints véritables. »

En effet, la solitude du cloître était singulièrement favorable à la méditation, et l'ascendant que les moines devaient à leur supériorité intellectuelle les rattachait au monde extérieur, dans les transactions duquel ils se voyaient souvent appelés à prendre une part active.

Anselme, né dans la ville d'Aoste vers 1033 ou 1034, était fils

d'un lombard, homme riche, généreux, prodigue même et fort adonné à ses plaisirs, qui, après la mort de sa femme, prit en dégoût les choses du siècle et se retira dans un couvent. Le jeune Anselme se trouva donc de bonne heure abandonné à lui-même. Quoique porté par la nature vers la dévotion, il commit quelques écarts que son père jugea très-sévèrement, et ne pouvant supporter des reproches qui se renouvelaient sans cesse, il résolut de renoncer à ses biens et à sa patrie, partit à pied accompagné d'un seul clerc, traversa le Mont-Cenis, puis, après avoir passé plusieurs années en Bourgogne, vint s'asseoir sur les bancs de l'école célèbre que dirigeait Lanfranc, prieur au monastère du Bec. Anselme ne tarda pas à se distinguer, il fut bientôt le disciple favori du maître. Cette circonstance décida de sa vocation; pour ne pas se séparer du savant prieur, il se fit moine et fut reçu dans l'église du Bec en 1060. Il n'avait guère que vingt-sept ans.

Trois années plus tard, Lanfranc, nommé abbé du couvent de Saint-Etienne institué à Caen, par Guillaume le bâtard, duc de Normandie, dût malgré sa répugnance quitter le Bec, et Anselme lui succéda en qualité de prieur. Cet incident mérite d'être cité comme un trait bien caractéristique des mœurs de l'époque. Le duc de Normandie ayant épousé Mathilde, fille de Baudoin V, comte de Flandre, qui se trouvait être sa parente à un degré prohibé par l'Eglise, Lanfranc n'avait pu se défendre de condamner cette alliance. La jalousie de quelques moines, humiliés de sa science, le dénonça, et le duc, fier et emporté, bannit le prieur de ses Etats; il commanda même qu'on mit le feu à une ferme de son couvent, appelée le Parc. On devine quelle fut la désolation des moines. Mais Lanfranc obéit sans se plaindre, ou plutôt il sut échapper à la volonté toute-puissante d'un prince dont il connaissait l'esprit. Monté sur un cheval boiteux, seul hôte des écuries du couvent, il partit en silence, et, par un hasard qui ressemble fort à un calcul, il se rencontra sur le chemin du redoutable seigneur. « Que veuxtu? lui dit celui-ci. Je viens vous demander un meilleur cheval, si vous voulez que j'exécute vos ordres sans délai. » Le duc se prit à rire, et Lanfranc retourna au Bec, où l'on chanta un Te Deum.

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