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HISTOIRE DE FRANCE

SPÉCIALEMENT AUX SEIZIÈME ET DIX-SEPTIÈME SIÈCLES

PAR

LÉOPOLD RANKE.

Französische Geschichte vornehmlich im sechszehnten und siebzehnten Jahrhundert, von Leopold Ranke. Erster Band. Stuttgardt und Tübingen, 1852.

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Ce beau volume, sorti des presses de M. Cotta, renferme d'abord un aperçu très-rapide sur les éléments qui composent la nation française, sur la formation de la monarchie et ses premières vicissitudes; puis, dans le second livre, un résumé suivi des règnes de Louis XII, François Ier, Henri II; dans le troisième, le récit du mouvement opéré, parmi les populations de langue française, vers une réforme de l'Eglise; dans le quatrième, le tableau des premières guerres de religion; dans le cinquième, l'histoire de la Ligue; dans le sixième enfin, celle de Henri IV jusqu'à la métamorphose politique qui fit entrer ce prince dans le sein de l'Eglise à laquelle la masse du peuple français se trouvait, définitivement, vouloir adhérer.

Notre époque est riche en véritables historiens : c'est sa principale gloire; ce sera le profit de l'époque qui suivra. L'histoire, écrite avec loyauté et impartialement étudiée, est l'école principale, pour ne pas dire unique, de l'homme d'Etat. Au milieu de la confusion des partis, égarées par

les funestes conseils de la vengeance et de la convoitise, les générations qui ont occupé la scène politique pendant la première moitié du dix-neuvième siècle, peuvent bien avoir méconnu le sens de ces leçons que la curiosité seule leur faisait accueillir; mais nous ne pouvons nous résigner à croire que ce soit sans la volonté d'améliorer un jour, d'une manière sensible, l'esprit public dans les nations de langues germaniques et romanes, que la Providence a donné à notre époque des historiens tels que Thiers, Mignet, Barante, Macaulay, Prescott, Ranke et beaucoup d'autres, dont chacun connaît les mérites. Celui dont nous allons parler rassemble toutes les qualités dont l'union est nécessaire pour former l'historien complet et donner de l'autorité aux jugements sortis de sa plume: ardeur infatigable dans le travail; sagacité dans l'interprétation des textes et la comparaison des témoignages; ordre lumineux dans l'arrangement de ses matériaux; sévère impartialité dans la peinture des caractères; réprobation inflexible du mal, indulgence pour l'humanité; style pur, lucide, d'une simplicité élevée, ne hasardant aucune expression équivoque ou forcée, évitant également la bassesse et l'enflure, ne cherchant à produire d'effet que par la splendeur de la

raison.

Ce nouvel ouvrage ne peut qu'ajouter encore à une réputation universellement répandue déjà et solidement établie. Nous souhaitons qu'il soit transporté bientôt dans notre langue; nous voudrions qu'il y eût un succès populaire; nous ne connaissons aucun travail contemporain qui soit plus propre à faire pénétrer dans les consciences, et adopter par les esprits, un plus grand nombre de principes sains et de dispositions profitables.

Dans le préambule de son histoire, M. Ranke expose

quels motifs lui ont fait choisir ce nouveau sujet, qui n'a qu'un rapport indirect avec ceux dont il s'est occupé précédemment avec tant de persévérance et d'activité.

« Parmi les peuples du monde moderne, aucun, dit M. Ranke, n'a exercé sur les autres une influence plus variée et plus permanente que le peuple français. » — Il est bien certain que les nations voisines ont, à leur tour, agi sur celle-ci; que la France a reçu de l'Italie une culture artistique et littéraire, et que les fondateurs principaux du système monarchique au dix-septième siècle ont tenu leurs yeux fixés sur le modèle que l'Espagne leur offrait; de même encore les tendances vers une réforme religieuse se rattachèrent à l'Allemagne, et les tendances vers une réforme politique se fortifièrent et se régularisèrent sur l'exemple des Anglais. Mais il n'en est pas moins indubitable que les fermentations et les commotions générales, sur le continent de l'Europe, depuis bien longtemps, sont principalement sorties du sein de la nation française. Les grands problèmes en discussion, dans les sphères ecclésiastique et politique, ont toujours occupé les Français de la manière la plus ardente: ils ont, par le talent qui leur est propre en fait d'expression, réussi à rendre ces problèmes attachants et clairs pour les autres peuples; le privilége des Français a été, de tout temps, lorsque les esprits se mettaient en mouvement, de centraliser leurs efforts, dispersés d'abord, et de donner une application pratique aux théories jusqu'alors sans résultats. De là suit qu'à différentes époques l'histoire nationale de France a pris le caractère d'une histoire universelle, en raison de l'importance générale des faits accomplis en France, et de l'étendue des effets produits par ces événements sur le reste du monde civilisé.

C'est à la peinture de deux de ces époques, dont la seconde a immédiatement suivi la première (le règne de Henri IV étant leur lien commun), que M. Ranke consacre le nouveau travail dont nous entretenons nos lecteurs. Les premiers chapitres ne sont qu'une introduction nécessaire pour faire bien comprendre la scène sur laquelle les nouveaux Valois (Louis XII, et surtout François Ier avec ses descendants) allaient paraître, et les matériaux que l'œuvre des âges venait de préparer à ces princes pour les mettre en état d'accomplir le rôle considérable qu'ils avaient à jouer dans le développement de la puissance française et le progrès de la civilisation européenne.

M. Ranke commence par mettre en relief les obligations que la population gallo-romaine et la culture, dont celle-ci était dépositaire, eurent à l'Eglise romaine, qui accomplit dans ces contrées la conquête pacifique des nations germaniques, au moment où celles-ci commençaient la conquête militaire du territoire romain. Partout où les Germains, encore attachés à leur religion nationale, subjuguèrent des contrées romanisées, ils en détruisirent ou bien en asservirent les populations; ils déracinèrent l'idiome et les institutions des anciens maîtres du sol. Le contraire eut lieu partout où les conquérants germains arrivèrent déjà convertis au christianisme, comme les Goths et les Burgundes; ou bien disposés à l'embrasser au commencement même de leur carrière victorieuse, ce qui eut lieu pour la nation des Francs. L'Eglise sauva ce qui pouvait encore être sauvé de l'Etat dont l'indépendance politique venait de succomber; les destructions systématiques prirent fin aussitôt que Clovis eût reçu le baptême; il n'y eut pas, il est vrai, d'assimilation immédiate des Francs aux Gallo-Romains, mais il y eut moins encore d'assimi

lation des Gallo-Romains aux Teutons, comme cela était arrivé dans la Bretagne insulaire et même dans la Gaule rhénane. Le caractère futur de la nation française se trouva déterminé par ce fait, immense dans ses conséquences, que la tribu salienne adopta le christianisme dans la forme pratiquée et la communion admise par ses nouveaux sujets, ce qui assura l'existence civile de ceux-ci, et créa entre les deux races un lien indissoluble.

La nation française étant ainsi fondée, la monarchie, institution fondamentale de la France, ne tarda point à s'affermir. Mais plusieurs siècles se passèrent avant qu'elle devint exclusivement française; le caractère de souverains germaniques était inséparable de l'origine et des tendances héréditaires des Carolingiens; la dynastie capétienne, en devenant héréditaire, fonda ce qui n'avait jamais encore existé une monarchie de la France nouvelle, c'est-à-dire de la Gaule occidentale, formée par une congrégation d'Etats réunis sous la suzeraineté d'une maison qui passait pour aborigène, et à qui les affections nationales s'attachèrent dès le principe, pour ne plus l'abandonner, pendant une longue suite de siècles.

Appuyé sur l'Eglise, qui avait ouvertement favorisé l'élévation de sa famille, Louis VI employa le pouvoir naissant de la couronne à l'établissement, par la force des armes, de l'ordre légal dans les contrées où le bras du roi pouvait s'étendre. Philippe-Auguste entreprit, avec un singulier mélange d'ardeur et de persévérance, d'être, au moins dans l'étendue du ressort féodal de la couronne, héritier de la puissance comme il l'était du titre de Charlemagne: il dépouilla de ses principaux Etats sur le continent le roi d'Angleterre, dont les prédécesseurs immédiats avaient possédé plus d'une moitié de la Gaule occi

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